Et
quelques humains !
Je
laissai Hélène à ses bavardages, sa gentillesse et sa grande ferme
pour descendre le canal latéral. Après examen du parcours sinueux
de dame Loire, je n'avais guère d'autre possibilité. Je comptais
retrouver un peu de monde sur mon chemin en espérant découvrir une
chambre d'hôtes au détour d'un petit port.
Une
pluie fine, un ciel bas, un air frisquet ; rien de tel pour
décourager mes collègues touristes. Aucun cycliste sur le chemin de
halage et pendant très longtemps pas la moindre pénichette.
J'allais seul et durant la première heure, seul un rat, plus gros
qu'un chat, me tint compagnie quelques instant.
C'est
alors que les vicissitudes de la marche ou plutôt celles de mes
viscères me poussèrent à demander asile à la première écluse
venue. C'était celle que venait d'investir Jérémy. Il me permit
d'user de ses tinettes, un bonheur rare pour une satisfaction
immense. La vie est parfois simple quand on chemine …
Jérémy,
le hasard se joue souvent de nous, venait de passer trois années à
L'Institut d'Arts Visuels de Cenabum. Le diplôme en poche, il va
rentrer à l'École Supérieur des Métiers de l'Animation pour une
formation de trois années. Jérémy veut faire de l'animation 3D.
Pour ses vacances, il est éclusier. Un travail qui lui laisse du
temps pour travailler à des projets sur son Mac qui ne le quitte
pas.
Si
parfois ses longues journées : de 9 heures à 19 heures, sont
agitées avec jusqu'à vingt-cinq passages de bateaux, d'autres sont
d'un ennui mortel avec presque personne. Je laisse Jérémy à ce
travail trop tranquille où il devra quatorze jours pour un salaire
si modeste qui sera bien vite mangé à Toulouse.
Deux
heures plus tard, un âne moins chargé que moi me fit un clin d'œil.
Il avait l'air amusé de croiser un humain chargé comme un mulet.
Entre bêtes, on se comprend avec peu de mots. Il me conseilla de
ménager ma monture, je lui sus gré de se préoccuper de ma santé !
Pas très loin de là, trois personnes me regardèrent passer en
feignant de ne pas me voir. Elles évitèrent ainsi de devoir saluer
ce curieux personnage ! Je les plaignis de tout mon cœur, un bonjour
ne coûte pas grand chose et un regard encore moins.
Marius,
lui ne se fit pas prier. Il me tendit une main ferme pour saluer
celui qui venait à sa rencontre. Soixante-seize ans, cultivateur à
la retraite, il avait emmené pour une paire d'heures son petit fils
Lucas à la pêche. Marius avait tendu trois lignes en batterie pour
prendre quelques chats. L'homme avait ouvert à la va-vite une boîte
de maïs Bonduel pour attirer le chaland aquatique. Je lui fis la
réflexion de sa désinvolture halieutique …
À
côté de nous, Lucas montrait de nombreux signes d'impatience. Il
n'arrêtait pas de se « berdiller », il trempait une
épuisette dans le canal mouvait l'eau et brassait l'air. Il
m'expliqua qu'il allait rentrer en sixième et je lui donnai conseil
de s'y tenir plus tranquille. Marius, la casquette vissée sur le
crâne, le mégot collé aux lèvres, les bretelles et la veste de
chasse voyait tout ça du regard bienveillant de celui qui ne s'en
fait plus.
C'est
moi qui me fit du mouron un peu plus tard lorsqu'au bout de six
heures trente de marche, j'arrivai au terme de mon périple. J'avais
pointé le petit port de Garnat comme étape possible. Il n'y avait
d'ailleurs guère d'autres possibilités. Je trouvai un lieu
parfaitement désert. Une pancarte annonçait fièrement un cimetière
pour animaux mais pas de quoi loger le marcheur isolé.
Au
pied de l'église, une boulangerie, bar, tabac, journaux loto était
ouverte. J'y trouvai réconfort et présence humaine. Le patron, fort
aimable me confirma qu'il n'y avait aucun espoir de logement ici.
Après ma grosse marche d'hier, je n'étais pas de force à
renouveler l'expérience deux jours de suite. J'appelai un taxi pour
trouver de quoi me loger. Ce fut le Grand Hôtel de Bourbon Lancy ou
Benjamin, Prune et Séverine me firent un accueil réconfortant.
J'étais dans une ville
thermale, une voie verte me conduira demain jusqu'à Digoin. La Loire
ne doit pas être loin. Il me faut, après vous avoir livré cette
journée exaltante, voir si la dame ne s'ennuie pas de moi. Benjamin,
à l'accueil m'a certifié qu'il y avait un club ligérien en la
place. Il ne faut désespérer de rien dans un ville où un tel club
est fondé …
Ligèriennement vôtre
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