Maximilien et moi.
Dans
un temps lointain, un cavalier chevauchait sur notre bord de Loire.
Il venait du monastère de Fleury et remontait le fleuve. Maximilien
puisque c'est de lui qu'il s'agit, a quarante et un ans. Il a
derrière lui un passé de batailles et de terribles souvenirs. Il
fut de ceux qui échappèrent à la folie meurtrière en une nuit de
Saint Barthélémy, qui sera pour toujours, une tache infâme sur
l'histoire de France.
Maximilien
est l'ami de Henry de Navarre. Il l'a suivi dans sa lente ascension
au pouvoir. Cela fait maintenant tout juste cinq ans que son ami est
enfin reconnu comme le roi de France sous le nom d'Henry IV.
Maximilien a beaucoup fait pour ce succès, convaincant le roi de
rentrer sous la bannière du pape pour apaiser les querelles de
l'époque.
Mais
laissons ces grimaceries divines, tel n'est pas notre propos ici.
Maximilien chevauche sur la rive Gaulle. Il admire ce fleuve
magnifique et pourtant si violent dans ses colères. Depuis quelques
années, à l'initiative de Charles IX, des agents spéciaux
sillonnent les rives du fleuve, imposent des travaux de consolidation
des Turcies, ces grandes buttes de terre et de bois qui veulent
protéger le val des crues et des ravages.
Maxilien
contemple l'activité immense sur ce fleuve. Il y a des bateaux, un
va et vient incessant qui ne cesse d'alimenter le royaume de tous les
produits dont il a besoin. Il vient juste de passer en Orléans. Il
fut émerveillé de cette ruche humaine, un si grand nombre de voiles
et d'embarcation que la ville, comme le dira La Fontaine quelques
années plus tard, ressemble au grand port de Constantinople tant
l'industrie des hommes est grande autour des embarcations
innombrables !
Maximilien
aime cette région. Sa douceur, sa beauté et sa proximité avec la
capitale où ses charges de surintendant des finances et de grand
maître de l'artillerie l'appellent souvent. Mais il est aussi,
depuis deux ans, le grand Voyer du Royaume, il a le dessein de
construire des levées de pierre sur les deux rives de cette Loire si
dangereuse pour les paysans ses amis. Il cherche un petit pied à
terre, une résidence ligérienne pour superviser ce grand œuvre !
C'est
alors qu'au loin, au détour d'une boucle, surgit un magnifique
château entouré d'eau. Maximilien sait qu'il a trouvé son royaume.
Le château de Sully lui tend les bras et lui donnera le nom qui fit
sa gloire. En 1602, il en devient l'heureux propriétaire et sera Duc
de Sully quatre années plus tard.
Maximilien
s'attache immédiatement à établir les plans et à prévoir le
financement pour ce travail de romain. Endiguer la Loire, protéger
le Val de ses débordements mortels. Il verra de ses propres yeux les
ravages que le fleuve peut faire. Nous sommes en décembre 1608,
l'hiver est terrible, l'embâcle forme une immense banquise. Les eaux
sont très hautes, le froid a figé cette menace sous la glace.
C'est
la débâcle, violente et terrible qui provoquera des catastrophes
comme on n'en vit que bien peu dans tout le pays. Il fallait faire
vite. Maximilien ne voulait pas revoir la vision de désolation qui
lui fut offerte en ces jours terribles. Mais il fallait encore
redresser les finances du royaume pour se lancer dans de tels
travaux.
La
Loire lui fit comprendre que la vanité des hommes est bien peu de
chose face à ses crues soudaines. Jusqu'en 1615, une succession de
calamités aqueuses mettaient à bas tout ce que les hommes tentaient
vainement de dresser face à elle. Puis la persévérance de
Maximilien et surtout du petit peuple appelé aux corvées fit enfin
des miracles. C'est du moins ce qu'ils pensèrent à l'époque.
La
suite prouvera que la levée, en endiguant les crues, provoqua dans
les siècles ultérieurs crues plus méchantes encore. Les eaux,
forcées par ce conduit contraint, firent des courants si forts que
lorsque la digue lâchait, il y avait catastrophe hélas, bien pire.
