Mes contes du Confinement
Il
fut un temps où en bord de rivière il y avait des elfes et des
lutins, de gentils Korrigans et d’inquiétants Trolls. Dans l'eau,
quand sautait un poisson ou bien qu'il frayait en charmante
compagnie, la surface liquide ne laissait rien voir de ces activités
qui demeuraient secrètes. L'onde restait uniforme, seules les vagues
et les rides du vent marquaient de quelques signes les flots de nos
rivières et de nos étangs.
Pourtant,
les poissons, désireux de ne pas passer inaperçus, voulurent
changer le cours des choses ainsi que les lois de la physique. Ils se
plaignaient que les humains qui vont sur Terre les ignorent de la
sorte. Un jour, ils tinrent un grand conciliabule, une importante
réunion regroupant la fine fleur piscicole, en un lieu tenu secret
de notre Loire.
Le
brochet, qui en cette époque lointaine, était le roi des
profondeurs, prit la parole en premier. Il voulait qu'on puisse
reconnaître, sans risque de confusion, sa marque au-dessus de l'eau.
Il réclama que tous les hôtes de l'onde tracent un triangle pour
indiquer leur présence à ceux qui vivent hors de l’eau. Beaucoup
alors de protester avec colère. Le goujon s’indigna : « Le
triangle est une forme compliquée qui exige des connaissances en
trigonométrie ». Vu sous cet angle, notre réunion au sommet
risquait de connaître une crise aiguë. Le brochet ne se montra pas
obtus, il sut écouter sa base.
La
carpe réclama le silence. Elle prit de la hauteur, prétendant qu'un
carré ferait tout aussi bien l'affaire, qu'il serait plus simple et
bien moins compliqué. Des angles droits et quatre côtés égaux, la
mesure lui semblait raisonnable. Hélas, chez les poissons comme pour
les hommes, il est bien compliqué d'obtenir l'adhésion générale.
Une tanche fit remarquer que les angles risquaient de blesser ceux
qui s'y cogneraient. Le carré fut à son tour rejeté de la surface
de l'eau !
Une
modeste perche voulu tendre la sienne à cette noble assemblée. Elle
se félicita d'abord qu'on éliminât les polygones à commencer par
le mystérieux pentagone. Elle recommanda qu'on abandonne l’idée
saugrenue d’ajouter d'autres côtés. Sur le fond, on lui donna
raison. Puis elle se réclama d'une figure simple par excellence qui
honorait son nom : la ligne. Ses amis protestèrent avec colère : «
Où as-tu pêché une telle idée ? ». La suggestion se brisa
nette sur cette réplique. L’ablette tint propos prémonitoire :
« Ne poussons pas le bouchon trop loin avec cette idée de
ligne. Les humains ne mordront pas à l’hameçon ! »
Sa
consœur Arc-en -ciel eut ensuite droit à la parole. Elle réclama,
vous devez vous en douter, un arc qui se propagerait sur l'eau en se
tournant vers le soleil. Les autres poissons firent feu de tout bois
contre cette idée saugrenue. « Comment savoir, où se trouve
le soleil, les jours de pluie ? » demanda un gardon, poisson
qui adore le beau temps ? « Qui déterminera le rayon de
courbure ? » s'enquit un vairon plus savant que les autres.
« Un arc sans flèche, voilà une idée qui n’a pas sens ! »,
conclut l’alose qui mit un point final à cette suggestion.
C'est
alors qu'un banc de mulets remontant le fleuve, poursuivi,comme il se
doit sur la Loire, par quelques phoques en grande gourmandise, passa
à portée de la réunion. « Que faites-vous là, collègues
d'eau douce , » s'enquit le chef de la bande de ces poissons
venus de l’océan « Nous tenons grand conciliabule pour
déterminer quelle devrait être la marque des poissons au-dessus de
l'eau » lui répondit une brème qui faisait la planche.
Pour
être mulet, le poisson migrateur n'était pourtant pas un âne. L’un
d’eux eut réflexion prompte et remarque judicieuse. « Vous
avez vous-mêmes le fin mot de l'histoire. Cherchez, dans ce que vous
êtes en train de faire, la réponse s'offre à vous ! ». Puis
le malin s'ensauva bien vite accompagné de tout son banc et de
l’arrière-banc aussi ; les phoques se faisaient de plus en plus
pressants : il ne fallait pas traîner sur cette ligne d'eau.
La
troupe resta coite quelques instants. Quel était le sens sibyllin de
cette énigme muletière ? Chacun se perdait en conjectures. Il
y eut grand remue-méninge au fond de l'eau. Beaucoup d'espèces
restèrent bouche-bée ne trouvant plus rien à dire. C'est
d'ailleurs de cette journée mémorable de l'histoire des poissons
qu'ils ont gardé cette déplorable habitude. Mais ceci n'est qu'une
conséquence annexe de notre histoire de Loire.
La
journée allait tourner en queue de poisson quand une anguille à qui
l'on ne demandait jamais rien et qui n’admettait pas que la séance
tourna ainsi en queue de poisson osa une remarque. « Conciliabule,
conciliabule, aurions-nous tous une tête de conciliabule ? »
Cette réplique fit florès bien plus tard, en toute autre
circonstance.
Mais
pour anodine et inutile que fût cette remarque, elle fit écho dans
la tête d'un barbeau qui faisait le malin. « Mon bon Dieu,
mais c'est bien sûr », se dit celui-ci en se frappant la
nageoire caudale... Nous avions la réponse sous les yeux et nous
étions incapables de la voir. Quelle bande de harengs nous sommes !
Les
autres de s'impatienter tout en trouvant fort déplacée cette
remarque désagréable sur un poisson qui ne mettait jamais une
nageoire dans la Loire. « Parle, puisque tu es si malin
! » lui enjoignit le brochet qui avait une envie folle de
l'avaler tout cru. Le barbeau voyant sa dernière heure arrivée, ne
demanda pas son reste et hurla à la noble assemblée « Bulles,
mes amis, ce sont des bulles que nous suggèrent les mulets. Ce sont
donc des ronds dans l'eau que nous devons faire pour nous sortir de
ce cercle visqueux! »
Depuis
ce jour, sur la Loire d'abord puis, la mode ayant séduit les
poissons de toutes les autres rivières, nos amis dans l'eau
signalent leur présence par de magnifiques cercles qui se propagent
comme une onde sur l'onde pure à la vitesse théorique de 13,41 cm
la seconde s’il n’y a ni vent ni perturbation.
Je
vois bien que cette histoire ne semble pas vous convaincre.
Méfiez-vous cependant de ne pas rester comme deux ronds de flan.
Vous pourriez à votre tour, faire comme notre ami le pape et ses
compagnons piscicoles, des bulles à longueur de journée.
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