lundi 31 juillet 2017

Compagnons de Mandrin


Compagnons de Mandrin


Nous sommes compagnons de Mandrin
Écumant les côtes et la lande
De la Bretagne au Cotentin
Résonne le nom de notre bande

Aux soirs soirs de la nouvelle Lune
Nous nous cachons sur le sentier
Pour combattre notre infortune
Ne faudra pas faire de quartier
Dans l'obscurité nous avançons
Sur le chemin des douaniers
Tu comprendras alors mon garçon
Pourquoi nos mères nous ont reniés

Refrain

Nous des bandits de grand-chemins
Futurs gibiers de vos potences
Naufrageurs, coupe-jarret, aigrefins
Qui vivons au bonheur la chance
Nous détroussons les pauvres marins
Qui se font prendre à nos signaux
Vers les rochers la route prend fin
Quand viennent s'échouer leurs bateaux

Refrain

Pour améliorer l'ordinaire
Nous nous faisons contrebandiers
Tirant un modeste salaire
En étant ainsi faux-sauniers
Nous risquons de finir aux galères
Si les gabelous nous reprennent
Aux pieds, ils nous mettront les fers
Pour que nous subissions la peine

Refrain

Malheur à toi le voyageur
Si tu rencontres notre route
Ce sera ta dernière frayeur
Ça ne fait hélas aucun doute
D'un couteau tu verras la lueur
Puis ton sang se reprendra ici
Les vagues couvriront ta douleur
Quand nous prendrons ta bourse et ta vie

Refrain

Puis les soldats nous attraperons
À l'issue d'un odieux guet-apens
Un des nôtres pour quelques flacons
A vendu la bande à un sergent
Pris sous le feu nourri des dragons
Beaucoup tombèrent dans les bruyères
Pour tous les autres, la pendaison
Leur ouvrira les portes de l'enfer

Nous étions compagnons de Mandrin
Le long de la côte et dans les landes
De la Bretagne au Cotentin
Résonnait le nom de la bande





dimanche 30 juillet 2017

Matelot en Matelote



C'est pas la Loire à boire ...

Il fut autrefois, en une folle et terrible année, grande et violente inondation en notre pays de Loire. Nous étions en septembre de l'année 1866, les gens d'ici en avaient déjà soupé des folies de la dame Liger. Deux crues récentes et violentes avaient saccagé notre Val et laissé bien des tourments dans les mémoires de ceux qui en eurent à pâtir !

1846, 1856 dix ans déjà et une loi des séries qui hantait les esprits depuis le début de l'année. Chacun regardait les levées, s'enquérait de leur état, priait Dieu, maître des lieux et le Grand Saint Nicolas, le patron de tous les gueux de Loire. La peur était dans l'air, les pluies étaient regardées d'un mauvais œil, les fluctuations du fleuve alimentaient toutes les conversations.

Pourtant, les optimistes, comme toujours, étaient les plus nombreux. Il y avait d'ailleurs tant à faire. Les filets de barrages avaient planté leur décor. Le saumon et l'alose ne manquaient pas. Les bateaux sillonnaient le pays, la vapeur n'en était qu'à ses balbutiements. La vie de chaque côté de fleuve allait son train. Qu'on fut en Berry ou bien en Gaule, la Loire était la compagne de tous les jours, il fallait faire avec.

Puis un jour, la dame se mit à gronder. Une rumeur enflait, ses eaux se faisaient sombres, il y avait une tension palpable d'autant qu'il avait beaucoup plu depuis quelques jours. D'heures en heures, on voyait l'eau monter, on devinait une force plus grande de minute en minute. La Loire charriait, tout ce qui traînait sur sa course folle subissait sa folie dévastatrice. Chariots, arbres, vaches, paille, outils et objets n'étaient que des épaves dérivant au fil de sa colère.

Des nouvelles mauvaises venaient des villages et des villes de l'amont. La rumeur enflait plus vite encore que le fleuve. Ici on annonçait une digue qui cédait, là une brèche laissait passer les flots comme un torrent furieux. Gien avait déjà les pieds dans l'eau et des fermes ne donnaient plus signe de vie.

Cette fois, à n'en point douter, le mal des eaux allait encore frapper. L'avancée inexorable de la bête aqueuse, personne n'y pouvait rien. Nulle force humaine, nulle protection ne pouvait l'entraver. Il fallait s'ensauver tant que c'était possible, emporter maigres affaires et trouver hauteur à portée de sabots. C'était la débandade et le malheur prend toujours un malin plaisir à vous surprendre en pleine nuit.

Il en fut ainsi dans ce petit coin de la Loire, en Berry, entre Orléans et Jargeau. La digue avait rompu laissant un grand espace où s'enhardissaient des flots qui prenaient possession de toute la campagne. Les eaux du Loiret et de la Loire avaient une fois encore célébré leur union, ce mariage de sinistre ravage. Les fermes avaient bien plus que les pieds dans l'eau, il fallait trouver refuge au faitage ou tout abandonner.

Bien avant la panique, une bande de joyeux drilles avait décrété de vider bien plus de chopines qu'il était raisonnable lors d'une partie prétendument de pèche et surtout de jurons, de blagues et de mangeailles. Ils avaient entrepris de mener grand train sur une toue cabanée. Après deux jours et une nuit de noce et de ripaille, nos gougnafiers, la bedaine débordante avaient sombré dans un profond sommeil de bordée.

Le ronflement de tous ces sonneurs couvrait, on se demande encore comment, le tumulte des flots et de la toue brinqueballée en tous sens. Heureusement pour eux que c'est un pas moins saoul que les autres qui avait amarré le rafiot, si mal que les liens se défirent pour laisser aller la toue au hasard de sa destinée.

Chacun sait ici bas qu'il y a un bon dieu pour les ivrognes et ceux-là bénéficièrent plus que les autres de la clémence du maitre des cieux. Est-ce parce qu'ils vouaient une dévotion sans borne au sang de notre seigneur ? Nul ne le saura jamais. Pourtant ils eurent bien de la veine et grande chance de se retrouver embarquer au travers d'une brèche de la levée. Si leur bateau était resté sur la Loire, il y a fort à parier que jamais plus nos gaillards auraient eu chopines à re-boire !

