Un
petit bout de mémoire.
Il
était une fois un homme de plume qui ne désirait pas prendre son
envol. Il semait des mots sur la toile, se cachant derrière un
pseudonyme et un écran vide. Il pouvait ainsi tout à loisir écrire
sans jamais dire, raconter à l’écart du monde et des gens. Il
avait la part belle, celle de l’anonymat qui vous préserve des
mécontents, des insuccès et du bec dans l’eau. Lui, de sa place,
pouvait tout à loisir distraire ou bien agacer, piquer ou bien
enchanter sans que jamais personne ne vienne lui exprimer son
enthousiasme ou sa colère.
Il
se pensait ainsi en Saint Just, au pied de la tribune, soufflant le
chaud et le froid sans jamais prendre la parole en public. Il n’avait
qu’à écrire et d’autres se chargeraient bien de porter sa
parole, si elle méritait d’être entendue. Il se rêvait en homme
de l’ombre, celui qu’on ne voit jamais mais qui est toujours
présent au travers de lettres semées à tous vents. C’était si
commode de se cacher ainsi pour, pensait-il, vivre heureux, loin des
soubresauts et des tempêtes.
Puis
un jour, il fut pris au mot à moins que ce ne soient les mots qui
réclamèrent une lettre de sortie, une échappée belle. Ce fut là
que tout bascula, que le silencieux, le discret, sans doute aussi le
lâche, se retrouva en pleine lumière sous le feu des projecteurs et
des regards. Sa vie allait prendre un nouveau virage selon cette
expression curieuse alors qu’en la circonstance, ce fut
soudainement des nids de foule et des dos d’ânes qui se
présentèrent à lui.
Des
amis avaient constitué un groupe musical, une de ces petites
formations qui font le délice des fêtes votives, cantonales ou bien
paroissiales. La simplicité et l’authenticité étant les garants
d’un spectacle sans paillettes ni grimaces. Il leur avait offert un
texte puis deux ou trois qui devinrent des chansons par la grâce
d’un mélodiste sans pareil. Cela suffisait déjà à son bonheur,
entendre sur scène, ne fut-ce qu’une petite estrade champêtre,
ses mots et des vers avait de quoi le combler. Lui resterait à
l’abri des spectateurs, tapi dans un coin à jouir du doux plaisir
de l’orgueil.
Mais
les diables de musiciens avaient une idée en tête. Ils savaient que
le beau parleur avait dans sa musette des contes et des histoires qui
ne demandaient qu’à vivre leur vie au grand jour. La lecture
silencieuse ne fait guère d’écho, elle ne s’impose jamais à
qui ne fait pas l’effort de déchiffrer ces étranges signes qui
forment des mots. Rien ne remplacera jamais la parole, il devait la
prendre au grand jour !
Il
le poussèrent sur l’estrade. Ce ne fut pas leur meilleure idée.
De ce jour, notre homme fut soudainement pris d’une hystérie
démoniaque, d’un besoin irrépressible de faire l’andouille, de
jouer les amuseurs parfois tout en plongeant à d’autres moments
les auditeurs dans la gravité d’un texte plus profond. Il avait
trouvé chaussure à son pied en retirant les siennes, la scène
était un domaine où ses mots seraient roi.
Il
se grima comme un vagabond, un traîneux, un vagabond de la pensée.
Il prit les spectateurs par le cœur pour ne plus les lâcher. Oh,
certes, au début, ce ne fut pas miraculeux. Il bafouillait, se
trompait, hésitait parfois, cherchait encore ses mots et ses
postures, piétinait pour mieux cacher son angoisse. Mais il était
écouté et rien ne pouvait le réjouir d’avantage. Ses mots
trouvaient refuge dans des oreilles bienveillantes, s'insinuaient
plus encore quand ils se faisaient chanson.
Sa
vie se passerait désormais sur le devant de la scène et non plus
dans les travées obscures de la salle. Il se fit Bonimenteur à
défaut de n’être jamais un conteur véritable. Emprunter les
chemins balisés du conte traditionnel ne lui convenait guère. Il
défrichait un nouveau passage, une sente étroite et sinueuse qui
serait sa propre voie. Il inventait un univers peuplé de gueux et de
pauvres gens qui par la magie du récit se faisaient prince de la
rivière.
Mais
revenons à cette journée ou tout bascula dans la déraison.
L’estrade se présentait là, en bord de Loire, dans le charmant
petit port de La Binette. Un public bon enfant, des gens du pays qui
se connaissent tous et s’apprécient. Sur scène, un des leurs, un
musicien qui a constitué un groupe de joyeux lascars.
Soudain,
le chanteur, un petit homme souriant, demande à notre personnage de
venir le rejoindre. Le garçon hésite, se demande soudainement ce
qu’il va pouvoir raconter lui qui dans l’instant ne se rappelle
plus de rien. Il s’exécute, pensant sans doute que le fiasco sera
la récompense de cet unique essai. Il se retrouve devant le public
et tout est alors différent !
Les
mots ressurgissent de sa mémoire, s’enchaînent, se laissent
porter par ses grimaces et ses mimiques. Dans l’assistance, des
rires fusent puis le silence récompense quelques passages plus
sérieux. La communion a eu lieu, le Bonimenteur découvre qu’il
avait bien tort de refuser ainsi ce bonheur sans pareil. Il ne veut
plus s’arrêter, les musiciens devront reprendre la main sinon, il
n’y aura plus de place pour eux.
Un
nouveau personnage est né. Bien sûr, il a dû parfaire la
technique, apprendre à mieux se présenter en public, travailler son
élocution et le placement de sa voix, découvrir les secrets des
conteurs, appréhender un peu mieux les mystères du spectacle
vivant. Mais tout était en place en ce jour de septembre 2013, il y
a bientôt quatre ans de cela. La suite ne demande qu’à se
prolonger encore et encore pour son plus grand plaisir et, il
l’espère de tout son cœur, celui de ceux qui viennent l’écouter.
Narrativement
vôtre.
Photographies : Patrick Loiseau
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