mercredi 12 juillet 2017

Mesmin et le dragon.



Que la lumière soit !



Le métier de Bonimenteur n'est pas nouveau en bord de Loire. D'autres, bien avant moi l'ont exercé avec bien plus de talent et sans souci de vérité. Ils firent même preuve parfois d'une imagination débordante devant laquelle je ne puis que m'incliner.

En voici la preuve en une époque lointaine où les ligériens d'alors avaient sans doute besoin de lumière pour distinguer la vraie foi des pratiques obscures de nos ancêtres. Des hommes de robes sollicitèrent alors des services d'un conteur pour la gloire d'un tison et la défaite d'un dragon !

Nous sommes au début du VI° siècle, en 511pour être précis. Notre brave Clovis dont le patronyme signifie « Illustre dans la bataille », vint tenir concile en notre bonne ville d'Orléans avec 32 évêques. Il fallait installer durablement la foi chrétienne, se débarrasser tout dans le même temps de l'arianisme et des vieilles croyances païennes.

Pour asseoir une autorité religieuse naissante et encore chancelante, Clovis avait préparé le terrain en bord de Loire, en envoyant, trois années plus tôt, Saint Euspice et son neveu Mesmin construire un monastère sur la presqu'île de Micy, en un endroit proche de la Pointe de Courpin.

Les moines ne sont pas manchots, ils se mettent bien vite au travail, défrichent à tour de herses et drainent ces terres humides grâce à des moulins. Ils endiguent la rivière, construisent des levées et des jetées pour faciliter le transport des marchandises par la Loire et assurer leur gloire

Pourtant, ce travail de romain ne plait pas alentour. Le bon peuple en a fini avec la domination des latins et voilà que d'autres envahisseurs, à moitié francs, viennent leur imposer croyances et manières de faire. Les ligériens sont rétifs, Clovis devine qu'il faut frapper les esprits et les consciences pour leur faire entendre raison. Abandonnant la force, il use cette fois de la parole pour venir à ses fins.

Nos moines cénobites, puisque tel était la règle collective de nos joyeux bâtisseurs, firent appel à un raconteur d'histoires, un certain Nabumus, fort connu dans le pays pour faire avaler des couleuvres et bien des sornettes par la seule force de son imagination. Pour agenouiller les gens du pays, rien de tel qu'une belle histoire ! Elle vous met les crédules et les naïfs dans la poche et en fait des proies bien commodes.

Nabumus était alors un sage anachorète vivant dans une grotte située juste en face du monastère. Il traversa le fleuve sur une plate marinière et vint passer quelques jours parmi les moines pour trouver inspiration et plaisirs de la chair. C'est quand on a la panse bien pleine que les menteries vous viennent facilement à l'esprit. Ventre affamé n'a ni oreilles ni imagination …

Là, il trouva largement de quoi satisfaire son appétit et remplir sa mission tout autant que sa sous-ventrière. C'est d'ailleurs en observant attentivement le petit Mesmin, neveu du maître de maison, préparer un gibier à la broche qu'il eut l'idée de servir le conte qui tiendra lieu de légende dans le pays. Plus les ficelles sont grosses, plus la fable a de bonne chance de prendre, il savait la chose et ne se priva pas de l'appliquer.

Notre Bonimenteur, connaissant intimement les lieux et les gens du pays, leur amour pour la Loire et le goût pour les animaux fantastiques. Il inventa une bataille farouche et magnifique entre Mesmin armé d'un tison et un dragon qui aurait élu domicile dans la grotte (là même où notre brave conteur avait son domicile) dans un village qu'on nommait alors Béraire.

La chose était si extravagante, le combat si parfaitement raconté que bien vite, le soir au coin du feu, elle passa de bouche en bouche dans toute la région. Le succès fut tel que la grotte devint lieu de pèlerinage. La vraie foi avait balayé les vieilles croyances, Mesmin, par le truchement de Nabumus avait apporté la lumière de son tison miraculeux. Les croyances celtes, les cultes païens venaient de subir un coup fatal par le truchement d'une menterie à peine croyable ...

Mesmin fut bien vite déclaré Saint. Le temps était propice à la béatification. Dans l'abbaye de Micy cette belle promotion toucha 26 des 30 pensionnaires (on s'interroge sur les travers des quatre oubliés). Outre Eustache et Mesmin, saint Avit, saint Théodemir, saint Doulchard, saint Lyé, saint Fraimbault, saint Urbice, saint Sénard, saint Amatre, saint Calais, saint Pavas, saint Viatre, les deux saints Léonard, saint Rigomer, saint Liphard, saint Dié, saint Eusice, saint Almire, saint Ulphace, saint Romer, saint Ernée, saint Front, saint Gault et saint Brice démontrèrent tous que les temps étaient à la promotion rapide dans la maison.

L'histoire aurait pu se terminer là, entièrement à la gloire des moines et à la plus totale déconfiture pour notre conteur. Mesmin, à la santé fragile (qui était bien naïf pour l'imaginer terrassant un dragon) mourut en pleine gloire en 520 en réclamant à être inhumé sur le lieu de ses exploits mirifiques. Son tombeau devient un lieu de pèlerinage et des miracles, cela va de soi, devaient s'y produire.

C'est encore vers Nabumus que se tournèrent les moines pour tailler fable sur mesure pour faire la légende dorée d'un vil gredin. L'histoire d'Agylus, grâvce à lui, est arrivée jusqu'à nous. L'homme est notable d'Orléans. Nous sommes en 564, le vicomte rend une justice sévère et prélève l'impôt avec une grande gourmandise Un de ses serviteurs, un pauvre esclave, commet alors une faute grave. Il sait qu'il va encourir la vengeance terrible de ce maître sans pitié. Il s'en sauve afin de se réfugier dans le sanctuaire sacré. Il réclame le droit d'asile en une époque où il était respecté.

Agylus voit cela, fou de colère, il menace de faire un exemple. Il avance, l'épée à la main, mais parvenu auprès de la grotte, son cheval s'arrête et Agylus tout comme sa monture se sent frappé de paralysie. Alors, comprenant sa faute, il supplie par la prière saint Mesmin de lui rendre la santé et lui fait vœu de construire une église au-dessus de la grotte. Agylus tiendra sa promesse et héritera lui aussi de la récompense suprême. Désormais, il sera saint Ay et frappé par la grâce passera le reste de sa vie en bontés diverses.

Nabumus eut fort à faire en ces années de gloire. Il lui fallut tailler sur mesure des miracles pour tous les saints du monastère. Il y avait de l'ouvrage ! Personne jamais, ne lui attribua le mérite de toutes ses somptueuses légendes. Ceux qui vivent de belles paroles sont rarement récompensés en retour ! C'est la seule morale de cette histoire que nous n'êtes naturellement pas obligés de croire.

Hagiographiquement vôtre


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