Les
deux ancres …
Il
arrive parfois que la chance sourie à celui qui la mérite vraiment.
Mais alors il ne manque jamais de faire des envieux et des jaloux.
Parfois ceux-là veulent à leur tour tirer le bon numéro. Il est
rare que la bonne fortune passe deux fois dans les mêmes conditions.
Écoutez donc cette étrange histoire !
Il
était une fois un brave homme qui était si pauvre qu’il avait
toutes les peines du monde à nourrir sa famille. La vie l'avait fait
naître sans fortune. Il n’avait hérité que de la force de ses
bras, de son bon cœur et d'une vieille barque qu’à force
d’ingéniosité et de patience, il maintenait à flot.
Pour
gagner sa vie, il y avait la rivière. C'était une époque
poissonneuse. Sa pêche lui permettait essentiellement de nourrir les
siens tout en vendant quelques poissons pour améliorer l’ordinaire.
Sa barque était pour lui un bien précieux, son outil de travail
pour relever quelques nasses et de faire de jolis coups de filets.
C'est
un matin de décembre, le jour de la saint Nicolas qu'il commit
l'étourderie de jeter sa vieille ancre toute rouillée à l'eau. La
veille, il avait défait la lourde chaîne pour ressouder un maillon
qui se défaisait. Pris par la nuit, il avait oublié de fixer
l'ancre à sa chaîne. Quand il s'aperçut de sa méprise, il était
trop tard, l'ancre était au fond de l’eau et sa barque allait
dériver vers les piles du pont.
Le
vieux pêcheur, fou d’inquiétude ne savait pas nager, il voyait sa
dernière heure arriver. Il était dans un tel désespoir qu’il se
mit à implorer le ciel pour échapper à la mort en se fracassant
sur la pile d’un pont
Alors
qu’il priait avec ferveur, un vieillard surgit de nulle part avant
de plonger dans des eaux glacés. Il remonta à la surface près de
la barque, tendant au pêcheur désespéré une ancre rutilante et
argentée. L'homme dans sa barque semblait contrarié. Il dit à son
sauveteur : « Ce n’est pas la sienne ! Mon ancre est
vieille, rouillée et toute cabossée... »
L’inconnu
replongea dans la Loire pour remonter une nouvelle ancre plus belle
encore : dorée et brillant de mille éclats. Le pêcheur ne fois
encore lui dit : « Ce n’est pas la sienne ! Mon ancre est
vieille, rouillée et toute cabossée... ».
Saint
Nicolas, puisque c'était lui qui était venu vers notre homme,
plongea une dernière fois et remonta enfin la vieille ancre
rouillée. Le pêcheur avait retrouvé le sourire, accrocha l’ancre
à sa chaîne et évita le naufrage.
Saint
Nicolas tout en le félicitant pour son honnêteté lui fit cadeau
des deux premières ancres : l'une était en argent et l'autre en or
puis disparut aussi mystérieusement qu’il était venu.
Le
pêcheur vendit ce cadeau de la destinée. Il en reçut une petite
fortune. Il garda suffisamment d'argent pour ne plus être inquiété
le reste de son âge et donna le reste aux pauvres qui étaient
nombreux en ce temps lointain.
Longtemps
plus tard, le vieux pêcheur raconta imprudemment son aventure à un
client fortuné mais pingre qui avait toujours marchandé le prix du
poisson. Ayant écouté l’aventure du pêcheur, le riche client ,
le lendemain, se déguisa à son tour en pauvre pêcheur pour aller
sur la Loire, à bord d'une barque toute vermoulue. Il lui avait
fallu emprunter hardes et embarcation à des miséreux contre
quelques pièces.
Celui
qui singeait la pauvreté se mit à l'eau au même endroit où avait
eu lieu l'incroyable aventure du pêcheur. À son tour, IL jeta dans
les flots une ancre qui n'était pas neuve. Il avait en tous points
imités le déroulement de l’aventure qu’on lui avait cédée.
Privé
d’ancre, sa barque dériva. Il implora le grand Nicolas qui cette
fois encore ne tarda pas à porter secours. Le cupide expliqua sa
maladresse et pria le saint homme de le sauver. Le vieillard à la
barbe blanche revint avec un ancre argentée. L’indigne personnage
s’exclama : « Quelle coïncidence, c’est celle que j’avais
perdu l’an passé. J’aimerai récupérer la suivante mon brave
homme »
Le
vieillard replongea et sortit cette fois une ancre en Or. Le faux
pêcheur se réjouit et Saint Nicolas disparut avec un étrange
sourire sans même un petit merci ...
L’homme
tout à sa joie se rendit compte que sa barque prenait de la vitesse
et allait s’écraser contre un pile du pont. Pour éviter la
catastrophe, il prit la chaîne pour y attacher une des deux ancres
précieuses. Il se penchant au fond de la barque et ne vit que deux
petits tas de sable ...
La
barque se fracassa, l'homme tomba dans les flots tumultueux. Le vieux
pêcheur qui avait suivi à distance la mascarade, arriva assez vite
pour repêcher le méchant homme. Tout penaud celui-ci fut contraint
de le remercier. Une fois à terre il s’en retourna dans son
échoppe, la tête basse sous les moqueries de tous ceux qui avaient
assisté à la farce.
De
ce jour, le marchand connut des revers de fortune, multiplia les
mauvaises affaires et se retrouva bientôt aussi pauvre que l’avait
été autrefois le pêcheur. Celui-ci eut pitié de lui et lui
accorda le gîte et tous les jours lui donna un bol de soupe et une
miche de pain. Quant à lui donner de l’argent, il se dit que ce
n’était pas bonne charité pour celui qui a voulu tromper le ciel.
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