Complicité
marinière ...
Il
était une fois un brave nautier, voiturier sur eau, qui avait
l’honneur de transporter un trésor fabuleux. Dame Pompadour allait
par les chemins en bord de Loire rendre visite à un vieil ami,
l’architecte Ange-Jacques Gabriel qu’elle avait chargé de
restaurer son château de Menars. La favorite du roi Louis XV a tout
juste 40 ans, elle dispose d’une belle fortune, vient d’acquérir
cette magnifique demeure qu’elle entend bien embellir à son image.
Elle a confié au bon Edmond un coffret contenant des bijoux et des
diamants, préférant la discrétion de son humble embarcation au
luxe démonstratif de son carrosse.
Edmond
est flatté et quelque peu inquiet. Nous sommes en 1761 ; il a
descendu le canal d’Orléans et se trouve désormais sur le fleuve
royal. Il craint que le bruit ait circulé sur la nature de son
modeste (en volume) chargement. Il n’en ferme pas l’œil de la
nuit. Son excitation arrive à son comble quand il arrive dans le
port de Beaugency. Est-ce la proximité du pont du diable ? Edmond
sent peser sur lui et sa petite toue un regard inquiétant quand il
accoste le quai.
Il
n’a pas encore fixé un bout à un gros anneau qu’il entend un
rire sarcastique. Un homm,e tout de noir vêtu, s’adresse à lui :
« Je sais ce que tu transportes ! Minuit n’aura pas
fini de sonner que je me serai approprié ton trésor, fruit des
amours clandestines d’un roi et d’une gourgandine. Je ne ferai
que rendre la justice et priver la donzelle des fruits de ses péchés
! Quant à toi, tu achèveras cette nuit pendu à ton mât pour
le prix de ta trahison». Il y a un énorme éclat de rire et l’homme
semble s’être volatilisé dans l’instant. Un vieux chat tout
pelé est maintenant à sa place sur le pierré.
Edmond
en était tout retourné. Il avait accepté ce curieux convoyage bien
contre son gré. Mais les temps étaient durs, les affaires délicates
et il lui avait été impossible de refuser le prix de cette course
si risquée. Il n’avait pas le droit à l’échec : il en
allait de sa vie. Que faire devant pareille menace ? Edmond ne
pouvait compter que sur lui-même pour se sortir de ce mauvais pas.
Ébruiter son secret c’était tendre le bâton pour se faire
dépouiller tout autant que battre. Sa dernière heure était venue :
il n’en doutait pas un seul instant.
Quand
on est au désespoir, il arrive parfois qu’on se confie aux objets
et aux choses qui vous entourent. Edmond, pour se donner un peu de
courage s’adressa à son bateau, le seul véritable ami qu’il
avait jamais eu. C’est tout d’abord vers la planche de rive qu’il
se tourna pour lui confier sa détresse : « J’espère ma
belle que tu sauras te dérober aux pas de ce mauvais diable. Je
crains qu’il n’en veuille autant à ma vie qu’à mon chargement
! »
N’obtenant
pas réponse de cette planche de chêne qui lui permettait de passer
de son embarcation au quai, il s’assit dans la bordée et attrapa
une pomme d’un sac de jute dans lequel il y avait une dizaine de
ces belles reines des reinettes. Il la croqua goulûment tout en
marmonnant des propos incohérents : « Mes belles pommes,
puissiez-vous me tendre la main et me protéger du péril qui menace
! » Les pommes ne sont guère bavardes : il reçut silence
pesant pour toute réponse.
Edmond
assura alors l’amarrage de son bateau, il jeta l’ancre, attachée
par une longue chaîne. Celle-ci n’était pas toute nécessaire, la
rivière n’était guère profonde en cette période de l’année.
Il la fixa au taquet et enroula sur le pont l’excédent de la
longue chaîne. Il y avait peu de chance que la solide attache puisse
lui être du moindre secours : Edmond conjurait le sort de
quelques vœux pieux inutiles.
Il
s’occupa alors de son gréement. Il enroula un peu mieux la voile à
la vergue. Il était à la descente et n’avait pas besoin de
l’utiliser jusqu’au terme de son voyage. Il lui glissa quelques
mots en guise de propos magiques : « Toi qui parfois te
décroches et plusieurs fois as manqué de m’assommer, serais-tu
capable de briser le crâne du méchant qui veut me voler cette nuit
? » Il n’eut pour toute réponse qu’un long grincement et
le bruit du vent dans les amures ...
Edmond
fit le tour de son bateau, cherchant un allié capable de lui venir
en aide. Sa grande bourde était une arme redoutable : son fer
si acéré qu’il pourrait transpercer un corps aisément, mais il
savait que son maniement était délicat pour un pareil usage.
L’effet de surprise de l’assaillant jouait en sa faveur et
rendait impossible l’usage de sa longue perche ferrée. Il s’en
désolait.