Mais n'allons pas si vite en besogne. La Loire occupe désormais tout le val et propose un immense paysage de désolation et de destruction. Les bêtes sont noyées, les fermes abandonnées quand c'était encore possible. Au milieu d'une vaste étendue d'eau et de débris, un bateau de bois flotte au hasard avec un étrange bruit à l'intérieur de sa cabane.`

C'est au petit matin de cette nuit de folie que le premier dormeur ouvre un œil vitreux sur le désordre du lieu. Une migraine à vous briser la tête chagrinait ce personnage à la mine rubiconde. Il se décida à changer l'atmosphère de la pièce qui sentait la porcherie tout en s'offrant une bonne gorgée d'air. Le spectacle qui se présenta à ses yeux encore embués de vapeurs alcooliques lui fit un choc qui le menaça d'apoplexie.

Quand il retrouva ses esprits, il se hâta de prévenir sa troupe de compères. Nous ne nous attarderons pas sur les flots de jurons qui accompagnèrent le réveil de ces messieurs très pâteux. La décence et le cours de notre histoire se passeront très bien de cette petite omission. La chose n'aurait d'ailleurs aucune incidence si quelques saillies n'attestèrent de l'incompétence marinière de ce déplorable équipage.

Nul marin sur cette toue. Des chenapans et des boit sans soif qui avaient choisi ce bateau pour trouver refuge à leurs bacchanales honteuses. Le navire allait tant bien que mal, tanguait et heurtait tout ce qui trainait par là. Les têtes de nos trimadeurs suivaient le même mouvement que l'embarcation.

Que ces ivrognes notaires puissent périr par là où ils n'ont jamais pêché, l'aventure aurait fait sourire bien de leurs connaissances si le pays n'avait été dans un tel embarras. Partout alentour, des images de désolation ; de l'eau aussi loin que pouvaient porter les yeux et bien assez profonde pour noyer un gars qui ne sait pas nager.
Il fallut pourtant rester cinq jours et autant de nuits au milieu de nulle part à tourner en rond. Nos larrons qui en avaient fini de leur foire n'avaient qu'une bourde dont ils ne savaient que faire pour se tirer de ce mauvais pas. Ils avaient beau beugler comme des veaux qu'on mènent à l'abattoir, personne ne se présentait à l'horizon pour les tirer de ce mauvais pas.

Pire même, ils s'étaient conduits comme des gorets lors de leurs deux jours de ripaille et n'avaient plus rien à manger ni même à boire. Ils avaient la gorge en feu, il ne pouvait pas en être autrement. Petit à petit des idées mauvaises s'installèrent dans les esprits malades de ces démons en manque.
C'est au quatrième jour que l'idée vint au plus costaud qu'il leur faudrait manger le plus faible de la bande pour espérer se sortir vivant de ce guêpier. La brume qui couvrait ce qui maintenant était un fleuve, le vent qui tournicotait dans leurs têtes tourmentées, le manque de tout et la folie qui les prenait firent vite leur ouvrage tout autant que les abus précédents.

Au cinquième matin, la décision était prise. Mais s'il est facile de se persuader que manger un des siens est l'ultime solution, on ne pense pas aux multiples interrogations qui suivent pareille solution. La plus simple car la plus ancrée dans l'esprit humain consiste à se demander comment tuer son prochain. Là, les propositions ne manquent pas et chacun a sa petite idée sur la chose à l'exception notable de celui que sa frêle constitution a désigné comme victime expiatoire.

Non, nos gaillards avaient des tourments bien plus pratiques. Pour ivrognes et potentiels assassins qu'ils étaient, ils étaient malgré tout des gars des bords de Loire, gastronomes et gourmets en toutes circonstances. La polémique grandit sur la manière d'accommoder le matelot. Périr n'est rien si c'est pour finir fort bien accommodé.

Le débat fit rage, ils faillirent en venir au main. Si tous les goûts sont dans la nature, ils l'étaient tout autant sur ce maudit rafiot. En chaque assassin sommeille un cuisinier, les cordons bleus faisaient assaut de joutes verbales pour emporter le morceau. Il a fallu des palabres et des coups de sang pour enfin trouver un terrain d'entente.

Ces maudits ligériens étaient, malgré les circonstances, des gens de la Loire. C'est dans ces coups de temps là qu'on aime à se retrouver sur ses valeurs, se conforter avec les traditions locales. C'est en matelote que devait finir le pauvre diable qui voyait sa dernière heure sonner. Il faut lui reconnaître courage et fierté. Il fut ravi de savoir à quelle sauce il serait préparé, son plat préféré, il n'y a pas plus beau trépas pour son digne sacrifice !
Va mon gars, on va t'accommoder aux petits oignons dit celui qui avait osé cette terrible idée. Au moment de plonger le couteau au cœur de celui qui allait tenir le rôle de l'anguille dans la marmite, un plus malin que les autres fit remarquer à la cantonade qu'il y avait belle lurette que les réserves de blanc étaient épuisées. Ce fut la nouvelle décisive, la remarque qui fit que ces malheureux en restèrent au seul stade des intentions. Pas de vin blanc, pas de matelote, ceci ne mérite aucune exception !

Bien sûr personne ne souffla mot de ce qui faillit se passer quand quelques heures plus tard, des secours vinrent fort à propos, tirer de ce mauvais pas ces marins d'eau douce et de manières déplorables. Pourtant, au fil de leurs nouvelles beuveries, la nouvelle finit bien par transpirer et fit bientôt le tour de tout le pays. Personne en bord de Loire ne leur en tint jamais rigueur, bien au contraire d'ailleurs !

Jamais vous ne verrez ici, personne sérieuse pour oser prétendre faire une matelote avec autre chose que des oignons du Val et un notre bon petit vin blanc de Loire. C'est parce qu'ils respectèrent cette sage prescription que nos amis purent, longtemps encore, lever la chopine et boire à votre santé. Retenez bien cette leçon d'ici ou il vous en cuirait à petits bouillons !

