dimanche 2 juillet 2017

Prendre son envol

Un petit bout de mémoire.


Il était une fois un homme de plume qui ne désirait pas prendre son envol. Il semait des mots sur la toile, se cachant derrière un pseudonyme et un écran vide. Il pouvait ainsi tout à loisir écrire sans jamais dire, raconter à l’écart du monde et des gens. Il avait la part belle, celle de l’anonymat qui vous préserve des mécontents, des insuccès et du bec dans l’eau. Lui, de sa place, pouvait tout à loisir distraire ou bien agacer, piquer ou bien enchanter sans que jamais personne ne vienne lui exprimer son enthousiasme ou sa colère.

Il se pensait ainsi en Saint Just, au pied de la tribune, soufflant le chaud et le froid sans jamais prendre la parole en public. Il n’avait qu’à écrire et d’autres se chargeraient bien de porter sa parole, si elle méritait d’être entendue. Il se rêvait en homme de l’ombre, celui qu’on ne voit jamais mais qui est toujours présent au travers de lettres semées à tous vents. C’était si commode de se cacher ainsi pour, pensait-il, vivre heureux, loin des soubresauts et des tempêtes.

Puis un jour, il fut pris au mot à moins que ce ne soient les mots qui réclamèrent une lettre de sortie, une échappée belle. Ce fut là que tout bascula, que le silencieux, le discret, sans doute aussi le lâche, se retrouva en pleine lumière sous le feu des projecteurs et des regards. Sa vie allait prendre un nouveau virage selon cette expression curieuse alors qu’en la circonstance, ce fut soudainement des nids de foule et des dos d’ânes qui se présentèrent à lui.

Des amis avaient constitué un groupe musical, une de ces petites formations qui font le délice des fêtes votives, cantonales ou bien paroissiales. La simplicité et l’authenticité étant les garants d’un spectacle sans paillettes ni grimaces. Il leur avait offert un texte puis deux ou trois qui devinrent des chansons par la grâce d’un mélodiste sans pareil. Cela suffisait déjà à son bonheur, entendre sur scène, ne fut-ce qu’une petite estrade champêtre, ses mots et des vers avait de quoi le combler. Lui resterait à l’abri des spectateurs, tapi dans un coin à jouir du doux plaisir de l’orgueil.

Mais les diables de musiciens avaient une idée en tête. Ils savaient que le beau parleur avait dans sa musette des contes et des histoires qui ne demandaient qu’à vivre leur vie au grand jour. La lecture silencieuse ne fait guère d’écho, elle ne s’impose jamais à qui ne fait pas l’effort de déchiffrer ces étranges signes qui forment des mots. Rien ne remplacera jamais la parole, il devait la prendre au grand jour !

Il le poussèrent sur l’estrade. Ce ne fut pas leur meilleure idée. De ce jour, notre homme fut soudainement pris d’une hystérie démoniaque, d’un besoin irrépressible de faire l’andouille, de jouer les amuseurs parfois tout en plongeant à d’autres moments les auditeurs dans la gravité d’un texte plus profond. Il avait trouvé chaussure à son pied en retirant les siennes, la scène était un domaine où ses mots seraient roi.

Il se grima comme un vagabond, un traîneux, un vagabond de la pensée. Il prit les spectateurs par le cœur pour ne plus les lâcher. Oh, certes, au début, ce ne fut pas miraculeux. Il bafouillait, se trompait, hésitait parfois, cherchait encore ses mots et ses postures, piétinait pour mieux cacher son angoisse. Mais il était écouté et rien ne pouvait le réjouir d’avantage. Ses mots trouvaient refuge dans des oreilles bienveillantes, s'insinuaient plus encore quand ils se faisaient chanson.

Sa vie se passerait désormais sur le devant de la scène et non plus dans les travées obscures de la salle. Il se fit Bonimenteur à défaut de n’être jamais un conteur véritable. Emprunter les chemins balisés du conte traditionnel ne lui convenait guère. Il défrichait un nouveau passage, une sente étroite et sinueuse qui serait sa propre voie. Il inventait un univers peuplé de gueux et de pauvres gens qui par la magie du récit se faisaient prince de la rivière.

Mais revenons à cette journée ou tout bascula dans la déraison. L’estrade se présentait là, en bord de Loire, dans le charmant petit port de La Binette. Un public bon enfant, des gens du pays qui se connaissent tous et s’apprécient. Sur scène, un des leurs, un musicien qui a constitué un groupe de joyeux lascars.

Soudain, le chanteur, un petit homme souriant, demande à notre personnage de venir le rejoindre. Le garçon hésite, se demande soudainement ce qu’il va pouvoir raconter lui qui dans l’instant ne se rappelle plus de rien. Il s’exécute, pensant sans doute que le fiasco sera la récompense de cet unique essai. Il se retrouve devant le public et tout est alors différent !

Les mots ressurgissent de sa mémoire, s’enchaînent, se laissent porter par ses grimaces et ses mimiques. Dans l’assistance, des rires fusent puis le silence récompense quelques passages plus sérieux. La communion a eu lieu, le Bonimenteur découvre qu’il avait bien tort de refuser ainsi ce bonheur sans pareil. Il ne veut plus s’arrêter, les musiciens devront reprendre la main sinon, il n’y aura plus de place pour eux.

Un nouveau personnage est né. Bien sûr, il a dû parfaire la technique, apprendre à mieux se présenter en public, travailler son élocution et le placement de sa voix, découvrir les secrets des conteurs, appréhender un peu mieux les mystères du spectacle vivant. Mais tout était en place en ce jour de septembre 2013, il y a bientôt quatre ans de cela. La suite ne demande qu’à se prolonger encore et encore pour son plus grand plaisir et, il l’espère de tout son cœur, celui de ceux qui viennent l’écouter.

Narrativement vôtre.

 Photographies : Patrick Loiseau

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