lundi 10 juillet 2017

Le pont du diable !



L'arche qui ne fit pas alliance ...



Il était une fois au pays des menteries, une belle histoire à ne pas croire, qu'on prenait pour vraie en aux moins deux villes de notre Loire. Nous tairons donc les noms de ces localités pour ne pas provoquer fâcherie ou récriminations, querelles de clocher ou bien de pilastres. Car les gens d'ici, sont sourcilleux quand il s'agit du fleuve. La suite vous prouvera que c'est à raison qu'ils doivent s'en méfier !

Il était donc village qu'on ne nommera pas, qui avait grand peine pour la simple et malcommode raison de ne point avoir de pont pour enjamber le fleuve. La chose est hélas bien fréquente dans notre Val. Le sous-sol est ici, sillonné de lits souterrains, de sable qui s'effondre et de bîmes qui vous entraînent dans les profondeurs de la terre. Construire un pont est une aventure périlleuse tout autant que fort couteuse. Rares étaient à l'époque les lieux où l'on pouvait traverser à pied sec !

Ici donc, on faisait comme presque partout ailleurs. Il fallait louer les services d'un passeur, prendre une barque pour aller voir de l'autre côté de la Loire. Il y avait parfois des jours où les eaux rendaient périlleuse cette simple traversée, d'autres où l'argent venait à vous manquer. Il fallait réfléchir à deux fois pour cette si simple envie d'aller sur l'autre rive. Ceux du Berry restaient donc entre eux, bien loin de ceux de Gaulle qu'ils ne voyaient pas souvent.

Le maire du village était un homme ambitieux pour sa communauté. Il rêvait d'un pont pour relier les hommes et, l'histoire a oublié d'en garder mémoire, rendre plus souvent visite à la belle Fanchon qui tenait la buvette sur l'arrivel d'en face. Il se dit même qu'il y avait entre eux, des accointances secrètes. C'est par pudeur que nous ne nous étendrons pas sur ce sujet scabreux.

Cependant, habitué qu'il était à tirer le diable par la queue, notre maire ne fut pas plus surpris que ça, d'avoir un matin, la visite de Lucifer en personne. De nos jours, ce genre de rencontre semble improbable. Les gens ont perdu foi aux choses secrètes. Le matérialisme a remporté la partie et c'est bien regrettable. Notre bonne ville de Cenabum aurait déjà son Aréna si notre bourgmestre se fiait encore aux diableries du malin. Mais ceci est une autre histoire …

Or donc, le diable et le maire tenaient conciliabule en la maison commune du bourg. Monsieur Le Notable, tout endimanché, avait l'intention de faire, dans la journée, un petit brin de visite à la Fanchon. Il avait pris ces plus beaux habits et portait autour du cou, une magnifique chaîne en or qu'il ne quittait jamais.

Le premier magistrat s'enquit de la visite de ce drôle de citoyen corné au regard de braise. Quand on a responsabilité publique, il ne faut faire bonne figure à tous et à chacun. C'est ce qu'il avait l'intention de faire, même si ce personnage ne lui disait rien qui vaille. Pourtant le diable, se montra fort affable et tint conversation empreinte de cordialité. Il ne faut jamais se fier aux apparences, c'est bien la première leçon de cette fable.
Lucifer, Belzébuth ou Satan, nous l'appellerons comme il vous agrée, venait parler affaire avec l'élu du pays. Il avait ouï les plaintes des gens du pays et proposa ses services à cette petite bourgade. Puisque un pont manquait tant aux braves gens d'ici, lui, fort de ses dons multiples et de ses accointances souterraines, se faisait fort de bâtir un pont de pierre dans la nuit.

L'offre était attirante, les délais raisonnables, le Maire sentait pourtant qu'il y avait bien là manigance ou rouerie. Il ne pouvait accepter cette offre sans un examen attentif des conditions du contrat d'autant qu'il faisait fi des règles qui prévalent aux marchés publics. Dans ces conditions incertaines, craignant le recours administratif, il devait faire preuve de prudence et de sagesse.

Il s'enquit tout d'abord du montant des travaux. L'homme était un bon diable, il s'indigna et jura ses grands dieux qu'entre eux, jamais, il ne serait question d'argent. Le malin travaille, c'est bien connu pour la gloire de son royaume. Jamais vous ne trouverez personnage plus désintéressé que lui !