Bacchanalement leur. 

 

samedi 29 juillet 2017

Meunier, le perroquet gris d'Afrique


Un drôle d’oiseau.


Il était une fois un marinier qui avait vécu la grande aventure du commerce triangulaire. Natif d’Orléans, Joseph, puisque tel était son nom, avait été l’homme de main chargé des basses besognes du sieur Aignan-Thomas Desfriches, notable du cru qui s’était largement compromis dans cet odieux commerce. Non content d'en avoir bénéficié comme propriétaire d’une distillerie de sucre, il avait, de surcroît, franchi le pas et affrété des navires à son compte.

Joseph, de cette sombre expérience avait rapporté, non seulement un détachement profond pour l’existence, un mépris sans borne pour les bourgeois de la ville qui, peu ou prou, baignaient tous, d’une manière ou d’une autre, dans un commerce qui manquait singulièrement d’humanité, mais aussi un perroquet gris d’Afrique qu’il avait nommé Meunier, en guise de clin d’œil au cépage local. L’oiseau n’avait rien à envier au célèbre Vert-Vert de Nevers si ce n’est qu'il ne parlait qu’un fort curieux français mâtiné de patois.

Joseph s’était fait un malin plaisir d’enseigner cette langue un peu gutturale à son oiseau parleur. Meunier était devenu expert en linguistique, capable qu'il était devenu , non pas d’imiter son compagnon, mais bien de lui tenir conversation. Ce prodige amusait beaucoup les enfants qui ne comprenaient pas grand chose au discours du volatile et intriguait les mariniers qui avaient tous des rudiments de la langue du Berry, de la Sologne ou bien de la Beauce.

Joseph était revenu de ses expéditions avec un solide capital qui lui permit de rompre définitivement avec son patron. Le sieur Desfriches de la Cartaudière, pour lui, ne valait pas tripette et qu’il puisse être durant quatre ans conseiller de la ville, l’exaspérait au plus haut point et en disait long sur le peu de moralité de ses concitoyens.

L’argent n’a pas d’odeur, dit-on ; celui des sucreries sentait la fumée et le sang de bœuf auquel se mêlait, en ce qui concerne ce triste personnage, le sang de pauvres bougres qu’on ne traitait pas comme des humains. Que l’homme fût artiste semblait pour lui une parfaite incongruité. Ainsi vont les revers de fortune : ce peintre renommé pour ses dessins paysagers des abords d’Orléans, se lança dans le négoce, afin de redresser les affaires d’un père défaillant.

Joseph s’était fait voiturier d’eau sur un beau chaland qu’il avait baptisé « Hatamah » ce qui signifiait fragments ou débris en arabe parce que l’enfer d’où il revenait brisait et écrasait tous ceux qui y avaient été jetés. On savait que le père Joseph avait roulé sa bosse de par les mers du monde et personne ne s’étonnait de ce curieux nom. Et puis, Meunier, toujours perché sur le haut du mât, remplaçant le girouet des autres embarcations, justifiait à lui seul ce nom exotique.

Joseph s’était juré de ne jamais accepter de chargement de mélasse. Il savait le prix payé pour que ce produit arrive jusqu’en Orléans. Il refusait pareillement les marchandises débarquées à Nantes en provenance de la Martinique ou de la Louisiane. Il s’interdisait aussi de descendre vers le quai de la Fosse tous ces produits qui allaient servir de monnaie d’échange pour obtenir du bois d’ébène et qui venaient de toute la vallée de la Loire.

Joseph était un excentrique : les clients savaient ce qu’il consentait à charger sur son « Hatamah » et, comme ses tarifs étaient des plus modérés, personne n’y trouvait à redire. En prime, les visiteurs avaient droit à un joyeux accueil de Meunier qui gratifiait tous ceux qui montaient sur le pont d’une remarque surprenante. Le perroquet assurait autant la renommée du chaland que son étrange propriétaire.

Un jour de la fin mai que Joseph transportait une solide cargaison de barriques venues de Sancerre-chargement qu’il avait affrété pour son propre compte comme il aimait à faire-Meunier vint se poser sur l’épaule de son marinier de maître pour lui souffler à l’oreille : « Solar grand haut au zénith, ton charroi risque prend la chaud et ton vinaut tourner vinetier». Ainsi le perroquet qui était né chez un griot, avait-il des dons de divination. L’étiage précoce et le soleil de juin allaient mettre en danger le chargement de vin. Joseph se hâta de vendre le tout à quelques grossistes du quai du Châtelet. Il en fut bien avisé, quatre jours plus tard, la navigation fut interrompue pour de longues semaines.

Une autre fois, nous étions en décembre, alors qu’il remontait la Loire, Meunier se rapprocha du voiturier pour lui dire : « Loire se froidir si tant et plus que le glas formera grand fondrée ». La prophétie avait de quoi glacer les sangs. Sans plus s’occuper de son chargement, Joseph décida de remonter le Loiret et de se mettre à l’abri du côté du port Arthur. Il paya le convoyage par la route des cordes de chanvre qu'on remontait de Montjean à destination de La Charité. On se moqua beaucoup de lui mais bientôt cessèrent les rires car durant cinq semaines ce fut l'embâcle. Bien peu de navires survécurent à cette terrible catastrophe. Joseph devait une fière chandelle à son perroquet qui avait bénéficié de la douce chaleur de l’escale du Port-Arthur.

Joseph fut alors de plus en plus attentif aux conseils du perroquet. Jamais il ne s’engageait sur un marché sans demander au préalable l’avis du volatile. Cela fit sourire au début puis bien vite, les mariniers, tous solides gaillards mais grands superstitieux devant l’Eternel, se mirent à consulter le perroquet avant de se lancer dans des affaires. Il y avait tant de candidats pour interroger l’oiseau augure, que bientôt le chaland devint la roulotte d’un diseur de bonne aventure.