C’est
alors qu’il vit le guinda : cette sorte de treuil, un cabestan
horizontal, situé à l’arrière de sa toue. Il se dit qu’il
pouvait faire un piège de la corde qui y était enroulée à la
condition de la mettre en tension et d’obtenir un enroulement
automatique. Edmond était particulièrement ingénieux ; il fit
là, un collet géant pour prendre son visiteur du soir. Il comptait
sur la chance pour qu’il mette un pied dans l’anneau de corde
placé sur le pont.
Edmond
se coucha dans sa petite cabine. Il était inquiet, il tarda à
trouver le sommeil mais finit par s’endormir alors qu’il eût été
plus sage de rester éveillé. Mais les fatigues du jour, des
manœuvres pour passer du canal à la Loire et franchir le pont royal
l’avaient épuisé. C’est ainsi que lorsque la minuit fut
proche, notre nautier dormait du sommeil du juste.
Au
premier coup de minuit, une ombre approcha de l’embarcation.
L’homme était vêtu d’une longue cape noire, un capuchon
dissimulait son visage. Il mit le pied sur la planche de rive pour
accéder au le bateau d’Edmond quand, au même instant, un tronc
d’arbre dérivant sur la Loire vint frapper la proue. Le choc fut
suffisant pour déstabiliser la planche qui vacilla. L’homme,
déséquilibré, tomba à l’eau en ayant juste le temps de
s’accrocher à la bordée supérieure.
Sous
le choc, le sac de pommes s’était renversé sur le pont et quand
le visiteur de la nuit réussit à se hisser sur le bateau, il posa
le pied sur un des fruits qui jonchaient le sol. Il fut une fois
encore en perte d’équilibre ; il marcha sur une autre pomme
et une autre encore. Il allait comme un homme ivre et se prit le pied
dans la lourde chaîne.
Cette
fois, il ne put se rétablir ! Il tomba à la renverse et vint
percuter, tête en avant, le mât. Le choc ébranla la vergue qui
avait sans doute été mal fixée au collier de racage. La voile et
la vergue tombèrent à grand fracas. Le vœu d’Edmond ne fut
pourtant pas réalisé : la vergue n'assomma pas l’intrus mais
le propulsa sur le collet qu’il avait laissé devant l’entrée de
la cabine.
Notre
marinier avait parfaitement mené sa barque, le piège propulsa le
voleur le pied entravé en avant. Il se retrouva suspendu au mât, le
pied entravé, tout contre le girouet. L’homme avait beau faire, il
était fait comme un rat. Edmond malgré tout ce désordre dormait à
poings fermés. Il termina sa nuit sans faire le moindre cauchemar.
C’est
au point du jour qu’il se réveilla comme à l’accoutumée. Un
bon marinier n’a pas besoin d’entendre le chant du coq pour
savoir qu’il est temps de se mettre en train. Le soleil qui se lève
donne le signal de la navigation. Il n’est pas question de perdre
son temps en flânant au lit. Edmond se leva ; il avait oublié
ses tracas de la veille.
Pourtant,
tout lui revint d’un coup quand il vit, pendu à son mât, un
affreux chat noir, pris par une patte et qui, à force de se débattre
avait fini par s’étrangler à la drisse. Edmond, bon chrétien
comme il se doit, se signa, il connaissait l’histoire du pont de
Beaugency et ne doutait pas de l’identité réelle de son visiteur.
Il se dépêcha de libérer ses amarres pour filer bien vite loin de
là.
C’est
avec un immense soulagement qu’il remit à l’intendant du château
de Menars le précieux coffret. Il reçut pour son paiement de son
dévouement une bourse bien pleine. Il s’empressa de descendre
jusqu’à son port d’attache à la Daguenière. Il commanda à un
sculpteur du pays une statue de saint Nicolas en bois de chêne
qu’il offrit à l’église Saint Blaise - Saint Nicolas qui venait
quelques années plus tôt de remplacer la petite Chapelle Notre Dame
des Levées construite en 1518 sur la route de la vieille levée. Il
n’ébruita jamais son étrange affaire. La bonne fortune permit la
découverte d’un document écrit de la main même d’Edmond dans
les archives de la ville d’Angers. Une bonne âme me confia cette
anecdote en me demandant de ne pas l’ébruiter ; ce que je me
gardai bien de faire car votre distraction est ce qu'il y a de plus
important à mes yeux.
Sataniquement
sien.
Il y a toujours du Perrault et du Grimm dans vos contes, et c’est toute mon enfance qui refait surface ! Merci.
RépondreSupprimerMomo
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Je sous salue bien bas moi qui ne suis qu'un modeste Père Eau
Oh mais d'autres viendront,n'en doutez pas!
RépondreSupprimerIl faut aimer la belle ouvrage...
Momo
SupprimerJ'ai ouvert ce blog profitant de la mort de l'Obs pour ne diffuser que mes contes et chansons
Il ne semble pas pour autant que la plateforme de l’Obs soit fermée. Deux blogs anciens sont toujours actifs ainsi que ceux des journalistes et des invités. M’est avis qu’il s’agit là je crois d’une purge !
SupprimerMomo
SupprimerDame Sinclair m'avait déjà fait le coup avec feu Le Post
Ceux qui ne sont rien dégagez
La nade à Macron en somme