Le Maire voyait qu'on cherchait, à n'en point douter, à lui jouer un fort mauvais tour. Il fallait jouer serré avec ce visiteur à la beauté étrange. Il lui demanda pourtant et sans ambages qu'elle pouvait bien être la contrepartie de cette offre mirobolante. L'autre alors de lui exprimer simplement les clauses de son marché : «  Je ne veux monsieur, rien d'autre, que le premier qui franchira ce pont que je vous construirai dans la nuit. Celui-là, pour toujours m'appartiendra. Séance tenante, je prends son âme et jamais plus, vous n'entendrez parler de moi ! »

L'élu vit immédiatement quel parti prendre de cette étrange affaire. Il pourrait se débarrasser de son vieil adversaire, son opposant de toujours, en lui proposant par exemple d'inaugurer le pont. Il accepta le marché, tapa dans la main du diable qui partit bien vite dans un éclat de rire. Le méchant avait compris les intentions du maire et pensait, pour ce menu service, s'offrir à bon compte, une âme respectable !

La journée passa sans que le Maire ne dise rien de ce qu'il avait conclu. Il vaqua à ses occupations et s'offrit même ce petit tour de l'autre côté du fleuve dont nous ne dirons rien. Est-ce les faveurs de Fanchon, la réflexion ou bien le peu de conscience qu'il avait encore, mais l'homme avait changé d'idée. Il ne pouvait sacrifier son ennemi juré à Satan, depuis les mœurs politiques ont bien changé et nos édiles enverraient au diable ceux qui s'opposent à eux.

Au très petit matin, il y eut dans la ville immense fracas et grand tonnerre. Le ciel se déchira et des éclairs tels que nul humain n'en vit jamais zébrèrent les cieux et éblouirent tous les gueux. Quand le calme revint, il y avait, enjambant la Loire, un grand et magnifique pont de pierre !

Passée la stupeur, chacun se précipita devant l'entrée du pont. Les gens étaient si ébahis, que nul ne songea à y mettre les pieds. C'est heureux, la surprise est parfois bonne conseillère. Elle eut tout autant des effets sur le maire à qui un ange venait de souffler dans l'oreille une petite idée !

Il demanda à ses concitoyens de se ranger derrière lui. C'était un temps où la foule se montrait raisonnable et chacun écoutait les recommandations qu'on lui donnait. Il s'empara d'une vilaine bête, un chat, teigne comme pas deux, qui effrayait toujours les petits enfants. Il s'approcha doucement, un peu craintif de ce pont aux allures étranges. Il avait bien une sourde angoisse, il savait qu'il risquait d'avoir le diable à ses trousses !

Il empoigna le chat, lui jeta un seau d'eau ! Ce vieux matou désagréable, prit ses jambes à son cou, traversa le pont en miaulant de rage. De l'autre côté, Satan attendait le paiement de son pacte. Il vit arriver la bête aux poils hérissés en devinant trop tard qu'il avait été grugé.

Le diable vit rouge, ce qui ne surprit personne. Il prit le chat pour paiement de ce marché de dupe et rentra dans une colère qui resta longtemps encore dans les mémoires des gens du pays. Il se lança dans une imprécation folle, jura, cracha, vociféra et voua tous les gens d'ici aux promesses des feux de chez lui. Il savait pourtant que ces menaces étaient vaines, il avait été roulé, il fallait bien qu'il en convienne !

Le diable pourtant est un mauvais perdant, il s'offrit une ultime mesquinerie en quittant les lieux de sa défaite. Il donna un grand coup de pied dans l'une des arches de son pont qui la fit décalée. Le pont restait debout mais la marques de sa colère sera visible pour le reste des temps. Il partit la tête basse et sa queue fourchue entre les jambes, en hurlant à ceux de l'autre rive :
« Messieurs et mesdames les gens de ce pays, vous êtes de bien vilaines gens. Désormais, vos voisins des villes alentours diront de vous que vous n'êtes que des chats ! »

Depuis ce jour, pour faire la nique au malin, les habitants de ces villes font chaque année grande et belle fête des châtaignes. C'est leur manière à eux de se rire du diable et de lui jouer chaque fois, un mauvais tour à leur façon. Si la châtaigne finit toujours par griller sur les feux de l'enfer, il se peut parfois qu'on se pique à son bogue. Celui qui croit prendre peut aussi bien être pris, c'est la leçon de cette histoire certainement pas sans queue fourchue ni tête cornée !

Chatement sien
 

Diablement vôtre.

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