Conte
à rebours
Il
était une fois une vieille femme, ni reine, ni belle, ni riche, ni
douée de pouvoirs magiques. Elle allait de par les rives
confectionner des brassées de luzerne pour les lapins, des fagots
pour le feu, des bouquets de fleurs sauvages pour les donner à qui
les lui demandait. Elle était courbée par l'effort, tremblante et
fragile. Elle n'avait ni amis ni famille et la vie, pour elle,
s'achevait dans la peine et la misère.
Il
était aussi un vieil homme, ni prince, ni fort, ni particulièrement
adroit, ni capable de prodiges. Il vivait d'expédients, brigandait
un peu les gens de bien, blasphémait plus souvent qu'à son tour et
avait la fâcheuse manie de mentir plus encore qu'un arracheur de
dents. Il buvait au-delà du raisonnable, sentait mauvais des pieds
et du reste. Sa vie se terminait dans la débauche, la malhonnêteté
et la crasse.
Nous
sommes bien marris de disposer ainsi de deux personnages qui sont
habituellement les faire-valoir des contes ordinaires. La vieille
pourrait initier le héros, lui ouvrir la porte des secrets qui lui
feraient vaincre les plus redoutables guerriers ou déjouer les plus
effroyables maléfices. Le vieux serait le pendant du diable :
le personnage rebutant qu'il convient de repousser, d'éliminer sans
ménagement pour mettre en valeur le courage de ce héros.
Mais,
les dés sont jetés et c'est avec eux qu'il me faut conduire le
récit, vous amener à croire une fable à dormir debout. Le métier
n'est pas simple dans pareil cas, d'autant que le lecteur a tendance
à s'identifier aux personnages jeunes et sympathiques. Je ne vous
reprocherai rien ; tous les conteurs ont usé de ce subterfuge
pour attirer votre attention, vous émouvoir et vous complaire.
La
vieille, qu'on appellera Madeleine, avait au moins pour elle sa
gentillesse. Quant au vieux, Gaston, il avait le profil du gibier de
potence et ne pouvait aspirer à rien d'autre. C'est ce que les uns
appellent la destinée, d'autres la loterie de la vie. Pour tous, en
tout cas, les héros sont jeunes, bien portants et bien faits de leur
personne. Les scénaristes le savent mieux que quiconque.
Pourtant
c'est le vieux qui, un jour, trouva sous le sabot d'un cheval, un fer
en or, incrusté de diamants. Quand la fortune vous sourit
soudainement alors que depuis si longtemps, elle vous avait tourné
le dos, il arrive parfois qu'elle trouble la tête et déstabilise le
plus solide des coquins. Le vieux ne sut que faire de ce présent de
la bonne fortune. Il en était gêné et même, il faut l'avouer,
quelque peu chagriné que ce lui arrivât au crépuscule de sa vie.
Lui
qui avait passé une bonne partie de son existence à couper les
jarrets et vider des bourses jamais très opulentes, se retrouvait
soudainement avec un trésor pour lequel il n'avait commis aucun
forfait, pas la plus petite mauvaise action. Il y avait de quoi y
perdre sa réputation et mourir (ce qui ne saurait tarder pour lui)
en odeur d'honorabilité et cela, il s'y refusait catégoriquement.
Il
n'était plus temps pour lui de jouir de cette offrande divine. Les
carottes étaient cuites : il n'était que temps de mourir
dignement. Il se souvint alors qu'autrefois, il avait été marié
avec une brave femme, qu'il l'avait fait tourner chèvre et rendue si
malheureuse, qu'elle avait fini par le mettre à la porte. Les coups,
les rebuffades, les humiliations avaient eu raison d'une patience
au-delà du possible. Gaston, alors dans la force de l'âge, avait
compris son exaspération mais abandonné sa femme sans lui laisser
de quoi vivre.
Sa
vieille, sa brave Madeleine, le Gaston, il allait lui faire enfin un
cadeau, lui donner ce fer à cheval incrusté de diamants parce
qu'elle le valait bien. Appelons ça les remords, le repentir ou bien
le réveil un peu tardif de la conscience … qu'importe, sa décision
était prise. Le vieux se mit en route pour retrouver sa femme ;
elle devait être toute fripée, allait-il la reconnaître ?
Madeleine
n'avait pas bougé, elle était restée dans ce qui leur servait de
demeure : une humble masure, pauvre maisonnette ouverte à tous
les vents, qui tenait encore debout par miracle. Madeleine avait
supporté ces années de solitude sans jamais se plaindre, sans
tendre la main devant les beaux messieurs et les belles dames. Elle
avait voulu par son comportement obtenir le pardon pour son fripon de
Gaston qu'elle ne parvenait pas à haïr comme il le méritait.
Quand
elle le vit arriver au loin, vieilli tout comme elle, misérable plus
encore par son apparence que par son âme qui pourtant ne valait
guère, Madeleine eut pitié. Elle ignorait sans doute que son état
à elle, était plus misérable encore, que sa santé pâtissait
encore des coups, assénés autrefois par le méchant qui vivait à
ses côtés. Madeleine devait avoir encore un peu d'affection pour
celui qu'elle avait choisi en dépit des avertissements de tous les
siens.