Les prophéties de Meunier devinrent célèbres. L’animal permettait d’échapper aux aléas de la navigation, donnait des indications précieuses sur les périodes de chômage, les crues ou bien les étiages. Il avait aussi le don de prévoir les chutes des prix, les naufrages et les accidents. Hélas, quand il annonçait qu’un matelot allait passer de vie à trépas sur le navire de son interlocuteur, il se refusait toujours à révéler l’identité du pauvre diable.

Deux ou trois fois, les capitaines furent confrontés à cette terrible nouvelle. À chaque fois, le drame survint comme le perroquet l’avait annoncé. On prétendit alors que c’était un oiseau du malheur et, pour ne pas avoir à affronter ce qui peut être évité, on cessa de venir consulter l’oracle emplumé. D’autant plus, que les prêtres avaient dénoncé, lors du sermon de la Saint Clément, puis de la Saint Nicolas, le recours que certains faisaient à des pratiques magiques qui avaient tout de diaboliques.

C’est ainsi que le nom du chaland fut décrypté par un bon père plus cultivé que les autres. La rumeur fit le reste. Les braves gens comme les matelots se signaient désormais au passage du « Hatamah » qui devint pestiféré comme son curieux équipage. Les affaires, florissantes jusqu’alors, se tarirent. Il ne fait pas bon se mettre à dos la religion dans le royaume.

Le sieur Desfriches quant à lui, fréquenta assidûment la cathédrale et, donnant plus que son écot au denier du culte, conserva une bonne réputation en dépit de ses soutes et de son âme noire. Joseph s’en trouva particulièrement contrarié. Il trouvait que l’injustice dont il souffrait désormais était fort grande et s’indignait que son négrier de patron soit blanchi de tous ses crimes.

Il ne faut pas s’étonner des revers de fortune quand ils touchent les simples gens. La rumeur s’en prend rarement aux margoulins ayant pignon sur rue mais se fait impitoyable pour les pauvres gueux de l'espèce de Joseph . Alors, le jour où Meunier lui annonça que la raffinerie de son ancien patron, installée faubourg Madeleine, allait être victime d’un incendie-l’accident était, hélas, assez fréquent- il n’en dit rien et eut même un malin plaisir à voir se consumer une partie des biens de l’odieux personnage.

Joseph, il est vrai , avait lui aussi bien des choses à se reprocher. Exécuteur des basses œuvres, sur le navire négrier du sieur Desfriches, il aurait eu sans doute bien des péchés à avouer au Seigneur s'il avait eu foi en son existence. Pour lui, la chose était impossible. La traite négrière l’avait à jamais convaincu que nul Dieu, quel qu’il fût, n’était à l’origine de ce monde impitoyable.

Aussi, le jour où le brave perroquet vint annoncer à Meunier sa fin prochaine, celui-ci reçut-il la nouvelle avec la sagesse des hommes qui sont désormais en paix avec eux-mêmes. Il offrit son perroquet à une tireuse de tarot, son chaland à son jeune matelot, lui demandant simplement d’en changer le nom. Il donna le peu de biens qu’il avait encore au secours des mariniers. Puis il quitta cette vallée de larmes sans un regret. L’histoire l’oublia et ne retint que son patron, qui fut un des créateurs des musées d’Orléans et qui céda une grande partie de ses collections à la ville. Ingratitude pour l’un, amnésie pour l’autre, ainsi vont la vie et les aléas de la gloire.

Moralistement sien. 

vendredi 28 juillet 2017

L'île de la perpétuation



L'arbre de la renaissance.



Il était une fois sur les rives de Loire, une petite graine portée par un oiseau de passage. Une simple graine qui décida de s'enraciner sur les berges, de se dresser malgré le vent, le froid, l'eau qui vint souvent à lécher sa frêle tige et surtout les rongeurs, toujours prompts à dévorer de jeunes pousses. Le petit arbre grandit, s'éleva fièrement vers le ciel de Loire, le plus beau qu'il fût donné de voir …

Il était devenu un arbre majestueux, un fier saule noir qui ne cessa de croître et d'embellir, de dresser sur la rive sa formidable chevelure. C'est à ses pieds que se déroulèrent bien des secrets, des confidences et des amours. Il vit grandir des enfants qui devenus adultes, furent parents à leur tour .Il vit aussi les enfants de leurs enfants. Il était somptueuse présence tutélaire sur les rives de la fille Liger …

Mais un jour, sans trop qu'on sache pourquoi un castor choisit de s'attaquer à son tronc . L'arbre en sentant les premières morsures, comprit alors que ses jours étaient comptés, qu'il allait bientôt disparaître de ce territoire enchanté. Il avait eu une belle vie, longue et heureuse ; non, il n'avait rien à regretter …

Le castor revint et s'acharna sur le saule pendant deux ou trois jours; il y avait beaucoup à faire pour faire tomber cet arbre vénérable, ce qui n'est pas le cas de certains arbustes, incapables de tenir bon plus d'une journée . Il résista, debout aussi longtemps qu'il put. Il avait raison, car ce n'est pas sous les coups sournois du gentil rongeur qu'il allait perdre la partie.

En effet, ce jour-là, la Loire se mit à gonfler, elle gronda, enfla, se fit violente et puissante. Elle déborda comme elle aime à le faire parfois, arrachant tout sur son passage et le pauvre arbre fut emporté comme fétu de paille. Rien ni personne ne peut arrêter la rivière déchaînée quand elle déborde ainsi de toutes parts.

Notre arbre devint lui aussi une épave flottante parmi les corps d'animaux, les objets abandonnés, les végétaux arrachés, tous charriés par les eaux en furie. Il n'avait plus qu'à suivre le mouvement, allant au gré des fantaisies des flots. La vie et la mort d'un arbre ne sont que peu de chose face à la violence d'un fleuve en colère. Il allait finir, sur une berge, bois flotté, abandonné, bien vite brûlé par les hommes ravis de cette aubaine.

