samedi 8 juillet 2017

Une nuit sur la Loire


En eau douce...
Le cycle de la vie.


Il était une fois deux amoureux qui eurent le désir de passer une nuit de tendresse au milieu de l’eau. La Loire permet ce genre de fantaisie par le truchement de quelques mariniers coquins et avisés, offrant de fort belles toues cabanées afin que puisse se réaliser ce phantasme accessible désormais, dans le plus grand confort. C’est donc juste en face du magnifique village de Candes-Saint-Martin que se déroula cette histoire sur le bateau de l’ami Denis R, un vigneron d’exception et un hôtelier fluvial.

Tout commença pour notre Juliette et son Roméo par un somptueux dîner aux chandelles. Le maître des lieux étant en relation avec un chef étoilé qui avait conçu pour lui et ses hôtes un repas à la cassolette de grande classe, permettant au timonier de réchauffer et de servir avec les moyens du bord. Quant aux vins, ils venaient naturellement de la propriété du capitaine ce qui ne peut nuire à la qualité de la prestation.

Une fois les agapes achevées, Denis, en homme de Loire discret, s’en retourna à terre, laissant nos deux tourtereaux à leurs amours. Seuls entre Loire et Vienne, les deux amants purent ainsi se livrer à un petit pas de valse qui se danse de mille et une manières quand le désir se conjugue avec la passion. Nous ne saurions leur jeter la pierre et tout au contraire envions la fougue de cette jeunesse exaltée par l’empire des sens.

Roméo, après avoir une première fois fait chavirer le cœur et les sentiments de sa belle qui lui avait rendu la même gratifiante récompense, voulut deviser avec la dame toute pâmée sur le pont. C’était une nuit de pleine Lune, une clarté angélique baignait la confluence des deux rivières. Au loin, le château de Montsoreau donnait à la scène des allures de conte de fées. Il ne manquait plus qu’un petit air de violon pour souligner les propos du jeune homme.

Il avait l’humeur poétique, il était exalté par les ébats qu’ils venaient de partager en une fusion sans pareille. Il lui déclara son amour tout en lui expliquant que la nature entière se mettait au diapason, que rien en cet instant ne pouvait être plus beau pour célébrer leur union. Il est vrai qu’un silence trompeur accompagnait son discours et que la tiédeur de cet été naissant était de nature à croire en l’harmonie universelle. Pourtant, à deux pas de là se poursuivait l’impitoyable tragédie du jeu de la survie.

Tout commença quand une mouette plongea brusquement dans les flots, attrapant au passage une ablette qui allait vivre son seul et unique baptême de l’air. Le petit poisson tenta bien de frétiller tandis que l’oiseau remontait dans le ciel étoilé. De son œil rond et étonné, le poisson vit la Lune avant de succomber d’un coup de bec fatal.

Au fond de l’eau, d’autres drames se déroulaient sans que nos deux étourdis d’amour n’en sachent rien. Un silure, toujours à l'affût, ouvrit grand son effroyable gueule. Une tanche en goguette se vit littéralement aspirée par le monstre. Elle fut déchirée avant de disparaître, avalée par l’animal vorace.

Non loin de là, une grenouille sur la rive détendit sa langue pour prendre à son piège une gracile libellule. La pauvrette n’eut pas le temps de comprendre, qu’elle se trouvait engluée et tétanisée. Elle disparut sans même un ultime adieu pour celles de son espèce. Le batracien ne profita guère de son forfait, un héron en chasse l’attrapa dans son long bec. Elle connut, elle aussi, les affres qu’elle avait fait subir à l’insecte, victime d’un terrible harpon.

Une carpe passa dans le secteur. Elle vit une écrevisse qui venait de se délecter d’un ver. Son repas n’eut pas le temps de lui faire profit, le gros poisson lui régla à son tour un vilain sort. Tandis qu’à deux brassées de là, une vipère se fit un festin d’un bébé sterne tout juste sorti de son œuf. Une fois encore, la chaîne alimentaire joua de sa terrible loterie et le reptile qui était remonté sur la berge fut avalé par un blaireau.

Nos deux amants s’embrassaient, persuadés que le monde était à leur diapason. C’est confiant en l’avenir qu’ils retournèrent célébrer à nouveau leur passion dans une belle sarabande des corps. Cette fois, la nature joua son rôle et un petit spermatozoïde plus aventureux que les autres se glissa subrepticement dans un ovule qui ne demandait qu’à être fécondé. À voir la toue chavirer de bonheur et à entendre dans le silence de cette belle nuit ligérienne le sublime chant d'extase de la future mère, il est permis de penser que le jeu de la vie et de la mort est le plus beau qui soit.

Un être allait naître de cette nuit enchanteresse. Des centaines d’autres avaient connu sort moins enviable. C’est ainsi que se joue la tragédie de la vie. Il nous appartient de souhaiter longue et belle vie à ce petit enfant à naître qui, à son tour, participera prochainement à ce mystérieux cycle des espèces. Le jour allait se lever entre Vienne et Loire, les deux amants, étourdis de leurs folies s’endormaient enfin. Puissent-ils jouir longtemps encore de ce merveilleux bonheur !

Cyclement leur.

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