L’impossible
mariage.
Il
était une petite fille, Léa qui avait deux passions dans la vie :
son chat et les oiseaux de son jardin. Pour elle, rien n’était
plus agréable que les câlins que lui faisait le félin ; rien
n’était plus mélodieux que les joyeux trilles des habitants de la
charmille. Elle passait ses journées avec le matou sur ses genoux à
scruter les allées et venues des bergeronnettes, rouges-gorges et
autres mésanges qui avaient élu domicile chez elle.
Elle
n’avait de cesse de leur déposer des graines, des boules de
graisse et de l’eau durant l’hiver. Elle les observait avec ses
jumelles, cherchait à identifier les nouveaux venus. Pour leur
confort et surtout pour son plaisir, elle avait fait construire par
son cher père, des cabanes qui leur servaient d’habitacles. Son
jardin eût pu être un palais merveilleux s’il n’y avait eu les
sorties nocturnes de son adorable matou.
La
nuit, le gentil chat Félix se transformait en un terrible prédateur,
faisant razzia sur razzia dans les nids et les cabanes. Pâques était
pour lui la grande saison de la chasse aux œufs ; ce qui
contrariait grandement les parents qui se retrouvaient le bec dans
l’eau. Léa comprenait que cela ne pouvait plus durer, qu’elle
devait apprendre à son Félix à ne pas avoir la dent dure. Mais
comment s’y prendre pour transformer la nature même d’un
chasseur ?
Léa
voulut lui expliquer que ce qu’il faisait n’était pas bien. La
persuasion échoua : l’animal ne prêtait pas l’oreille aux
leçons de morale de sa petite maîtresse. Elle voulait le mettre au
régime végétarien, suivant en cela la tendance chez les humains.
Le chat, en la matière, n’était guère convaincu par les
arguments pour sauver la planète. Il faut bien admettre que ceux de
son espèce ne sont en rien responsables de l’anthropocène.
Voyant
que ses cours étaient inefficaces et contrairement à ce qu’elle
constatait dans sa scolarité, Léa changea de méthode, refusant de
s’obstiner sur une voie improductive. Elle avait été influencée
par son éducation ; on ne peut le lui reprocher. Le petit de
l’homme imite en cela ses pédagogues et ses géniteurs. Elle opta
pour le chantage, méthode qui, quoique contestable, a souvent donné
des résultats appréciables.
Le
chat fut réfractaire aux menaces. Elle voulait lui interdire les
croquettes, les câlins et les sorties. Plus elle le privait, plus il
se montrait opposant à sa présence et indifférent à ses
rétorsions. Il trouvait toujours prétexte pour se sauver et aller
gagner ailleurs ce dont on le frustrait ici. C’est Léa qui était
la première punie ; elle s’en rendit vite compte.
La
petite s’enquit du problème de manière plus scientifique. Elle
apprit ainsi que la gent féline était la cause d’une véritable
hécatombe parmi les volatiles, que le sujet était désormais à
prendre au sérieux dans un pays civilisé comme la France où
l’expression même de la civilisation passait par un accroissement
considérable du nombre de chats et subséquemment par une baisse de
celui des oiseaux. Soixante millions d’entre eux, en effet, tombent
chaque année sous les crocs des voraces.
Elle
apprit que des recherches avaient été menées et que l’industrie
proposait des parades à ce terrible phénomène de société. Un
détecteur de chaleur, installé dans l’arbre, repérait l’arrivée
du carnivore et déclenchait un signal en ultra-sons qui devait
repousser le gourmand. Hélas, ventre affamé n’a pas d'oreilles et
souvent Félix demeurait sourd à ce bruit parasite.
Elle
découvrit également un tapis à trous pour enserrer le tronc de
l’arbre. Le greffier était, d’après le fabriquant, réfractaire
à l’irrégularité d’une surface tapissière. Félix fit
rapidement pattes de velours et se moqua du stratagème. Le chat,
quoique qu’il ne fût pas persan, ne s’arrêta pas sur ce tapis
volant ayant des trous d’air. Il fallait trouver autre chose pour
la tranquillité des amis ailés.
Léa
se faisait un sang d’encre. Elle voyait que, petit à petit, les
oiseaux désertaient son jardin ou finissaient dans le ventre de
Félix. Le résultat était le même : plus de chants ni de
beaux moments passés à les observer. Elle pensait qu’elle devrait
finir par enfermer le diable de minet et le condamner à devenir chat
d’appartement. Cette idée ne la réjouissait guère car elle
savait son animal attaché à sa liberté bien plus qu’à une
laisse.
Alors,
la petite fille se mit à prendre le problème autrement que les
adultes ingénieux qui voulaient créer des dispositifs tous plus
complexes les uns que les autres pour repousser le félin et
interdire son escalade des arbres. Elle renonça d’ailleurs à
poser des herses, des dents acérées ou bien à savonner le tronc de
ses arbres. Ces idées lui semblaient aussi saugrenues que stupides.
Elle voulut faire comprendre à Félix, la beauté des oiseaux.
Elle
commença par lui montrer des images. Il se trouve que dans sa
région, les photographes font assaut de clichés, tous plus
magnifiques les uns que les autres, des habitants des branches. Félix
n’était guère esthète ; il jeta un regard négligent sur
ces gros plans qui n’attisaient pas même sa gourmandise
légendaire. Elle changea son fusil d’épaule !
Elle
était à réfléchir, Félix tendrement allongé sur ses jambes,
ronronnant à qui mieux mieux pour saluer ses douces caresses, quand
elle s’interrogea sur la possibilité de lui enseigner le chants
des oiseaux. Félix était un chat qui avait toujours aimé la
musique : il avait l’oreille musicale : elle l’avait
constaté à maintes reprises quand ses parents glissaient une
plaquette sur le lecteur CD.
Elle
demanda un CD qui enseigne les chants des oiseaux afin de mieux les
reconnaître. Félix tendit l’oreille et, à force de persévérance,
se mit à les imiter. Léa était aux anges ; son chat devenait
unique, il avait un talent dont aucun autre ne disposait. Mais le
plus étonnant, c’est que, dès cet instant, il cessa de faire la
chasse aux pauvres locataires des arbres. Elle avait atteint son but
et les oiseaux revinrent en grand nombre dans ce jardin
extraordinaire.
Si
vous passez un jour devant un jardin où un chat est en grande
conversation avec des hirondelles ou bien des chardonnerets, ne soyez
pas surpris : c’est Félix, le chat de la gentille Léa, qui a
cessé de manger des oiseaux. Dans ce monde, chez les animaux, tout
autant que chez les humains, quand on se comprend, on finit toujours
par s’entendre. C’est la seule morale de cette histoire.
Chatonnement
vôtre.
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