Pourtant, notre saule allait connaître un autre destin.. L'arbre gigantesque était encore muni de la plupart de ses branches. On eût dit un immense corps flottant, un monstre couché dont la puissance encore redoutable, pouvait briser un bateau, déchirer une maison, mettre à mal un pont. Il n'en fut rien cependant.

Au détour d'une courbe de la rivière, en un endroit où le courant se fait moins violent, au milieu du lit, un obstacle imprévisible, un amoncellement de pieux et de rochers arrêtèrent la course du géant. Il se planta là, corps inerte parmi le tumulte et devint à son tour, un obstacle plus grand et imposant que les autres, barricade incroyable qui se dressait au milieu du fleuve.

Les eaux retrouvèrent leur cours habituel et la vie de la rivière reprit son rythme ordinaire. Cependant, la Loire ne cesse de transporter du limon et du sable, des déchets et des pierres. L'arbre couché fut pour tous, un réceptacle, un piège, un support, le début d'une nouvelle histoire. Cet agrégat de matières diverses devint point de départ pour une nouvelle aventure.

Un îlot allait naître; il devint bientôt île. Au fil des années, des arbustes s'enracinèrent, des animaux s'installèrent, la vie prit possession de cet espace gagné sur la rivière, né d'elle et qui désormais avait son existence propre. Cette île grandit; elle devint même l'une des plus importantes en cette partie de notre Loire.

L'histoire pourrait en rester là et ne serait que des plus banales car notre Loire est un fleuve sauvage qui ne cesse de façonner son territoire et ses abords, qui se plaît à se transformer, toujours changeante au fil des saisons et des ans. La vie y est si opiniâtre, affronte des difficultés si considérables, des variations si incroyables que rien de sa part ne devrait nous surprendre.

L'arbre qu'on s'imaginait trépassé, qu'on avait laissé comme un corps mort, flottant au hasard de la colère des eaux, avait conservé en lui un souffle de vie, une volonté obstinée de renaître encore et toujours. Au nom de quel miracle à peine croyable, une branche dans ce tumulte de la création devint-elle pousse? Nul ne peut le savoir. Toujours est-il, qu'en tête de cette belle et grande île, figure de proue de sa création, un saule noir, majestueux et emblématique se dresse comme un pied de nez au destin.

De cette histoire de la vie et de la mort, des eaux et des végétaux, des minéraux et des animaux, il ne faut croire qu'en la force de la vie, en la volonté farouche qu'elle manifeste de perdurer sur nos rives, dans les flots et dans les airs. Préservez-la partout où vous vous trouverez et ne commettez jamais crime contre la Loire et ses hôtes. C'est bien la seule morale de cette histoire, aussi, je vous en conjure, respectez -la et faites-la connaître partout autour de vous !

Genèsement vôtre.


jeudi 27 juillet 2017

Il était une oie …



Fonder une famille sur la Loire


Il était une fois une oie sauvage qui se mit à aimer la Loire tant et si bien qu'elle renonça à faire le grand chemin. La dame se posa sur notre fleuve sauvage et refusa bec et ongles de continuer la grande migration de ses congénères. L'histoire eut pu en rester là si cette oie n'avait décidé, bravant les lois de la nature, non seulement d'élire domicile, ce qui peut aisément se comprendre, tant le fleuve est beau en notre région hospitalière, mais aussi de fonder une famille avec un autochtone. L'exigence est saugrenue, elle défie les lois de la génétique et fut l'occasion de bien des surprises.

Je vais tenter l'aventure de vous narrer par le menu, les vicissitudes de notre oie volage ! Étrangement, notre oie blanche n'était pas née de la dernière averse. Quand on voyage jusqu'en Alaska, les désordres météorologiques ne doivent pas contrarier la dame des neiges. Mais notre demoiselle en avait assez des ces longs périples au-delà du noroit.
C'est en eau douce de Loire qu'elle voulait vivre le reste de son âge, quitte à montrer patte blanche pour se faire accepter des espèces résidentes !

Elle eut été Bernache que le risque eut été plus grand. Les hommes de ce pays, buveurs devant l'éternel, lui auraient fait son affaire, ne lui laissant pas passer le mois d'octobre, servie comme il se doit pour accompagner ce petit vin nouveau, avec ces marrons grillés qui vont si bien quand on farcit ses pareils. La demoiselle ignorait ces pratiques locales, elle se serait sauvée à tire d'ailes si elle avait mieux écouté les leçons des anciens ! La dame ne se poussait pas du bec, elle jeta son dévolu sur le maître de ces lieux.

C'est au Balbuzard, ce beau et grand rapace pêcheur qu'elle fit les yeux doux. Quand on mesure 65 cm, on rêve d'une descendance de belle taille. Hélas, notre ami ne vit pas d'un bon œil cette éventuelle compagne. « Je crains madame, de ne pas faire la maille, si nos envergures sont analogues, je vous rends plus d'un kilogramme sur la balance. » Voilà bien des considérations de mâle prétentieux se dit-elle, en s'en allant plus loin !

Elle retint la leçon du poids et de la taille et se précipita dans les ailes d'un cygne. « Veux-tu devenir mon mari ? » lui demanda-t-elle sans préliminaire. L'animal majestueux examina la demande avant que de la rejeter catégoriquement. « Non, ma chère, notre union ne serait pas prudente ! Les hommes d'ici ont oublié que nous étions autrefois des
plats de fête. Mêler ma destinée à une oie pourrait réveiller ces vilaines manières culinaires. Allez voir d'autres prétendants qui n'ont pas peur des fourneaux ! » Elle s'en alla déconfite, l'argument lui ayant provoqué des sueurs froides !

Elle fit alors la cour à un étrange oiseau qui faisait le pied de grue, immobile près de la berge. « Noble pêcheur aux aguets, si ton bec est aussi long que ton aiguillette, je devine en toi un reproducteur puissant qui pourrait, si l'envie t'en prenait, me donner bien des poussins à l'allure altière ! » Le héron, puisque c'est de lui qu'il s'agit, rejeta la proposition qu'il trouva fort cavalière. « Madame, l'habit ni le bec ne font le moine ! Que feriez-vous dans une héronnière ? En voilà des manières, passez votre chemin, je crois bien que j'ai une touche au fil de l'eau! » Non vraiment se dit-elle, les oiseaux de ce fleuve-là ne savent pas cacarder aux dames !

