Que
la lumière soit !
Le
métier de Bonimenteur n'est pas nouveau en bord de Loire. D'autres,
bien avant moi l'ont exercé avec bien plus de talent et sans souci
de vérité. Ils firent même preuve parfois d'une imagination
débordante devant laquelle je ne puis que m'incliner.
En
voici la preuve en une époque lointaine où les ligériens d'alors
avaient sans doute besoin de lumière pour distinguer la vraie foi
des pratiques obscures de nos ancêtres. Des hommes de robes
sollicitèrent alors des services d'un conteur pour la gloire d'un
tison et la défaite d'un dragon !
Nous
sommes au début du VI° siècle, en 511pour être précis. Notre
brave Clovis dont le patronyme signifie « Illustre dans la bataille
», vint tenir concile en notre bonne ville d'Orléans avec 32
évêques. Il fallait installer durablement la foi chrétienne, se
débarrasser tout dans le même temps de l'arianisme et des vieilles
croyances païennes.
Pour
asseoir une autorité religieuse naissante et encore chancelante,
Clovis avait préparé le terrain en bord de Loire, en envoyant,
trois années plus tôt, Saint Euspice et son neveu Mesmin construire
un monastère sur la presqu'île de Micy, en un endroit proche de la
Pointe de Courpin.
Les
moines ne sont pas manchots, ils se mettent bien vite au travail,
défrichent à tour de herses et drainent ces terres humides grâce à
des moulins. Ils endiguent la rivière, construisent des levées et
des jetées pour faciliter le transport des marchandises par la Loire
et assurer leur gloire
Pourtant,
ce travail de romain ne plait pas alentour. Le bon peuple en a fini
avec la domination des latins et voilà que d'autres envahisseurs, à
moitié francs, viennent leur imposer croyances et manières de
faire. Les ligériens sont rétifs, Clovis devine qu'il faut frapper
les esprits et les consciences pour leur faire entendre raison.
Abandonnant la force, il use cette fois de la parole pour venir à
ses fins.
Nos
moines cénobites, puisque tel était la règle collective de nos
joyeux bâtisseurs, firent appel à un raconteur d'histoires, un
certain Nabumus, fort connu dans le pays pour faire avaler des
couleuvres et bien des sornettes par la seule force de son
imagination. Pour agenouiller les gens du pays, rien de tel qu'une
belle histoire ! Elle vous met les crédules et les naïfs dans la
poche et en fait des proies bien commodes.
Nabumus
était alors un sage anachorète vivant dans une grotte située juste
en face du monastère. Il traversa le fleuve sur une plate marinière
et vint passer quelques jours parmi les moines pour trouver
inspiration et plaisirs de la chair. C'est quand on a la panse bien
pleine que les menteries vous viennent facilement à l'esprit. Ventre
affamé n'a ni oreilles ni imagination …
Là,
il trouva largement de quoi satisfaire son appétit et remplir sa
mission tout autant que sa sous-ventrière. C'est d'ailleurs en
observant attentivement le petit Mesmin, neveu du maître de maison,
préparer un gibier à la broche qu'il eut l'idée de servir le conte
qui tiendra lieu de légende dans le pays. Plus les ficelles sont
grosses, plus la fable a de bonne chance de prendre, il savait la
chose et ne se priva pas de l'appliquer.
Notre
Bonimenteur, connaissant intimement les lieux et les gens du pays,
leur amour pour la Loire et le goût pour les animaux fantastiques.
Il inventa une bataille farouche et magnifique entre Mesmin armé
d'un tison et un dragon qui aurait élu domicile dans la grotte (là
même où notre brave conteur avait son domicile) dans un village
qu'on nommait alors Béraire.
La
chose était si extravagante, le combat si parfaitement raconté que
bien vite, le soir au coin du feu, elle passa de bouche en bouche
dans toute la région. Le succès fut tel que la grotte devint lieu
de pèlerinage. La vraie foi avait balayé les vieilles croyances,
Mesmin, par le truchement de Nabumus avait apporté la lumière de
son tison miraculeux. Les croyances celtes, les cultes païens
venaient de subir un coup fatal par le truchement d'une menterie à
peine croyable ...
Mesmin
fut bien vite déclaré Saint. Le temps était propice à la
béatification. Dans l'abbaye de Micy cette belle promotion toucha 26
des 30 pensionnaires (on s'interroge sur les travers des quatre
oubliés). Outre Eustache et Mesmin, saint Avit, saint Théodemir,
saint Doulchard, saint Lyé, saint Fraimbault, saint Urbice, saint
Sénard, saint Amatre, saint Calais, saint Pavas, saint Viatre, les
deux saints Léonard, saint Rigomer, saint Liphard, saint Dié, saint
Eusice, saint Almire, saint Ulphace, saint Romer, saint Ernée, saint
Front, saint Gault et saint Brice démontrèrent tous que les temps
étaient à la promotion rapide dans la maison.
L'histoire
aurait pu se terminer là, entièrement à la gloire des moines et à
la plus totale déconfiture pour notre conteur. Mesmin, à la santé
fragile (qui était bien naïf pour l'imaginer terrassant un dragon)
mourut en pleine gloire en 520 en réclamant à être inhumé sur le
lieu de ses exploits mirifiques. Son tombeau devient un lieu de
pèlerinage et des miracles, cela va de soi, devaient s'y produire.
C'est
encore vers Nabumus que se tournèrent les moines pour tailler fable
sur mesure pour faire la légende dorée d'un vil gredin. L'histoire
d'Agylus, grâvce à lui, est arrivée jusqu'à nous. L'homme est
notable d'Orléans. Nous sommes en 564, le vicomte rend une justice
sévère et prélève l'impôt avec une grande gourmandise Un de ses
serviteurs, un pauvre esclave, commet alors une faute grave. Il sait
qu'il va encourir la vengeance terrible de ce maître sans pitié. Il
s'en sauve afin de se réfugier dans le sanctuaire sacré. Il
réclame le droit d'asile en une époque où il était respecté.
Agylus
voit cela, fou de colère, il menace de faire un exemple. Il avance,
l'épée à la main, mais parvenu auprès de la grotte, son cheval
s'arrête et Agylus tout comme sa monture se sent frappé de
paralysie. Alors, comprenant sa faute, il supplie par la prière
saint Mesmin de lui rendre la santé et lui fait vœu de construire
une église au-dessus de la grotte. Agylus tiendra sa promesse et
héritera lui aussi de la récompense suprême. Désormais, il sera
saint Ay et frappé par la grâce passera le reste de sa vie en
bontés diverses.
Nabumus
eut fort à faire en ces années de gloire. Il lui fallut tailler sur
mesure des miracles pour tous les saints du monastère. Il y avait de
l'ouvrage ! Personne jamais, ne lui attribua le mérite de toutes ses
somptueuses légendes. Ceux qui vivent de belles paroles sont
rarement récompensés en retour ! C'est la seule morale de cette
histoire que nous n'êtes naturellement pas obligés de croire.
Hagiographiquement
vôtre
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