Fonder
une famille sur la Loire
Il
était une fois une oie sauvage qui se mit à aimer la Loire tant et
si bien qu'elle renonça à faire le grand chemin. La dame se posa
sur notre fleuve sauvage et refusa bec et ongles de continuer la
grande migration de ses congénères. L'histoire eut pu en rester là
si cette oie n'avait décidé, bravant les lois de la nature, non
seulement d'élire domicile, ce qui peut aisément se comprendre,
tant le fleuve est beau en notre région hospitalière, mais aussi de
fonder une famille avec un autochtone. L'exigence est saugrenue, elle
défie les lois de la génétique et fut l'occasion de bien des
surprises.
Je
vais tenter l'aventure de vous narrer par le menu, les vicissitudes
de notre oie volage ! Étrangement, notre oie blanche n'était pas
née de la dernière averse. Quand on voyage jusqu'en Alaska, les
désordres météorologiques ne doivent pas contrarier la dame des
neiges. Mais notre demoiselle en avait assez des ces longs périples
au-delà du noroit.
C'est
en eau douce de Loire qu'elle voulait vivre le reste de son âge,
quitte à montrer patte blanche pour se faire accepter des espèces
résidentes !
Elle
eut été Bernache que le risque eut été plus grand. Les hommes de
ce pays, buveurs devant l'éternel, lui auraient fait son affaire, ne
lui laissant pas passer le mois d'octobre, servie comme il se doit
pour accompagner ce petit vin nouveau, avec ces marrons grillés qui
vont si bien quand on farcit ses pareils. La demoiselle ignorait ces
pratiques locales, elle se serait sauvée à tire d'ailes si elle
avait mieux écouté les leçons des anciens ! La dame ne se poussait
pas du bec, elle jeta son dévolu sur le maître de ces lieux.
C'est
au Balbuzard, ce beau et grand rapace pêcheur qu'elle fit les yeux
doux. Quand on mesure 65 cm, on rêve d'une descendance de belle
taille. Hélas, notre ami ne vit pas d'un bon œil cette éventuelle
compagne. « Je crains madame, de ne pas faire la maille, si nos
envergures sont analogues, je vous rends plus d'un kilogramme sur la
balance. » Voilà bien des considérations de mâle prétentieux se
dit-elle, en s'en allant plus loin !
Elle
retint la leçon du poids et de la taille et se précipita dans les
ailes d'un cygne. « Veux-tu devenir mon mari ? » lui demanda-t-elle
sans préliminaire. L'animal majestueux examina la demande avant que
de la rejeter catégoriquement. « Non, ma chère, notre union ne
serait pas prudente ! Les hommes d'ici ont oublié que nous étions
autrefois des
plats
de fête. Mêler ma destinée à une oie pourrait réveiller ces
vilaines manières culinaires. Allez voir d'autres prétendants qui
n'ont pas peur des fourneaux ! » Elle s'en alla déconfite,
l'argument lui ayant provoqué des sueurs froides !
Elle
fit alors la cour à un étrange oiseau qui faisait le pied de grue,
immobile près de la berge. « Noble pêcheur aux aguets, si ton bec
est aussi long que ton aiguillette, je devine en toi un reproducteur
puissant qui pourrait, si l'envie t'en prenait, me donner bien des
poussins à l'allure altière ! » Le héron, puisque c'est de lui
qu'il s'agit, rejeta la proposition qu'il trouva fort cavalière. «
Madame, l'habit ni le bec ne font le moine ! Que feriez-vous dans une
héronnière ? En voilà des manières, passez votre chemin, je crois
bien que j'ai une touche au fil de l'eau! » Non vraiment se
dit-elle, les oiseaux de ce fleuve-là ne savent pas cacarder aux
dames !
Elle
se mit à broyer du noir, l'aventure tournait au fiasco. Elle se dit
alors qu'il fallait tenter l'impossible, ne pas se fier aux
apparences. Elle se précipita vers un oiseau en tous points
différent d'elle. « Mon bel ami, voulez-vous être mon concubin ?»
