Rosalie
et moi
Une
longue histoire.
Tout
a commencé il y a fort longtemps par un Roman : « Vent de
Galerne sur la Loire », écrit par une femme qui conserve
encore la mémoire des marines de Loire et du canal. Madame Sénotier
est la petite fille de Rosalie, celle dont elle a narré l’aventure
dans deux ouvrages passionnants. Elle habite Combleux, la perle de
l’Orléanais, sa maison domine la rivière avec une vue
exceptionnelle.
Son
fils, président de l’association marinière « Les chemins
de l’eau » me demanda, un jour, dans le tumulte du Festival
de Loire, il y a bientôt deux ans, si je voulais bien résumer le
livre de sa chère mère afin d’en tirer une bande son pour un son
et lumière. J’acceptai sans hésiter tant j’avais été séduit
par la lecture de cette histoire, émouvante et si bien documentée.
Je mettais comme seule condition de récupérer la copie numérique
du texte afin de pouvoir y travailler.
Je
comptais en effet faire un simple exercice de coupage afin de garder
le style et les mots de l’auteur. J’avais trop de respect pour
elle pour glisser mes mots et mes tournures dans son récit familial.
Il en fallut donc passer par l’éditeur et c’est là que les
choses prirent plus de temps que je ne l’avais imaginé.
Aux
Éditions Corsaire, non pas qu’on se méfie de moi mais le
responsable de cette belle maison qui a édité quelques merveilles
sur la Marine de Loire, voulait absolument que nous respections les
formes administratives. Nous dûmes en passer par une convention
tripartite entre l’éditeur, l’auteur et l’adaptateur. Cela
prit du temps et brisa un peu mon élan initial.
C’est
donc deux mois seulement avant la date du son et lumière que je me
décidai à me mettre à l’ouvrage, ayant obtenu le précieux
document numérique. Je n’imaginais pas alors l’ampleur de la
tâche, sa complexité et sa longueur. J’y passai un bon mois,
taillant, coupant, élaguant, éliminant des passages pour en tirer
un récit cohérent propre à être enregistré.
J’avais
imaginé un scénario, retenu des passages en cohérence avec
l’histoire de la Loire et l’objet même de ce travail : une
animation nocturne devant la grande écluse de Combleux, là où
Loire et Canal fusionnent. Je rendis une première copie, un texte de
18 pages pour un roman de plus de trois cents, je pouvais être
heureux de mon travail. On me renvoya un laconique « Beaucoup
trop long ! » qui doucha mon enthousiasme.
Mon
censeur avait raison, il convenait d’alléger encore pour ne pas
ennuyer les futurs spectateurs. Je repris mon travail de jardinier
littéraire, coupant tout ce qui pouvait dépasser, les herbes
folles, les digressions inutiles, les descriptions qui ne servent pas
vraiment le récit. Je parvins néanmoins à garder à la fois les
mots et les tournures de madame Sénotier pour parvenir à 12 pages
de bonne facture.
De
nouveau la terrible sentence tomba. Il fallait encore tailler dans
le vif. L’enregistrement ne devait pas faire plus de douze minutes
en y incluant un peu de musique. Je me trouvais devant un impossible.
Comment réaliser ce miracle de concision sans dénaturer l’œuvre
initiale ? Cela faisait bientôt un mois que je passais mes journées
avec Rosalie, des liens d’intimité s’étaient créés entre nous
et le risque était grand d’en venir à la scène de ménage.
La
dernière tentative me fut douloureuse. Je coupai plus que de raison.
Je prenais le risque de perdre le fil du récit, son rythme et sa
petite musique nostalgique. Il fallait bien rentrer dans le format
demandé. Le résultat quoique un peu bancal, tenait au moins la
Loire à défaut de la route. Huit pages qui reprenaient les grandes
lignes de la vie de dame Rosalie avec les mots, rien que les mots de
sa petite fille.
Une
fois encore, la longueur ne convenait pas. Je ne pouvais faire mieux
en terme de rabotage. Je devais renoncer à conserver le phrasé de
l’auteur qui, avouons-le avait été malmené par toutes ces
coupes. Je dus donc glisser mes mots dans les quelques plans que
j’avais retenus. Cela, naturellement me prit beaucoup moins de
temps et j’arrivai enfin à rentrer dans les contraintes
temporelles.
