Le
réconfort de nos rives.
Il
était une fois sur les bords de notre Loire un homme simple qui
allait à pied de village en village, Il partageait la vie de tous
ceux qui vivaient sur et au bord de la rivière. Tous le
connaissaient et quand ils le croisaient sur leur chemin, c'était
jour de fête pour chacun. Ils laissaient un temps leur travail et
goûtaient au bonheur simple de ses chansons. Pourtant sitôt finis
ses couplets, notre homme était incapable de parler à ses
semblables, affublé qu'il était d'un terrible défaut de langue...
Et
pourtant, de tous, Casimir, puisque tel était son nom, était aimé
et respecté. Lui, il avait une certaine préférence pour les
trimardiers de Loire. Ces gars qui retournaient à Roanne, humbles
mariniers au fil du courant et qui une fois à Nantes, vendaient leur
bateau et retournaient chez eux par le chemin à l'envers sur leurs
sabiots de bois. Casimir aimait à se retrouver parmi ces gens
simples et courageux. Lui qui n'était pas en mesure de partager la
rude tâche du halage, se contentait d'accompagner leurs efforts par
de très belles chansons qui leur redonnaient force et ardeur..
Il
aimait encore retrouver tous les marins dans les tavernes. Quand il
arrivait, le silence se faisait, les chopines cessaient de se vider.
Les grandes gueules, les soiffards, les querelleurs et les mesquins
(car il y en a toujours dans une communauté humaine) attendaient les
premières notes pour reprendre en chœur les chants du musicien. La
soirée pouvait durer jusqu'au bout de la nuit, fatigues et conflits
s'envolaient avec les notes du magicien.
Sur
la berge, Casimir ne détournait pas le regard quand des hommes et
des femmes effectuaient les rudes travaux des champs. Que les
culs-terreux fussent l'objet des moqueries des gars qui vont sur
l'eau, lui s'en moquait totalement. Eux aussi avaient des oreilles et
une gorge pour se retrouver derrière un refrain qui va bien. Casimir
changeait son répertoire, il chantait les moulins qui tournent et
les blés qu'on fauche, les troupeaux qu'on conduit et la terre qui
résiste. Là encore, par la grâce de ses chansons, l'effort était
moins pénible pour ceux qui trimaient sous le joug.
Plus
loin, Casimir s'arrêtait dans les ports. Il y avait là des gros
bras qui chargeaient et déchargeaient de bien lourds fardeaux.
Besogneux méprisés, gagne-misère, ils avaient droit eux aussi aux
mélodies du chanteur des travailleurs. Cette fois, il fallait des
chansons à beugler, des ripournes qui vous donnent du courage et de
l'énergie. Puis quand le déchargement était fait, le chanteur
savait les conduire sur d'autres airs, des mélodies douces et
sérieuses qui touchaient l'âme de ces braves gars. Il avait le
talent de rendre les gens heureux, c'était un souffleur de vent !
Casimir aimait encore retrouver ses amis les bergers car le long de
la Loire, paissaient des troupeaux pour entretenir les berges et
donner bonne viande pour les jours de fête. Cette fois, sa mandoline
se mêlait au flûtiau et des chansons à vous tirer les larmes,
soufflaient sur la rivière. C'était des moments d'une rare quiétude
et bien des bateaux s'arrêtaient alors ; l'équipage se posait
à distance pour ne pas briser la douceur du moment … Casimir
redonnait un peu de sens à la vie, tout en prenant chacun par le
bout du cœur.
Ne
refusant jamais l'offrande d'une chanson quand la requête émanait
d'un cœur pur ou simple, Casimir faisait à rebours toujours la
sourde oreille quand un valet ou un coursier venait réclamer ses
services pour le bon plaisir d'un nobliau ou des gros bourgeoisiaux
du bourg. Il repoussait la demande sans même avoir offert
auparavant une belle chanson à celui qui avait été mandé pour
obtenir ses services. Casimir n'était pas à vendre, sa liberté
n'avait pas de prix.
La
vie allait ainsi son train et ses refrains. Casimir vivait de l'air
du temps, de la générosité de tous et n'était jamais sans
invitation à partager la pitance et le toit. Il passait, sans jamais
arrêter sa longue marche de Roanne à Nantes , d'une rive à
l'aller, à l'autre au retour. Ses passages ponctuaient les années.
Deux fois l'an , chacun avait droit à la visite magnifique de celui
qui rendait joyeux les regards.
Mais
il vint un jour où tout menaça de se briser. Un puissant, courroucé
de n'avoir jamais pu s'approprier pour lui seul ce mystérieux
chanteur, fit appeler les gens d'armes pour le mettre aux arrêts. Il
prétexta un larcin, un vol mystérieux et néanmoins considérable
dans sa demeure où le bonhomme était prétendument passé. « Il
mérite sûrement les galères » hurlait ce vil accusateur. Le
juge de paix allait lui régler son affaire avant la fin de la
journée.
Dans
la localité où eut lieu cette mascarade, les gens redoutaient tant
le méchant que personne, malgré le passé et les souvenirs heureux
n'osa se dresser face à ce déni de justice. Casimir était au
violon et se morfondait d'autant plus qu'on lui avait pris sa
mandoline, sa fidèle compagne ! Il n'avait pas les mots pour se
défendre. Ce n'est qu'en chantant que les idées lui venaient. La
parole se dérobait à celui qui savait tant de chansons par le cœur.
Son
affaire allait être vite expédiée et jamais plus on n'entendrait
sur les bords de la rivière, le gentil trouvère. C'était
maintenant le moment de sa plaidoirie. Casimir bégayait , cherchant
ses mots en vain. Il allait être condamné à cause de cet odieux
mensonge sans pouvoir justifier de sa bonne foi. Toux ceux qui
assistaient à ce triste spectacle avaient honte d'eux-mêmes, de
leur lâcheté et de leur impuissance.
Soudain
dans le prétoire, un enfant se mit à siffler et tous les adultes
comprirent son intention. Chacun reprit un air qu'ils avaient tous
entendu de la voix de Casimir. Le juge étonné n'eut pas le temps de
mettre un terme à cette étrange manifestation harmonieuse qui
permit à Casimir de retrouver sur le champ sa verve et sa confiance.
C'est en chantant qu'il se fit entendre et il composa une si belle
défense que le juge le libéra dans l'instant. Le méchant homme
sortit de la salle sous les huées et la vie reprit son cours le long
de notre Loire.
Si
les mots vous manquent, il y a toujours une belle chanson pour faire
passer un message, prendre votre défense ou dire des mots d'amour.
Retenez ce conseil simple de cette petite fable qui j'espère vous
aura enchanté.
Musicalement
sien.
L'histoire en chanson
Merci Lee Gérien
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