La demande était franche, la réponse le fut tout autant. « Ma
belle dame au plumage si blanc, je suis fort honoré que ma parure
noire ne vous ait pas effrayée. J'accepterais volontiers la demande
si un petit détail ne venait à me contrarier. Les hommes ont perdu
l'habitude de gober mes œufs, c'est désormais pourquoi, nous, les
cormorans, sommes si nombreux sur les bancs de sable. Notre union
pourrait réveiller bien des envies. On ne fait pas d'omelettes sans
briser nos vœux ! ».
Cette
fois, l'oie reconnut que la remarque était judicieuse, elle alla
chercher sa bonne fortune en un autre endroit ! Ce bon accueil lui
redonna du cœur à l'ouvrage. Elle se mit en quête d'un nouveau
compagnon. C'est vrai que les oiseaux ne manquent pas en cette Loire.
On pourrait même penser que c'est un paradis pour eux. Dans le lot
hélas, il
y en avait qui ne faisaient pas la taille quoiqu'ils furent
d'excellente compagnie. Si la mouette se rit d'elle et la Sterne fut
consternante, les autres se montrèrent très charmants. Le gravelot
eut la délicatesse de ne lui tenir aucun propos graveleux, elle lui
en sut gré. La guifette fut particulièrement aimable, si le grèbe
se montra castagneux, le chevalier fut servant. Le vanneau lui parut
fatiguant et la bécassine un peu sotte quant à l'aigrette, bavarde
infatigable, elle lui servit de gazette du fleuve !
Pourtant
pas de compagnon en vue ! Le temps passa, la saison des amours la
laissa célibataire. Pourtant la demoiselle ne changea pas sa
détermination première. Au printemps suivant, elle en est certaine,
elle trouvera oiseau à marier. En attendant ces jours meilleurs,
voilà qu'il fit sur la région un froid de canard. Les eaux de tous
les étangs, les fosses et les petites rivières n'étaient
maintenant que des étendues gelées. Même la Loire était prise en
de nombreux endroits par les glaces. Heureusement, le courant du
fleuve permettait en certains endroits de garder de minces filets
d'eau.
C'est
là que tous les oiseaux du pays se serraient les ailes pour se tenir
au chaud. Arrivèrent sur la Loire des oiseaux peu habitués à y
séjourner. Des barbaries, des cols verts et surprise pour notre oie,
un magnifique jars domestique sur lequel elle jeta son dévolu. Ils
se plurent immédiatement, l'animal de ferme lui trouvant caractère
plus trempé que les femelles de sa cour. Ils décidèrent d'unir
leurs destins. Quand la débâcle suivit l'embâcle et que tous les
visiteurs s'en retournèrent chez eux, le jars élut domicile sur les
rives d'une petite île boisée avec sa douce dulcinée.
Vinrent
bien vite les beaux jours et leurs amours réjouirent ceux qui eurent
le bonheur d'assister à leur parade nuptiale. Jamais on ne vit
spectacle plus charmant ! Des beaux enfants furent les fruits qu'on
croyait bénis de cette union ligérienne. Mais les hommes viennent
parfois se mêler de ce qui ne les regarde pas. De doctes
spécialistes pensèrent qu'il y avait là union contre nature,
risque d'abâtardir l'espèce. La première portée fut occise sans
ménagement par ces méchants gardiens de l'ordre normal.
L'amour
étant plus fort que le dictat des hommes, le jars et notre oie
sauvage allèrent se réfugier loin de ces vilains hommes. Ils ne
désarmèrent pas et leur union donna de nouveaux rejetons.
Maintenant sur la Loire, vous pourrez admirer une nouvelle espèce,
fruit d'un croisement que les hommes, dans leur prétention folle,
refusaient de voir grandir sur le fleuve. Cette histoire n'est pas
une menterie, prenez la peine de regarder autour de vous. On
n'entrave pas les amours, nulle barrière, fut-elle dressée par les
hommes, ne peut s'opposer à la puissance des cœurs qui battent l'un
pour l'autre. Retenez la leçon, elle vaut pour les oies comme pour
les hommes.
Nuptialement
leur.
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