Elle se mit à broyer du noir, l'aventure tournait au fiasco. Elle se dit alors qu'il fallait tenter l'impossible, ne pas se fier aux apparences. Elle se précipita vers un oiseau en tous points différent d'elle. « Mon bel ami, voulez-vous être mon concubin ?» La demande était franche, la réponse le fut tout autant. « Ma belle dame au plumage si blanc, je suis fort honoré que ma parure noire ne vous ait pas effrayée. J'accepterais volontiers la demande si un petit détail ne venait à me contrarier. Les hommes ont perdu l'habitude de gober mes œufs, c'est désormais pourquoi, nous, les cormorans, sommes si nombreux sur les bancs de sable. Notre union pourrait réveiller bien des envies. On ne fait pas d'omelettes sans briser nos vœux ! ».

Cette fois, l'oie reconnut que la remarque était judicieuse, elle alla chercher sa bonne fortune en un autre endroit ! Ce bon accueil lui redonna du cœur à l'ouvrage. Elle se mit en quête d'un nouveau compagnon. C'est vrai que les oiseaux ne manquent pas en cette Loire. On pourrait même penser que c'est un paradis pour eux. Dans le lot hélas, il y en avait qui ne faisaient pas la taille quoiqu'ils furent d'excellente compagnie. Si la mouette se rit d'elle et la Sterne fut consternante, les autres se montrèrent très charmants. Le gravelot eut la délicatesse de ne lui tenir aucun propos graveleux, elle lui en sut gré. La guifette fut particulièrement aimable, si le grèbe se montra castagneux, le chevalier fut servant. Le vanneau lui parut fatiguant et la bécassine un peu sotte quant à l'aigrette, bavarde infatigable, elle lui servit de gazette du fleuve !

Pourtant pas de compagnon en vue ! Le temps passa, la saison des amours la laissa célibataire. Pourtant la demoiselle ne changea pas sa détermination première. Au printemps suivant, elle en est certaine, elle trouvera oiseau à marier. En attendant ces jours meilleurs, voilà qu'il fit sur la région un froid de canard. Les eaux de tous les étangs, les fosses et les petites rivières n'étaient maintenant que des étendues gelées. Même la Loire était prise en de nombreux endroits par les glaces. Heureusement, le courant du fleuve permettait en certains endroits de garder de minces filets d'eau.

C'est là que tous les oiseaux du pays se serraient les ailes pour se tenir au chaud. Arrivèrent sur la Loire des oiseaux peu habitués à y séjourner. Des barbaries, des cols verts et surprise pour notre oie, un magnifique jars domestique sur lequel elle jeta son dévolu. Ils se plurent immédiatement, l'animal de ferme lui trouvant caractère plus trempé que les femelles de sa cour. Ils décidèrent d'unir leurs destins. Quand la débâcle suivit l'embâcle et que tous les visiteurs s'en retournèrent chez eux, le jars élut domicile sur les rives d'une petite île boisée avec sa douce dulcinée.

Vinrent bien vite les beaux jours et leurs amours réjouirent ceux qui eurent le bonheur d'assister à leur parade nuptiale. Jamais on ne vit spectacle plus charmant ! Des beaux enfants furent les fruits qu'on croyait bénis de cette union ligérienne. Mais les hommes viennent parfois se mêler de ce qui ne les regarde pas. De doctes spécialistes pensèrent qu'il y avait là union contre nature, risque d'abâtardir l'espèce. La première portée fut occise sans ménagement par ces méchants gardiens de l'ordre normal.

L'amour étant plus fort que le dictat des hommes, le jars et notre oie sauvage allèrent se réfugier loin de ces vilains hommes. Ils ne désarmèrent pas et leur union donna de nouveaux rejetons. Maintenant sur la Loire, vous pourrez admirer une nouvelle espèce, fruit d'un croisement que les hommes, dans leur prétention folle, refusaient de voir grandir sur le fleuve. Cette histoire n'est pas une menterie, prenez la peine de regarder autour de vous. On n'entrave pas les amours, nulle barrière, fut-elle dressée par les hommes, ne peut s'opposer à la puissance des cœurs qui battent l'un pour l'autre. Retenez la leçon, elle vaut pour les oies comme pour les hommes.

Nuptialement leur.


mercredi 26 juillet 2017

Jardinière de légumes.


Petits pois deviendront grands.



Il était une fois une gousse qui élevait amoureusement ses petites graines. La belle plante que voilà, qui rêvait d’un destin royal pour les siens. Il est vrai que, cultivée dans le jardin de Villandry, elle ne pouvait rêver plus bel écrin pour atteindre ses fins. Elle était entourée des plus belles plantes du jardin de France : cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.

Notre gousse avait voyagé dans sa vie de graine. Elle avait eu le privilège de naviguer sur la grande mer océane par un curieux hasard que le destin aime à offrir à ceux qui ont des rêves plein la tête. C’est ainsi qu’elle avait fait la connaissance d’une huître. Cette dernière lui avait glissé à l’oreille un bien étrange secret qui germa en son esprit de fort belle manière.

La graine plantée en terre, elle avait acquis la certitude qu’elle parviendrait, elle aussi, a métamorphoser le plomb en or. Il faut dire que les alchimistes étaient légion dans nos châteaux, cloîtres et monastères tout du long de cette rivière sublime. Il n’y avait pas de raison que le petit pois ne se fît pas, également, Grand Invité à la table des Roys.

L’huître avait transmis une formule magique que la gousse exécuta à la perfection. En son sein, elle nourrissait onze petits pois élégants, parfaitement ronds et brillants à souhait. Elle fit des merveilles, puisant dans le sol tous les éléments propres à faire grandir les siens dans un parfait équilibre. Jamais on ne vit par ici plus belle cosse, réceptacle plus charnu, plus gonflé, plus large que celle qui avait un grand dessein en tête.

