L'arbre
de la renaissance.
Il
était une fois sur les rives de Loire, une petite graine portée par
un oiseau de passage. Une simple graine qui décida de s'enraciner
sur les berges, de se dresser malgré le vent, le froid, l'eau qui
vint souvent à lécher sa frêle tige et surtout les rongeurs,
toujours prompts à dévorer de jeunes pousses. Le petit arbre
grandit, s'éleva fièrement vers le ciel de Loire, le plus beau
qu'il fût donné de voir …
Il
était devenu un arbre majestueux, un fier saule noir qui ne cessa
de croître et d'embellir, de dresser sur la rive sa formidable
chevelure. C'est à ses pieds que se déroulèrent bien des secrets,
des confidences et des amours. Il vit grandir des enfants qui devenus
adultes, furent parents à leur tour .Il vit aussi les enfants de
leurs enfants. Il était somptueuse présence tutélaire sur les
rives de la fille Liger …
Mais
un jour, sans trop qu'on sache pourquoi un castor choisit de
s'attaquer à son tronc . L'arbre en sentant les premières
morsures, comprit alors que ses jours étaient comptés, qu'il allait
bientôt disparaître de ce territoire enchanté. Il avait eu une
belle vie, longue et heureuse ; non, il n'avait rien à regretter …
Le
castor revint et s'acharna sur le saule pendant deux ou trois
jours; il y avait beaucoup à faire pour faire tomber cet arbre
vénérable, ce qui n'est pas le cas de certains arbustes,
incapables de tenir bon plus d'une journée . Il résista, debout
aussi longtemps qu'il put. Il avait raison, car ce n'est pas sous les
coups sournois du gentil rongeur qu'il allait perdre la partie.
En
effet, ce jour-là, la Loire se mit à gonfler, elle gronda, enfla,
se fit violente et puissante. Elle déborda comme elle aime à le
faire parfois, arrachant tout sur son passage et le pauvre arbre fut
emporté comme fétu de paille. Rien ni personne ne peut arrêter la
rivière déchaînée quand elle déborde ainsi de toutes parts.
Notre
arbre devint lui aussi une épave flottante parmi les corps
d'animaux, les objets abandonnés, les végétaux arrachés, tous
charriés par les eaux en furie. Il n'avait plus qu'à suivre le
mouvement, allant au gré des fantaisies des flots. La vie et la mort
d'un arbre ne sont que peu de chose face à la violence d'un fleuve
en colère. Il allait finir, sur une berge, bois flotté, abandonné,
bien vite brûlé par les hommes ravis de cette aubaine.
Pourtant,
notre saule allait connaître un autre destin.. L'arbre
gigantesque était encore muni de la plupart de ses branches. On
eût dit un immense corps flottant, un monstre couché dont la
puissance encore redoutable, pouvait briser un bateau, déchirer une
maison, mettre à mal un pont. Il n'en fut rien cependant.
Au
détour d'une courbe de la rivière, en un endroit où le courant se
fait moins violent, au milieu du lit, un obstacle imprévisible, un
amoncellement de pieux et de rochers arrêtèrent la course du géant.
Il se planta là, corps inerte parmi le tumulte et devint à son
tour, un obstacle plus grand et imposant que les autres, barricade
incroyable qui se dressait au milieu du fleuve.
Les
eaux retrouvèrent leur cours habituel et la vie de la rivière
reprit son rythme ordinaire. Cependant, la Loire ne cesse de
transporter du limon et du sable, des déchets et des pierres.
L'arbre couché fut pour tous, un réceptacle, un piège, un support,
le début d'une nouvelle histoire. Cet agrégat de matières diverses
devint point de départ pour une nouvelle aventure.
Un
îlot allait naître; il devint bientôt île. Au fil des années,
des arbustes s'enracinèrent, des animaux s'installèrent, la vie
prit possession de cet espace gagné sur la rivière, né d'elle et
qui désormais avait son existence propre. Cette île grandit; elle
devint même l'une des plus importantes en cette partie de notre
Loire.
L'histoire
pourrait en rester là et ne serait que des plus banales car notre
Loire est un fleuve sauvage qui ne cesse de façonner son territoire
et ses abords, qui se plaît à se transformer, toujours changeante
au fil des saisons et des ans. La vie y est si opiniâtre, affronte
des difficultés si considérables, des variations si incroyables
que rien de sa part ne devrait nous surprendre.
L'arbre
qu'on s'imaginait trépassé, qu'on avait laissé comme un corps
mort, flottant au hasard de la colère des eaux, avait conservé en
lui un souffle de vie, une volonté obstinée de renaître encore et
toujours. Au nom de quel miracle à peine croyable, une branche dans
ce tumulte de la création devint-elle pousse? Nul ne peut le
savoir. Toujours est-il, qu'en tête de cette belle et grande île,
figure de proue de sa création, un saule noir, majestueux et
emblématique se dresse comme un pied de nez au destin.
De
cette histoire de la vie et de la mort, des eaux et des végétaux,
des minéraux et des animaux, il ne faut croire qu'en la force de la
vie, en la volonté farouche qu'elle manifeste de perdurer sur nos
rives, dans les flots et dans les airs. Préservez-la partout où
vous vous trouverez et ne commettez jamais crime contre la Loire et
ses hôtes. C'est bien la seule morale de cette histoire, aussi, je
vous en conjure, respectez -la et faites-la connaître partout
autour de vous !
Genèsement
vôtre.
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