Je
pensais en avoir terminé mais des difficultés techniques
s’insinuèrent entre les organisateurs et moi. Ils tenaient à
entendre ma voix sur la bande son et le fichier que je leur adressais
n’était pas compatible avec les formats dont ils disposaient. Je
décidai donc de faire moi même cette bande son. « Ton ouvrage
cent fois, tu remettras sur le métier, » me disait ma vieille
mère tapissière.
Une
nouvelle épopée débuta. Il me fallut trouver un studio
d’enregistrement bienveillant susceptible de me recevoir
gracieusement, car d’argent il n’était pas question dans cette
affaire. Ce ne fut pas simple, d’autant que la première solution
s’avéra calamiteuse en terme de son. J’avais pourtant offert un
livre à mon ingénieur du son et dus aller voir ailleurs si la piste
serait plus audible. Les voies sonores sont aussi impénétrables que
les voies d’eau.
J’étais
désormais pris par le temps. Je trouvai un bon Samaritain qui me
sauva la mise juste à temps. Je pouvais remettre la bande son et
partir en vacances, loin de cette manifestation à laquelle,
malheureusement je ne pus assister. À mon retour, je souhaitais
faire un petit film à partir de mon travail et des images de mes
amis. Hélas, ceux-ci tout à leur navigation, n’en avaient pas
pris.
C’est
donc la mort dans l’âme que je concoctai ce petit souvenir avec
des photographies dérobées ici ou là, faute d’avoir pu recevoir
des clichés de cette belle nuit ligérienne. J’en avais le cœur
gros et un regret qui resta de longs mois en tête. Je devais autre
chose à ma chère Rosalie, une petite chanson pour l’honorer comme
elle le méritait.
Il
y a parfois des idées qui restent longtemps à l’état de vague
projet et un jour, émergent soudainement, sans crier gare. Ce fut le
cas, un matin vers cinq heures, Rosalie m’avait tiré du lit pour
me souffler cette complainte. J’espère que les amis du Chemin de
l’eau auront le plaisir de l’écouter un jour. Lors du prochain
Festival de Loire, mes chansons ne figureront malheureusement pas au
programme.
Voilà
mon aventure avec Rosalie arrive à son terme. J’avais à cœur de
vous en faire part. Je sais que certains hausseront les épaules au
ciel mais je m’en moque. Si je peux vous avoir donné l’envie de
lire ces deux romans, j’aurai honoré une nouvelle fois madame
Sénotier. Bonne lecture à vous.
La
Chanson de Rosalie
Enfant
du Canal et de la Loire
Sur
ses pauvres treize arpents
Elle
peinait du matin au soir
Tout
en admirant les chalands
Elle
a grandi dans une ferme
Entre
ses chèvres et sa vigne
Regardant
le cœur en berne
Les
bateaux lui faire des signes
De
la terre prisonnière
Elle
ne pouvait pas s’échapper
Elle
serait à son tour fermière
Son
avenir était tracé
Enfant
de Loire et du Canal
Elle
a rêvé d’un grand voyage
D’une
aventure originale
Qu’elle
espérait sans ambages
C’est
dans une grande taverne
Le
rendez-vous des mariniers
Qu’elle
a trouvé celui qu’elle aime
Un
beau gaillard venu d’Angers
Sans
tarder elle l’a épousé
Le
chargement était en route
Avant
qu’il ne parte naviguer
La
laissant seule sur ses doutes
Enfant
du Canal et de la Loire
Sur
ses pauvres treize arpents
Elle
peinait du matin au soir
Tout
en admirant les chalands
Son
enfant sera orphelin
Son
père jamais ne reviendra
Quand
les gabelous un matin
Arraisonnèrent
son papa
Il
plongea dans les eaux profondes
Pour
échapper à la prison
Jamais
il ne revit le monde
Car
il rejoignit les poissons
Enfant
de Loire et du Canal
Elle
a rêvé d’un grand voyage
D’une
aventure originale
Qu’elle
espérait sans ambages
Comme
toutes les femmes de marins
Rosalie
savait le risque
Qui
un jour brise les destins
Quand
la Loire les confisque
Son
homme ne reviendra plus
Si
jeune, elle portera le deuil
En
sachant son rêve perdu
La
rivière pour seul linceul
Enfant
de Loire et du Canal
Elle
a rêvé d’un grand voyage
D’une
aventure originale
Qu’elle
espérait sans ambages
Enfant
du Canal et de la Loire
Sur
ses pauvres treize arpents
Elle
peinait du matin au soir
Tout
en admirant les chalands
Combleusiennement
vôtre.
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