mardi 24 mars 2020

Pourquoi les poissons font-ils des ronds dans l'eau ?


Mes contes du Confinement



Il fut un temps où en bord de rivière il y avait des elfes et des lutins, de gentils Korrigans et d’inquiétants Trolls. Dans l'eau, quand sautait un poisson ou bien qu'il frayait en charmante compagnie, la surface liquide ne laissait rien voir de ces activités qui demeuraient secrètes. L'onde restait uniforme, seules les vagues et les rides du vent marquaient de quelques signes les flots de nos rivières et de nos étangs.

Pourtant, les poissons, désireux de ne pas passer inaperçus, voulurent changer le cours des choses ainsi que les lois de la physique. Ils se plaignaient que les humains qui vont sur Terre les ignorent de la sorte. Un jour, ils tinrent un grand conciliabule, une importante réunion regroupant la fine fleur piscicole, en un lieu tenu secret de notre Loire.

Le brochet, qui en cette époque lointaine, était le roi des profondeurs, prit la parole en premier. Il voulait qu'on puisse reconnaître, sans risque de confusion, sa marque au-dessus de l'eau. Il réclama que tous les hôtes de l'onde tracent un triangle pour indiquer leur présence à ceux qui vivent hors de l’eau. Beaucoup alors de protester avec colère. Le goujon s’indigna : « Le triangle est une forme compliquée qui exige des connaissances en trigonométrie ». Vu sous cet angle, notre réunion au sommet risquait de connaître une crise aiguë. Le brochet ne se montra pas obtus, il sut écouter sa base.



La carpe réclama le silence. Elle prit de la hauteur, prétendant qu'un carré ferait tout aussi bien l'affaire, qu'il serait plus simple et bien moins compliqué. Des angles droits et quatre côtés égaux, la mesure lui semblait raisonnable. Hélas, chez les poissons comme pour les hommes, il est bien compliqué d'obtenir l'adhésion générale. Une tanche fit remarquer que les angles risquaient de blesser ceux qui s'y cogneraient. Le carré fut à son tour rejeté de la surface de l'eau !

Une modeste perche voulu tendre la sienne à cette noble assemblée. Elle se félicita d'abord qu'on éliminât les polygones à commencer par le mystérieux pentagone. Elle recommanda qu'on abandonne l’idée saugrenue d’ajouter d'autres côtés. Sur le fond, on lui donna raison. Puis elle se réclama d'une figure simple par excellence qui honorait son nom : la ligne. Ses amis protestèrent avec colère : «  Où as-tu pêché une telle idée ? ». La suggestion se brisa nette sur cette réplique. L’ablette tint propos prémonitoire : « Ne poussons pas le bouchon trop loin avec cette idée de ligne. Les humains ne mordront pas à l’hameçon ! »

Sa consœur Arc-en -ciel eut ensuite droit à la parole. Elle réclama, vous devez vous en douter, un arc qui se propagerait sur l'eau en se tournant vers le soleil. Les autres poissons firent feu de tout bois contre cette idée saugrenue. « Comment savoir, où se trouve le soleil, les jours de pluie ? » demanda un gardon, poisson qui adore le beau temps ? «  Qui déterminera le rayon de courbure ? » s'enquit un vairon plus savant que les autres. « Un arc sans flèche, voilà une idée qui n’a pas sens ! », conclut l’alose qui mit un point final à cette suggestion.

C'est alors qu'un banc de mulets remontant le fleuve, poursuivi,comme il se doit sur la Loire, par quelques phoques en grande gourmandise, passa à portée de la réunion. «  Que faites-vous là, collègues d'eau douce , » s'enquit le chef de la bande de ces poissons venus de l’océan «  Nous tenons grand conciliabule pour déterminer quelle devrait être la marque des poissons au-dessus de l'eau » lui répondit une brème qui faisait la planche.


Pour être mulet, le poisson migrateur n'était pourtant pas un âne. L’un d’eux eut réflexion prompte et remarque judicieuse. « Vous avez vous-mêmes le fin mot de l'histoire. Cherchez, dans ce que vous êtes en train de faire, la réponse s'offre à vous ! ». Puis le malin s'ensauva bien vite accompagné de tout son banc et de l’arrière-banc aussi ; les phoques se faisaient de plus en plus pressants : il ne fallait pas traîner sur cette ligne d'eau.

La troupe resta coite quelques instants. Quel était le sens sibyllin de cette énigme muletière ? Chacun se perdait en conjectures. Il y eut grand remue-méninge au fond de l'eau. Beaucoup d'espèces restèrent bouche-bée ne trouvant plus rien à dire. C'est d'ailleurs de cette journée mémorable de l'histoire des poissons qu'ils ont gardé cette déplorable habitude. Mais ceci n'est qu'une conséquence annexe de notre histoire de Loire.

La journée allait tourner en queue de poisson quand une anguille à qui l'on ne demandait jamais rien et qui n’admettait pas que la séance tourna ainsi en queue de poisson osa une remarque. « Conciliabule, conciliabule, aurions-nous tous une tête de conciliabule ? » Cette réplique fit florès bien plus tard, en toute autre circonstance.

Mais pour anodine et inutile que fût cette remarque, elle fit écho dans la tête d'un barbeau qui faisait le malin. « Mon bon Dieu, mais c'est bien sûr », se dit celui-ci en se frappant la nageoire caudale... Nous avions la réponse sous les yeux et nous étions incapables de la voir. Quelle bande de harengs nous sommes !



Les autres de s'impatienter tout en trouvant fort déplacée cette remarque désagréable sur un poisson qui ne mettait jamais une nageoire dans la Loire. « Parle, puisque tu es si malin ! » lui enjoignit le brochet qui avait une envie folle de l'avaler tout cru. Le barbeau voyant sa dernière heure arrivée, ne demanda pas son reste et hurla à la noble assemblée « Bulles, mes amis, ce sont des bulles que nous suggèrent les mulets. Ce sont donc des ronds dans l'eau que nous devons faire pour nous sortir de ce cercle visqueux! »

Depuis ce jour, sur la Loire d'abord puis, la mode ayant séduit les poissons de toutes les autres rivières, nos amis dans l'eau signalent leur présence par de magnifiques cercles qui se propagent comme une onde sur l'onde pure à la vitesse théorique de 13,41 cm la seconde s’il n’y a ni vent ni perturbation.

Je vois bien que cette histoire ne semble pas vous convaincre. Méfiez-vous cependant de ne pas rester comme deux ronds de flan. Vous pourriez à votre tour, faire comme notre ami le pape et ses compagnons piscicoles, des bulles à longueur de journée. 

 

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