Contes du Coronavirus
Pour
un bouquet de houx.
Il
était une fois une vieille femme, coureuse des bois, cueilleuse
folle et sans doute, pour ceux qui prennent ombrage des comportements
marginaux, un peu sorcière. Veuve depuis si longtemps, elle
inquiétait par son obstination à vouloir rester seule malgré le
poids des ans. Ce jour-là, ayant dû s'asseoir au pied d'un grand
chêne tourmenté, elle reprenait son souffle, la tête lui tournait.
Une sourde angoisse l'envahissait, le jour était tombé sans qu'elle
s'en rende compte, tout affairée qu'elle était à préparer ses
fagots.
Le
temps sentait la neige comme disent les gens du coin. Pourtant la
vieille était partie en ce jour de mi- décembre où les jours sont
si courts … Elle avait taillé sa route pour se rendre aux
affouages de l'hiver passé. Des arbres avaient été abattus, les
parcelles éclaircies ; il était aisé d'y faire des fagots sans la
crainte de s'accrocher aux ronces, aux épines
noires ou aux églantiers.
Elle
allait son chemin. La forêt avait toujours été son terrain de jeu.
Au printemps elle y glanait les mousserons et les pieds de mouton, y
ramassait quelques brins de muguet pour égayer sa demeure. L'été,
elle y conduisait ses chèvres ; il y avait toujours pâture
pour elle à l'humidité des clairières. Puis au déclin de la
saison, elle y trouvait trompettes de la mort, chanterelles, mûres
et noisettes. La forêt l'avait toujours bien servie.
L'hiver
était plus rude. Pourtant, elle se souvenait avec nostalgie qu'elle
y portait souvent le casse-croûte du père qui était bûcheron.
Eugène, puisque tel était son nom, partait avec ses fils abattre et
fendre le bois. Elle, toute jeunette alors , allait à leur
rencontre avec son petit panier duquel dépassaient quelques
bouteilles de vin rouge … C'était il y a si longtemps !
Ce
jour-là, elle entra dans le bois, insouciante et joyeuse. Le poids
des ans ne semblait pas avoir prise sur elle pas plus que ce ciel
gris, lourd de menace et de nuages. La forêt était anormalement
silencieuse comme si les animaux étaient dans l'attente de la neige
ou d'un mystère plus profond encore ..
La
vieille ne voulait pas tarder. Il lui fallait juste ramasser le bois
mort dont elle avait besoin pour nourrir cette journée et le
dimanche qui venait. Elle était toute affairée à son modeste
ouvrage : son foyer était gourmand , l'âtre insatiable par ce froid
pénétrant ; il ne fallait pas s'endormir à l'ouvrage. Elle
déposa sa récolte en quelques tas soigneusement rangés puis s'en
retourna, chargée de ce qu'elle pouvait prendre !
Dans
sa quête forestière, elle avait tourné en rond , pensant que le
chemin n'était pas très loin de là. Il lui fallait retrouver la
lisière pour s'en retourner chez elle. Elle avança ainsi droit
devant elle pendant une centaine de mètres, puis obliqua vers la
droite car il lui semblait distinguer une clarté dans les branches
mais elle n'était plus très sûre. Tout à coup, elle eut comme un
doute, un pressentiment. Pour la première fois de sa longue
existence, elle s'était perdue dans sa chère forêt ...
C'est
le gars Lucien, dit Morvandiau, un solide gaillard de vingt ans,
bûcheron de son état, qui la trouva au petit jour : Hermine
était allongée, à l'abri de la bise au creux d'un fossé à
sec, sur un lit de feuilles mortes. Elle reposait là, au pied d'un
grand chêne, son arbre préféré.
Avant d'appeler à l'aide, Lucien la contempla longuement ;
elle avait attaché son foulard, mis en ordre ses habits et sa mise.
Il lui semblait que la vieille dame avait attendu le grand sommeil,
sans inquiétude ni colère ; comprenant que son heure avait
sonné, que la camarde était venue la quérir au milieu des bois, en
cette nuit qui sentait la neige.
La
veille au soir, Jean-Baptiste et Léon, ses deux petits-fils,
accompagnés des villageois, s'étaient lancés à sa recherche
mais avaient dû l'abandonner, à cause de la nuit, épuisés par
tous leurs appels désespérés, ces « grand-ma» qui
s'évanouissaient en vain dans l'obscurité grandissante.
C'est
Jean-Baptiste, le plus jeune, qui ramena sa grand-mère dans ses bras
comme elle -même l'avait porté des centaines de fois. Léon
suivait, il avait tenu, on se demande bien pourquoi à prendre les
deux misérables fagots, trouvés à ses côtés dans le fossé. Le
médecin prévenu par Lucien, attendait dans la cuisine. Il constata
le décès, présenta ses condoléances aux fils et à ses deux
petits- fils sans faire mention de sa dernière visite à la
vieille, deux jours plus tôt !
Il avait constaté à cette occasion, que la vilaine grosseur qui
déformait la gorge de Hermine, avait encore enflé plus que de
raison. La vieille femme lui avait décrit cette fatigue qui ne la
lâchait plus et cette affreuse douleur qui la rendait folle. Quand
le médecin avait évoqué l'hôpital de Châlon, Hermine n'avait
pas répondu, ou plutôt elle lui avait signifié d'un
petit hochement de tête que ce n'était pas pour elle, qu'elle
allait rester ici jusqu'au bout ...
L'hiver était tout proche . Pour les deux frères et leurs enfants
ce serait leur premier Noël sans leur mère et grand -mère.
Baptiste en déliant le fagot de bois mort, y trouva un petit bouquet
de houx. Il le mit devant la crèche comme la vieille le faisait à
chaque Noël, quand elle venait leur rendre visite. Il pleura
longuement, attendri par ce dernier et silencieux message d'amour
d'une Hermine qui n'avait jamais su leur montrer qu'elle les aimait.
Sylvestrement
sien.
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