Ainsi il en va des hommes qui pensent toujours bien faire en espérant
commander la nature avant que de découvrir, trop tard hélas, qu'ils
ne font que jouer les apprentis sorciers !
Mais
revenons à notre huguenot en ces temps lointains. L'homme
était sérieux et fort dur à l'ouvrage. Il fit tant et si bien
qu'il enrichit le pays, géra les comptes du royaume tout aussi bien
que les siens. Si les labourages et les pâturages sont les deux
mamelles du pays, Maximilien gardait pour lui une fort belle partie
du petit lait. Il amassa fortune considérable et renommée
pareillement.
La
roue finit toujours par tourner. Ce fut pour lui un vilain coup de
poignard sur son bon ami Henry qui mit fin à ses années de gloire
et de prospérité. Il se retira sur ses terres jouir du reste de son
âge, admirer sa Loire et écrire ses mémoires. Il voyait bien
monter de nouveaux périls, les hommes sont avant tout, des êtres
déraisonnables,. Sa vieillesse se fit sagesse, sa fortune lui parut
alors source de bien des folies à venir.
Il
écrivit un texte énigmatique : « Je lègue à la terre, ce
que la folie des hommes ne sera pas capable de garder ! ».
Quand Maximilien nous quitta, le 22 décembre 1641, il emporta dans
la tombe le secret de l'écrit. Il vécut en grand, il mourut plus
grand encore, enveloppé d'un mystère qui ne cessera de tourmenter
les envieux.
Ses
descendants, qui gardèrent le château jusqu'en 1962, crurent à la
légende. La dernière propriétaire fut d'ailleurs prise d'une folie
de trésor. Elle fit tant et si bien, elle creusa partout, qu'elle
mit en péril la belle forteresse médiévale. Le Conseil Général
du Loiret sauva le monument en l'achetant à celle qui se prenait
pour une taupe.
Naturellement,
personne ne découvrit jamais ce trésor magnifique : un cheval en or
incrusté de pierres précieuses. C'est que Sully, en homme avisé et
en bon ligérien qu'il était devenu, n'avait pas l'intention que son
trésor remonte à la surface. Il savait que La Loire, seule, était
capable d'entraver la volonté des hommes. Il l'avait comme tous les
gens d'ici, appris parfois à ses dépens.
Maximilien,
aidé par l'un de ces hommes de confiance, marinier émérite et
taiseux comme pas deux, décida un soir de nuit sans lune, de confier
au fleuve royal, une partie du trésor qu'il avait pris au pays. Sur
la barque, le précieux chargement pesait fort lourd, les deux ombres
avançaient dans l'obscurité.
Ils
remontèrent le fleuve jusqu'à la grande fosse de Saint Thibaut. Il
y avait là, à quelques centaines de mètres en amont du château,
sur l'autre rive, un grand trou de Loire connu encore aujourd'hui
pour des prises exceptionnelles de brochets et de sandres de tailles
magnifiques. Mais, il y aurait plus grande prise à faire en ce lieu,
si les hommes étaient capables d'aller dans les profondeurs de la
terre.
Maximilien
peut-être, plus sûrement son homme de confiance, savait qu'en cet
endroit, le fond de lit avait une bîme profonde, une cavité
souterraine qui plongeait dans les entrailles de la terre. C'est en
ce lieu précis qu'ils déposèrent leur fardeau. C'est à la Loire
et ses niveaux successifs, que Maximilien fit ce legs magnifique.
Ne
vous aventurez pas à vouloir vérifier ce que je vous cède ici en
guise de trompeuse menterie. Je la tiens d'un très ancien historien
qui fut mon voisin, jadis en mon pays. La Loire est une tombe
infaillible et vous seriez bien imprudents à vaincre ce qui ne peut
l'être. Laissez donc ce fleuve sauvage garder au plus profond de son
lit ce que, c'est certain, la folie des hommes d'hier comme ceux
d'aujourd'hui, est incapable de garder sans en faire usage
déraisonnable !
Chasse
au trésorement vôtre.
Photographies de Michel Hilt
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