Quand son tour vint d’être récoltée, la gousse se fit langoureuse. Elle voulait absolument que Camille, la petite-fille du jardinier, fût celle qui viendrait recueillir les fruits de ses entrailles. Elle captait le soleil, elle se frottait contre la tige et les feuilles pour produire une douce mélodie. Camille n’était pas si sotte : elle avait repéré son manège ; elle avait compris qu’il y avait dans cette plante un curieux message qui lui était destiné.

La jeune fille , toujours pieds nus, en haillons, car il n’était pas moyen de l’habiller convenablement, cette sauvageonne qui traînait en tous temps dans cet immense jardin, sentit qu’il était temps de récolter cette cosse et nulle autre. Pourquoi avait-elle conscience de cette étrangeté ? Les mystères sont insondables ou bien ils perdent tout intérêt.

Camille la détacha avec précaution, avec douceur, avec une gratitude dans le cœur qui aurait fait rire des adultes s’ils l’avaient entendu remercier la plante en lui parlant aimablement. Mais qu’importe ce que peuvent penser les autres ! Camille avait dans ses mains le plus beau des trésors. Elle se réfugia dans les bois voisins, chez une vieille femme , Irène, que les gens de la région tenaient pour sorcière. Depuis sa plus tendre enfance, Camille avait pris l'habitude de lui rendre visite et d'échanger des confidences quand elle s'offrait une escapade.

La jouvencelle attendit d’être avec sa vieille amie pour ouvrir le réceptacle végétal. Ce que les deux femmes virent les fit s’exclamer d’émerveillement. Les onze petits pois étaient nacrés, scintillants, translucides. D’une rondeur parfaite, ils ressemblaient à des émeraudes plus qu'à des perles avec leur délicate teinte verte. La vieille Irène sourit de son grand sourire édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la chance de ta vie ! »

Toutes les deux passèrent la journée en d’étranges préparatifs. Quand vint le soir, c’est une Camille transfigurée qui sortit de la masure d’Irène. Elle portait belle robe, parure délicate, bottines fines et gracieuses, coiffe discrète et élégante. Mais par-dessus tout, on percevait le scintillement de son collier de petits pois.

Elle se rendit directement au château où ce soir-là, justement, il y avait bal avec tous les muscadins du coin. Son apparition fit sensation ; elle fut reçue bien que personne ne sût qui elle était. Sa mine et sa grâce avaient ouvert des portes qui, jusqu’à ce jour, étaient toujours restées hermétiquement closes pour elle. Les cavaliers ne regardaient qu’elle, n’avaient d’yeux que pour son cou élancé et fin, orné de cette merveille de pureté. Elle eut, ce soir-là, tous les hommes à ses pieds.

Quand les douze coups de minuit sonnèrent, Camille prit congé de l’assistance médusée. Beaucoup de jeunes gens voulurent la suivre, lui firent des avances, des propositions, curieusement toutes plus honnêtes les unes que les autres. À tous ceux-là, elle déposa un tendre baiser sur le front en murmurant : «  Je choisirai celui qui saura cultiver sa différence ! »

Elle disparut, laissant les jeunes gens désemparés et intrigués. Mais rapidement la surprise devint pour beaucoup de la stupéfaction, de la colère et même de la consternation . En effet ,voulant tous la suivre , ils se précipitèrent vers leurs carrosses. Hélas, à la place de leurs fiers véhicules, il n’y avait plus que des tas grossiers de légumes sur chacun desquels trônait une magnifique citrouille.

Tous les muscadins, à l’exception d’un seul, partirent dans une rage folle, insultant le diable et la terre entière. Ils piétinèrent les légumes et rentrèrent, outrés et piétons, dans leurs demeures respectives. Seul, le jeune Brillat- Savarin comprit le message énigmatique de la beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris ceux qu’avaient massacrés ses collègues. Le lendemain , il alluma un grand feu et confectionna une soupe succulente, un brouet comme jamais plus on n’en goûterait !

Il porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse distribution. Brillat venait de se découvrir une passion dévorante pour la cuisine. Il en ferait son métier en dépit de l’interdiction qui était faite aux gens de son état de travailler. Il n’en avait cure. Il avait pris tant de plaisir à confectionner ce mets qu’il voulait explorer tous les mystères de la gastronomie.

Il en était là de ses réflexions quand la dernière villageoise à quérir un bol de soupe l’intrigua par son sourire en coin. Il lui servit ce qu’elle était venue réclamer mais la jeune fille en haillons ne le remercia pas. Au lieu de ça, elle découvrit sa gorge et Brillat vit, en évidence, le collier qui lui avait fait tourner la tête. Camille s’adressa alors au jeune homme : « Grande et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras mon mari et un formidable cuisinier. Je serai ta femme et cultiverai pour toi les légumes ! »

Ainsi fut fait. Le collier resta au cou de Camille la jardinière. Brillat devint ce grand cuisinier que chacun connaît. Son consommé de petits pois resta dans les mémoires comme le plus délicieux qui soit. Pour tous les deux , ce n’était pas dans la vie oisive des nobles et des puissants qu'ils espéraient trouver la plénitude et le bonheur. Ils se marièrent, travaillèrent et ainsi furent-ils les plus heureux du monde. Ni les titres ni les positions acquises ne font le bonheur. L’épanouissement se trouve dans l’amour et le travail ; menteurs sont ceux qui affirment le contraire.

Macédoinement leur.


mardi 25 juillet 2017

Le chanteur de Loire.



Le réconfort de nos rives.



Il était une fois sur les bords de notre Loire un homme simple qui allait à pied de village en village, Il partageait la vie de tous ceux qui vivaient sur et au bord de la rivière. Tous le connaissaient et quand ils le croisaient sur leur chemin, c'était jour de fête pour chacun. Ils laissaient un temps leur travail et goûtaient au bonheur simple de ses chansons. Pourtant sitôt finis ses couplets, notre homme était incapable de parler à ses semblables, affublé qu'il était d'un terrible défaut de langue...

