La
nostalgie n'est plus ce qu'elle était.
Je
me souviens de mon école communale du temps jadis, quand le jeudi
était notre milieu de semaine et que nous travaillions tout le
samedi. C'était avant les soubresauts de 1968, les transformations
radicales de la vieille France de l'après guerre n'avaient pas
encore eu lieu !
Nous
étions entre garçons, les filles avaient leur école, espace
mystérieux dont nous ignorions tout. Une route nous séparait, bien
plus d'ailleurs qu'un simple ruban de bitume mais un monde si
différent que nous ne songions même pas à y regarder. Notre cour
était bruissante de nos jeux de ballons, de nos parties de billes,
des parties échevelées de gendarmes et de voleurs. Ce qui se
passait en face, avec des cerceaux, des élastiques et des marelles
était si loin …
La
dernière année, celle de CM2, nous avions droit, privilège
exceptionnel, de quitter la communale, pour aller vivre bien plus
loin encore, à l'écart de tout. Un préfabriqué accueillait deux
classes, la nôtre et celle des grands du certificat d'études. De
grands gaillards qui n'étaient pas passés au collège, le CEG
d'alors. Ils avaient échoué là et beaucoup d'entre-eux attendaient
d'avoir l'âge pour entrer dans l'école des usines Simca,
institution de mon village d'antan.
Nos
deux maîtres étaient de récents rapatriés d'une terre lointaine.
Derrière eux, nos parents les qualifiaient de « Pieds noirs »,
nous en ignorions les raisons. Ce que nous savions c'est qu'ils
avaient le pied tout aussi chaud que la main droite. Les coups
pleuvaient, bien loin des méthodes de leurs collègues des classes
en dessous, de merveilleux adeptes de la méthode Freinet auxquels je
dois ma vocation d'enseignant.
Le matin, il fallait remplir le poêle à fuel. L'odeur était
prégnante, le froid assez vif les nombreux matins glacés. La
chaleur finissait par nous envelopper juste à temps avant d'aller
nous aérer pour des récréations pù le temps ne nous était pas
compté.(Le directeur était si loin !) Les parties de balle au
prisonnier avaient remplacé tous les autres jeux de la petite école.
Le combat était rude, les fins d'études avaient deux ou trois ans
de plus que nous !
Ils
en faisaient des tours pendables ces garçons qui avaient bien du mal
avec l'école. Des cigarettes plein les poches, des magazines « Lui
» dissimulés dans leurs sacs, des pétards et autres mystères dont
nous ne comprenions pas tout. Ils nous intriguaient plus qu'ils ne
nous faisaient peur. Ils sentaient d'eux-mêmes que nous ne serions
pas du même monde et que leur vie se ferait (du moins le
croyaient-ils alors) derrière les forges de nos usines automobiles.
Que
cette année loin de tout fut une belle année de bêtises et
d'aventures folles ! Les douves du château étaient toutes proches,
l'hiver fut si rude cette année là que la glace nous servit de
terrain de jeu et que les batailles de boules de neige furent notre
guerre des boutons, impitoyable et interminable.
Nos
deux maîtres n'étaient pas très regardants, ni à la sécurité,
ni à la morale. Ils avaient sans doute compte à régler avec le
pays qui les avaient abandonnés. Nous connûmes d'étranges défis
de jeunes mâles qui se découvrent, se mesurent et se comparent. Ils
faisaient semblant de ne rien voir, je doute qu'il en fût vraiment
ainsi.
Quand
ils reprenaient la main, les claques et les coups de pied au derrière
avaient leurs cibles préférées. Les pauvres garçons durent vivre
une année de plomb. Mais bons princes, pour assurer notre silence,
les deux lascars n'oubliaient jamais de servir tout le monde en
tenant sans doute comptabilité de leur généreuse distribution.
Je
me souviens encore des cahiers de composition, de ce temps suspendu
où nos folies et nos bagarres étaient mises en suspens tout comme
la pluie des coups. C'était alors le moment sérieux que personne ne
venait contester, pour restituer à nos maîtres ce qu'ils avaient,
malgré tout, réussi à nous apprendre.
Je
me souviens encore que beaucoup durent passer un examen pour obtenir
leur droit d'entrée en sixième. Nous n'étions que quelques-uns à
échapper à cette redoutable épreuve. Ceux qui échouèrent
partirent vers d'autres voies. La sentence était sans appel et leur
destin se scellait bien tôt. Je n'en revis que bien peu de ces
garçons poussés vers la sortie avant même qu'ils n'aient l'âge
d'aller à l'usine. Cette école n'était pas si merveilleuse que ça
!
Communalement
leur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire