La
tête dans les étoiles ...
Un
curieux personnage, barde de son état, se déplaçant à grand
fracas de notes et de percussions, flanqué d’un colosse et sa
cornemuse, s’arrêta à mes côtés pour me glisser cette curieuse
phrase : « Tu es un souffleur de vent ! Ta parole portera toujours
au-delà du brouhaha ambiant ! » En quelques mots, Rohan, cette
belle âme m’avait indiqué le chemin à suivre, la tête dans les
étoiles, loin des contingences du moment.
Le
barde de poursuivre : « Dans la multitude indifférente, il y a
toujours quelques belles rencontres qui offrent des moments de grâce.
C’est à celles-là qu’il convient de s’attacher, sans chercher
à toucher une foule qui depuis trop longtemps s’est habituée à
suivre, les yeux fermés, les prescripteurs de la culture formatée. »
Il est vrai qu’il y avait dans sa voix tant de conviction que je ne
pouvais que le croire.
Seul
mon orgueil démesuré m'avait poussé à me persuader qu'il était
possible de toucher la multitude par quelques belles histoires de
Loire. Mégalomanie délirante qui persuade celui qui en est victime,
que les mots ont encore une importance dans ce monde de l’image et
des apparences. Le diseur est un être à part, un décalé de la
modernité, un égaré des temps anciens, un échantillon d’une
espèce en voie de disparition.
Rohan
alors de poursuivre sa leçon. En parfait saltimbanque, il avait tant
à m’enseigner : « Le Souffleur de vent doit suivre son
propre chemin sans se soucier du succès ou de la sécurité du
lendemain. Il va, en homme libre, là où le vent le pousse. Il
s’impose dans la foule indifférente pour y trouver quelques
auditeurs attentifs. Les autres passeront leur chemin, haussant les
épaules, devant l’artiste, cette fonction devenue totalement
déplacée dans un monde de marchands. Les consommateurs ne savent
plus entendre, comment veux-tu qu’ils écoutent ! » Le diable
avait un drôle de sourire aux lèvres. Je ne pouvais que me laisser
envoûter par ses propos.
Il
était intarissable sur le sujet. Il reprit la parole non sans avoir
ameuté les foules avec son compère Vincent à grand fracas musical
: « Tu ne dois pas perdre de vue un point sensible mais
déterminant dans l'acte du souffle des vents contraires à la marche
de la nef des fous. Tu mènes un acte subversif qui est une des
caractéristiques de l'artiste qui joue et jongle avec les mots. Tu
es exactement dans ton rôle
et n'a point à en rougir. Le conteur n'arrange pas, il dérange, il
déroge et s'arroge un droit élémentaire et premier : celui de la
parole, celle qui vole, s'envole et survole les contingences du
temps, des modes et des usages conventionnels. » J’étais
émerveillé par ce qu’il venait de me dire. Le Barde se faisait
Merlin et me montrait le chemin.
Après
avoir réagi à la remarque d’un quidam par une réplique
philosophique au milieu de la foule : « Descartes et Leibniz
ont prouvé l'existence de l'intelligence préexistante et succédant
à la matière ainsi que l'infini de l'univers, donc la réalité
d'une force causale. Il n'y a pas d'effet sans cause et la grandeur
de l'effet renvoie à la grandeur de la cause. La vie, l'univers et
tout ce qui y est contenu ainsi comme lois et comme principes n'est
pas l'œuvre de l'homme, c'est donc celle d'une puissance créatrice
qui lui est infiniment supérieure », ce sage se retourna vers
moi pour me convaincre encore d’oser suivre la voie qu’il m’a
toujours indiquée : « Rien ne t'empêche d'être libre de te
trouver sur la voie publique et faire ce que tu dois. A toi de
conjurer le sort que t'a réservé le "programme",
d'ailleurs je ne pense pas que l'on puisse programmer totalement un
électron libre. » C’est ainsi qu’un impromptu naquit au
milieu de la foule, les agités du Bouzin sonnèrent le rassemblement
pour que le conteur dispose d’un auditoire. La ruse avait
fonctionné.
Il était temps pour nous de
séparer nos chemins. Le Barde et le sonneur allaient sur scène, le
Conteur partait en quête d’oreilles attentives. Rohan me glissa
encore une recommandation ou plus exactement un encouragement :
« Seule la quête des perles rares qui se présentent en
chemin, doit préoccuper le souffleur de vent, cet orpailleur des
lisières et des marges. Une seule rencontre, à la marge du flot,
suffit à éclairer la journée. Un passant qui prend la peine de
retenir une tirade, de comprendre une histoire, d’apprécier une
chute sera ta plus belle récompense ! »
Pour
parfaire cette merveilleuse leçon de vie, une main gigantesque se
posa sur mon épaule. Vincent qui jusque-là, avait écouté son ami,
voulut me regonfler le moral. Rien de mieux qu’un joueur de
cornemuse pour remplir une outre, fut-elle vide. Avec sa malice
habituelle il me dit : « Quand le vent souffle, rien ne
l’arrête, pas même les décibels artificiels dont se parent les
tenants de l’uniformité. Personne n’entrave la liberté d’une
parole qui vagabonde sans se soucier des règles et des convenances,
des obstacles ou des interdictions. Le zéphyr est indomptable,
fut-il réduit parfois à un simple courant d’air allant à
l’envers de la mode ! Le vent n’a ni tribu, ni clan, ni attaché
de communication ni impresario. Il souffle jusqu’à décoiffer ceux
qui se dressent sur son passage, bousculer les forteresses de la
suffisance, abattre les idées reçues : paravent de l’absence de
curiosité. »
Les
deux lascars reprirent leur rôle. Invités d’honneur de l’endroit,
ils faisaient grand bruit dans la foule. La grosse caisse et la
cornemuse sont de nature à regrouper le troupeau. Pourtant, ces deux
bergers de la fête, avaient laissé sur la rive un curieux mouton
noir. Ce n’était pas un oubli, ils savaient désormais que les
conseils qu’ils lui avaient distillés lui redonnerait force et
courage.
Éoliennement
leur.
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