Gaston
approcha et, sans un mot, tendit le fer à cheval incrusté de
diamants à la vieille femme. Il s'en alla aussitôt sans se
retourner, en ayant l'air de vouloir fuir au plus vite ce lieu chargé
de tant de souvenirs. Madeleine ne s'y trompait pas ; elle
voyait ses épaules se soulever, ses mains se porter à son visage.
Le Gaston, cet homme dur et souvent méchant, pleurait. C'était là
la seule marque d'affection qu'il lui eût jamais montrée. Il était
bien tard ! Il se cachait d'elle pour l'exprimer.
L'homme
marcha longtemps ainsi, le corps agité de cette convulsion étrange
que provoque le chagrin, le plus grand et le plus profond des
chagrins. Madeleine le suivait des yeux ; elle n'en revenait pas
qu'il puisse ainsi marquer sa compassion, exprimer son repentir sur
la fin de sa vie. Elle ne croyait pas si bien dire : tout au
bout du chemin, le Gaston s'effondra pour ne plus jamais se relever.
Le
bandit, le pitoyable chenapan était mort après sa seule bonne
action. Il n'eut pourtant pas d'enterrement à l'église : le
curé avait refusé la sépulture chrétienne à ce mécréant
notoire, ce triste sire, ce maudit gredin qui n'avait pas hésité à
vider les troncs de la maison de Dieu. Madeleine ne s'en offusqua
guère, elle savait que son homme n'avait eu que la monnaie de toutes
les pièces volées au cours de son existence lamentable.
Le
fer à cheval incrusté de diamants lui brûlait les doigts. C'était
le cadeau du diable, la tentation du malin. Il était trop tard pour
elle aussi ! Profiter d'une richesse tardive, d'un mieux-être qui la
tuerait à coup sûr, à quoi bon ? Elle se mit en chemin pour aller
trouver dans la grande ville voisine un jeune couple qui
ressemblerait au sien à l'époque.
Elle
observa longuement les comportements des uns et des autres, de ceux
qui vivaient à la lisière de la ville bourgeoise. Elle remarqua un
homme qui ressemblait à son Gaston quand il était jeune. Il buvait
tout comme lui, avait la main leste et le verbe haut. Sa femme était
encore belle : elle n'avait pas subi les outrages de cette vie
de chien qu'ils menaient tous deux.
Madeleine
s'approcha et sans rien dire, elle aussi, fit offrande de ce trésor
mystérieux. Elle partit courbée mais heureuse. Si ses épaules se
secouaient elles aussi, c'était du rire qui l'étreignait. Elle
venait de sortir ce couple des griffes du destin tragique que la
misère impose : elle lui offrait une vie plus belle qui
éviterait les travers qu'elle avait connus avec son Gaston.
Laissons-la à ses illusions : l'argent ne fait ni le bonheur ni
les honnêtes gens.
Quand
elle arriva dans sa masure, elle se coucha. Elle était lasse,
fatiguée comme jamais elle n'avait senti le poids des années sur
ses épaules et son cœur. Elle pensa que le Très-Haut avait décidé
de la rappeler à lui, que son heure était venue, peu de temps après
son Gaston de malheur. Elle ferma les yeux ; elle s'abandonnait
à cette fin qui était toute proche, elle en était certaine …
Quand
elle se réveilla, elle sentit une présence à ses côtés. Elle
s'étonna, tâta ce corps robuste et ferme qui reposait là. Elle
ouvrit les yeux. Son Gaston d'autrefois, celui d'il y a si longtemps,
le gars qui lui avait tant plu était juste à côté d'elle, jeune
et beau, radieux et gentil. Il lui dit des mots d'amour dans
l'oreille, lui promit de l'aimer toute sa vie. Madeleine se leva et
vit son reflet dans le petit miroir de la chambre.
Elle
aussi avait retrouvé son apparence d'alors. Elle était plus belle
même ; c'est du moins ce qu'il lui sembla dans ce vieux miroir
dépoli. Sur la table de la cuisine, trois fers à chevaux incrustés
de diamants étaient posés là et, s'enfuyant par la cheminée, un
drôle de personnage, un Bonimenteur qui lui fit un clin d'œil avant
de disparaître. Il sera une fois, un couple de braves gens qui
allaient vivre heureux une autre vie. Il l'avaient bien méritée; la
première avait été épouvantable.
Réincarnement
leur.
Cher ami,
RépondreSupprimerBeau conte réconfortant ! Même quand on a perdu bien des illusions, il bon de penser à une justice divine et universelle qui pardonne et récompense ! L’homme de toute façon n’a qu’une infime parcelle en lui de rationalité, même s’il ne faut jamais oublier cette dernière pour s’efforcer de comprendre l’humanité …
Momo
SupprimerUne seconde chance
Qui n'en rêverait pas ?
Je me suis amusé à prendre tout à l'envers
Merci d'apprécier