Et pourtant, de tous, Casimir, puisque tel était son nom, était aimé et respecté. Lui, il avait une certaine préférence pour les trimardiers de Loire. Ces gars qui retournaient à Roanne, humbles mariniers au fil du courant et qui une fois à Nantes, vendaient leur bateau et retournaient chez eux par le chemin à l'envers sur leurs sabiots de bois. Casimir aimait à se retrouver parmi ces gens simples et courageux. Lui qui n'était pas en mesure de partager la rude tâche du halage, se contentait d'accompagner leurs efforts par de très belles chansons qui leur redonnaient force et ardeur..

Il aimait encore retrouver tous les marins dans les tavernes. Quand il arrivait, le silence se faisait, les chopines cessaient de se vider. Les grandes gueules, les soiffards, les querelleurs et les mesquins (car il y en a toujours dans une communauté humaine) attendaient les premières notes pour reprendre en chœur les chants du musicien. La soirée pouvait durer jusqu'au bout de la nuit, fatigues et conflits s'envolaient avec les notes du magicien.

Sur la berge, Casimir ne détournait pas le regard quand des hommes et des femmes effectuaient les rudes travaux des champs. Que les culs-terreux fussent l'objet des moqueries des gars qui vont sur l'eau, lui s'en moquait totalement. Eux aussi avaient des oreilles et une gorge pour se retrouver derrière un refrain qui va bien. Casimir changeait son répertoire, il chantait les moulins qui tournent et les blés qu'on fauche, les troupeaux qu'on conduit et la terre qui résiste. Là encore, par la grâce de ses chansons, l'effort était moins pénible pour ceux qui trimaient sous le joug.

Plus loin, Casimir s'arrêtait dans les ports. Il y avait là des gros bras qui chargeaient et déchargeaient de bien lourds fardeaux. Besogneux méprisés, gagne-misère, ils avaient droit eux aussi aux mélodies du chanteur des travailleurs. Cette fois, il fallait des chansons à beugler, des ripournes qui vous donnent du courage et de l'énergie. Puis quand le déchargement était fait, le chanteur savait les conduire sur d'autres airs, des mélodies douces et sérieuses qui touchaient l'âme de ces braves gars. Il avait le talent de rendre les gens heureux, c'était un souffleur de vent !

Casimir aimait encore retrouver ses amis les bergers car le long de la Loire, paissaient des troupeaux pour entretenir les berges et donner bonne viande pour les jours de fête. Cette fois, sa mandoline se mêlait au flûtiau et des chansons à vous tirer les larmes, soufflaient sur la rivière. C'était des moments d'une rare quiétude et bien des bateaux s'arrêtaient alors ; l'équipage se posait à distance pour ne pas briser la douceur du moment … Casimir redonnait un peu de sens à la vie, tout en prenant chacun par le bout du cœur.

Ne refusant jamais l'offrande d'une chanson quand la requête émanait d'un cœur pur ou simple, Casimir faisait à rebours toujours la sourde oreille quand un valet ou un coursier venait réclamer ses services pour le bon plaisir d'un nobliau ou des gros bourgeoisiaux du bourg. Il repoussait la demande sans même avoir offert auparavant une belle chanson à celui qui avait été mandé pour obtenir ses services. Casimir n'était pas à vendre, sa liberté n'avait pas de prix.

La vie allait ainsi son train et ses refrains. Casimir vivait de l'air du temps, de la générosité de tous et n'était jamais sans invitation à partager la pitance et le toit. Il passait, sans jamais arrêter sa longue marche de Roanne à Nantes , d'une rive à l'aller, à l'autre au retour. Ses passages ponctuaient les années. Deux fois l'an , chacun avait droit à la visite magnifique de celui qui rendait joyeux les regards.

Mais il vint un jour où tout menaça de se briser. Un puissant, courroucé de n'avoir jamais pu s'approprier pour lui seul ce mystérieux chanteur, fit appeler les gens d'armes pour le mettre aux arrêts. Il prétexta un larcin, un vol mystérieux et néanmoins considérable dans sa demeure où le bonhomme était prétendument passé. « Il mérite sûrement les galères » hurlait ce vil accusateur. Le juge de paix allait lui régler son affaire avant la fin de la journée.

Dans la localité où eut lieu cette mascarade, les gens redoutaient tant le méchant que personne, malgré le passé et les souvenirs heureux n'osa se dresser face à ce déni de justice. Casimir était au violon et se morfondait d'autant plus qu'on lui avait pris sa mandoline, sa fidèle compagne ! Il n'avait pas les mots pour se défendre. Ce n'est qu'en chantant que les idées lui venaient. La parole se dérobait à celui qui savait tant de chansons par le cœur.

Son affaire allait être vite expédiée et jamais plus on n'entendrait sur les bords de la rivière, le gentil trouvère. C'était maintenant le moment de sa plaidoirie. Casimir bégayait , cherchant ses mots en vain. Il allait être condamné à cause de cet odieux mensonge sans pouvoir justifier de sa bonne foi. Toux ceux qui assistaient à ce triste spectacle avaient honte d'eux-mêmes, de leur lâcheté et de leur impuissance.

Soudain dans le prétoire, un enfant se mit à siffler et tous les adultes comprirent son intention. Chacun reprit un air qu'ils avaient tous entendu de la voix de Casimir. Le juge étonné n'eut pas le temps de mettre un terme à cette étrange manifestation harmonieuse qui permit à Casimir de retrouver sur le champ sa verve et sa confiance. C'est en chantant qu'il se fit entendre et il composa une si belle défense que le juge le libéra dans l'instant. Le méchant homme sortit de la salle sous les huées et la vie reprit son cours le long de notre Loire.

Si les mots vous manquent, il y a toujours une belle chanson pour faire passer un message, prendre votre défense ou dire des mots d'amour. Retenez ce conseil simple de cette petite fable qui j'espère vous aura enchanté.

Musicalement sien.

 L'histoire en chanson 
Merci Lee Gérien

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...