La
plateforme du rêve
Il
est, à l’ombre des platanes, un très vieux bateau de bois :
« Pêcheur d’Alose » qui depuis 1937 côtoie la Loire.
La vieille embarcation fait désormais eau de toutes parts, elle
préfère maintenant la quiétude de la berge au tumulte des flots de
la Loire. Celle-ci d’ailleurs est fort agitée, charriant des
troncs d’arbres et n’ayant de cesse de gonfler d’heure en
heure. Les pluies récentes lui ont remis du rose aux joues, c’est
ainsi que nous l’aimons.
C’est
sur cette belle plateforme qu’un Bonimenteur s’est installé,
profitant de ce promontoire pour accueillir des gamins, venus en
compagnie de leurs enseignants, à la découverte de la culture
ligérienne. Les Fis d’Galarne, la joyeuse chorale des mariniers de
Gien est à l’initiative de cette animation. Une invite à laquelle
ont répondu quelques classes, d’autres ayant préféré,
mystérieusement, tourner le dos à cette journée récréative et
pédagogique. J’avoue ne pas comprendre mes nouveaux collègues …
Sur
le quai de Gien, des stands sont installés pour recevoir les groupes
d’enfants. Les pêcheurs à la ligne font œuvre de vulgarisation
afin d’encourager les enfants à pratiquer ce loisir. Les élèves
sont attentifs, ils ne parviennent pas à quitter le stand,
découvrant sans doute une activité dont, souvent, ils ont été
éloignés à la différence des générations précédentes. On
devine aisément qu’ils ne demandent qu’à mordre à l’hameçon
…
Puis
ils sont attendus par une charmante jeune femme qui leur propose de
manier la terre, d’en tirer des figurines ou des animaux. Le
bonheur de la manipulation associé à celui de la création font de
cette proposition simple un moment agréable où l’activité
manuelle se mêle à l’occasion d’échanger des commentaires et
des impressions. Ce qui ne peut se faire aisément dans une salle de
classe, se réalise ici, en bord de Loire avec délectation.
À
deux pas d’un barbecue sur lequel rôtit délicatement un lapin
dans la grande tradition marinière, une forge permet le travail du
fer. Robert le Bourru, le bien nommé, sans doute un des doyens de la
Marine de Loire, aime à transmettre aux enfants, le mystère du fer
qui, chauffé par le feu, se laissera façonner. On le retrouve ainsi
lors des différentes fêtes et l’on devine sa gourmandise à
expliquer aux plus jeunes, l’œil pétillant.
Gérard
propose une explication détaillée sur la peinture utilisée par les
mariniers de Gien pour leurs bateaux. Elle est à base de produits
naturels, une recette qui vient de Suède. C’est surprenant et
parfaitement économique qui plus est : huile de lin, farine, eau,
pigments, savon et sulfate de fer. Juste à côté, le stand
traditionnel des nœuds malins et tout à fait marins, marche
toujours très bien.
Plus
loin Michel est au carrelet. Tout en expliquant aux nouveaux
arrivants, les différentes animations qui les attendent, il simule
la pêche traditionnelle au carrelet sur une toue cabanée. Les
gamins découvrent une activité dont ils ignorent tout. Ils sont
fascinés par ce filet qui soudain se lève, emprisonnant des
poissons factices déposés par Isabelle et qui se trouvent soudain
pris au piège.
Deux
conteurs se répartissent les groupes. Nadine invite les enfants sur
les traces de son castor édenté sous le regard bienveillant de
Bruno, son compagnon. Elle est heureuse de leur présenter ce conte
qu’elle a écrit tout en se disant quelque peu intimidée par la
présence d’un collègue qu’elle estime plus expérimenté
qu’elle. Bien au contraire, c’est l’occasion pour moi de lui
glisser quelques conseils et de nombreux encouragements. Au fur et à
mesure, je constate des progrès évidents et chez elle, une plus
grande fluidité dans son expression.
Et
puis il y a votre serviteur, jouant les cabots de service sur le pont
de sa toue d’adoption. Je me suis lancé le défi de ne jamais dire
le même conte tout au long de cette longue journée. Je vais m’y
employer et tenir ce défi, ne sachant jamais ce que je vais dire au
groupe qui arrive. Mon premier souci étant de prendre en main les
enfants, de les mettre en situation d’écoute et de discipline.
Quelques petites astuces du métier passé, le désir de ne rien
céder d’entrée sur des exigences élémentaires de bonne tenue et
la surprise de faire ce que les accompagnateurs n’osent ou ne
savent pas exiger des enfants. Ce fut ensuite, à chaque fois, un
vrai bonheur avec des élèves redevenant des enfants transportés
dans l’imaginaire.
Lors
du repas de midi, les enfants étaient conviés à s’installer dans
la salle des fêtes voisine où une petite exposition leur était
proposée par les naturalistes. C’est là que le groupe des Fis
d’Galarne vint leur offrir une sérénade à leur manière,
quelques chants a cappella écoutés avec ferveur par des gamins très
respectueux. La cerise sur le gâteau fut ce chant, symbole du groupe
et de la ville, connu et travaillé par les classes, repris en chœur
par tous les gamins venus se placer devant les chanteurs et les
musiciens. Un grand frisson parcourut les témoins de ces instants de
communion. Quel bonheur que ce partage entre générations et
cultures différentes. Un moment magique qui laisse espérer que rien
n’est vraiment perdu.
Les
classes rentrèrent dans leurs écoles. Les mariniers proposaient
ensuite des balades sur la Loire pour ceux qui le souhaitaient. Ils
eurent la satisfaction de voir revenir des gamins, cette fois
accompagnés de leurs parents. Ils avaient réussi leur coup, ils
pouvaient en être fiers. J’en profitai pour jouer le sketch des
gilets de sauvetage lors de plusieurs balades tandis que mon compère
Georges jouait les hommes de bord.
Nous
n’avions nulle envie de partir alors que le soleil baignait les
quais de Gien. Nous restâmes pour le concert des joyeux mariniers,
installés sur leur bateau scène, devant les terrasses qui ont
envahi les bords de Loire. Ce fut comme à chaque fois, un moment
délicieux. À l’invite de mes amis, je les rejoignis pour offrir
un conte truculent aux spectateurs. Les rires et les réactions
furent la plus belle des récompenses pour achever une formidable
journée qui devrait servir de modèle en bien d’autres cités
ligériennes. Vraiment, les Fis d’Galarne avaient réussi
pleinement leur journée éducative.
Pédagogiquement
leur.
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