Déménageurs
et virtuoses
L'étrange
activité sportive que l'on désigne du doux nom de Rugby
a ce merveilleux don de rendre possible le mariage impossible de la
carpe et du lapin. Il concilie l'inconciliable en favorisant l'union
des contraires !
Les déménageurs de piano
y sont autant au service des virtuoses que nos artistes ont besoin
des gros bras réputés irréfléchis. Il y a dans cette activité la
fusion des différences, la symbiose des contraires, la
complémentarité des oppositions dans le respect des dissemblances,
dans l'harmonie des similitudes.
Dans une société qui
encourage quotidiennement la séparation des tribus, des clans, des
groupes ethniques, le Rugby se nourrit de la complémentarité des
différences. Il abolit les dissemblances et c'est à ce titre qu'il
bénéficie d'une notoriété largement supérieure à son influence
réelle.
Nous avons les forts des
halles, souleveurs de fonte, dévoreurs de sucres lents et surtout de
protéines. Nos premières lignes ont peut-être la surcharge
pondérale mais ils ont aussi l'amitié et la solidarité ancrées au
plus profond du cœur. Ils sont les pierres angulaires, les
fondations de ce mystérieux édifice que constitue une équipe de
Rugby. Ils sont les francs-maçons, les Princes ce mystère absolu
pour le béotien qu'on nomme « la mêlée ! ».
Derrière eux et en dépit
des lois architecturales se trouvent nos tours de guets, nos beffrois
qui provoquent l'effroi chez l'adversaire. Les secondes lignes
règnent à la fois dans les airs et au ras du sol. Puissance, force
et légèreté, ils doivent marier cette contradiction en formant un
couple indissociable sur le pré et qui effraie les compteurs lors de
la terrible troisième mi-temps.
Suivent les plus roublards,
les plus féroces parfois, les plus tendres aussi. Ils sont notre
trait d'union. Les troisièmes lignes sont les rois de l'entre-deux :
à mi chemin entre les grognards napoléoniens et la cavalerie
légère. Ils sont capables de tout ; sur et en dehors du terrain et
se mettent en quatre pour tous les autres alors qu'ils ne sont que
trois.
Au cœur de l'édifice,
arrivent maintenant les demis. Ils sont appelés ainsi, non pour leur
goût immodéré d'un boisson maltée (quoique …), mais parce qu'au
centre du poste de commandement. L'un aboie, l'autre adroit, l'un
teigneux, l'autre généreux, l'un chef de horde, l'autre instigateur
des imprévisibles ailés.
Puis viennent les centres
pourtant au milieu de nulle part. Aussi dissemblables l'un de l'autre
qu'il est possible. Ils sont un curieux hybride entre la troisième
ligne et les arrières. Ils ont nécessairement mauvais caractère,
ne sont pas toujours bons compagnons, prêts qu'ils sont sans cesse à
la moindre facétie au détriment de tous les autres et souvent
d'eux-mêmes.
Enfin, il y a les
inclassables, les jambes légères des ailes et de l'arrière.
Caractériels et véloces, ombrageux et adroits, filous ou bargeots
... Ils ne sont jamais aussi bons que lorsqu'ils sont définitivement
égoïstes. Ils doivent briller grâce au travail des autres, les
obscurs, les gros bras. Ce sont des aventuriers qui se lancent dans
des raides insensés sans se soucier du labeur des autres.
Dans une équipe de Rugby ;
chacun, quelque soit son caractère, sa taille, son poids, sa vitesse
ou sa force a une fonction, une place à tenir, une raison d'être au
service de tous les autres.
Dans cette confrérie
humaine, cette chevalerie d'un autre temps, il y a paradoxalement
deux rôles particuliers qui échappent à l'anonymat de ce collectif
: le buteur et le lanceur. Volontaires ou désignés d'office, ils
portent des responsabilités lourdes en cas de maladresse surtout aux
yeux des supporters toujours prêts à leur imputer la défaite d'un
collectif. Nous évoquerons dans un autre billet leur immense
solitude ...
Différemment
vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire