La
poupée en laine.
Il
était une fois un pauvre bonhomme qui avait perdu le fil de sa
mémoire. Tout s’effilochait dans sa tête, la vie perdait son sens
sans qu’il n’y puisse rien faire. Impuissant devant cette perte
inexorable de lui-même, il se laissait aller, ne mangeait plus,
attendait que la Camarde vienne le délivrer de son triste état.
Dans
son entourage, il était des amis qui ne se résignaient pas à le
voir ainsi dépérir. Mais que faire pour le ramener un tant soit peu
au réel, l’accrocher à une petite parcelle de son passé ? Bien
souvent, le hasard, puisque c’est ainsi que nous nous plaisons à
désigner les pirouettes du destin, vient brouiller les cartes et
changer la donne. Ce fut ce qui arriva pour lui.
Un
familier du malheureux avait déniché dans un grenier une
tapisserie, un canevas plus exactement, tissé patiemment sans doute
par un de ses proches, une grand-mère ou bien une tante
vraisemblablement. À partir d’une photographie sur laquelle notre
homme, enfant, était représenté dans son univers de l’époque,
un tableau de fils multicolores était né. Ce vestige d’un passé
oublié allait peut-être réveiller la conscience de notre ami, se
dit le chineur qui s’empressa de le lui offrir.
L’homme
sans passé fut interloqué par ce cadeau. Il resta longuement à le
fixer, sans la moindre réaction apparente quand une lueur se fit !
Il venait non point de réaliser qu’il s’agissait de lui enfant
ou bien d’identifier quelqu’un mais tout simplement de découvrir
qu’un fil avait été mal noué. Il le tira délicatement …
Le
canevas se défit sous ses yeux. Avec une patience dont il n’avait
jamais fait preuve auparavant, il enroula les fils un à un, les
reliant par un nœud, pour conserver la logique de cet effilage
méthodique, constituant alors un bel écheveau. Ceux qui assistèrent
à la scène n’osèrent intervenir, pensant sans doute qu’il
devait aller au bout de son étrange activité.
Quand
la toile fut entièrement dénuée de fils, le chineur, homme aux
intuitions surprenantes, tendit à notre amnésique un Tricotin,
objet qu’il avait découvert dans une malle à jouets. L’homme se
mit immédiatement en action, reprenant le fil enroulé, se rappelant
les gestes de son enfance, il se mit en demeure de tricoter avec cet
ustensile. Il allait retrouver le reste avec une facilité
déconcertante, n’hésitant pas une seule seconde.
Le
temps passa, l’homme tricotait pratiquement sans prendre de repos.
Ce qui ne cessait de surprendre les observateurs, c’est qu’il ne
se contentait pas de réaliser des tubes tressés de laine. Non, il
semblait à tous que le fruit de son labeur prenait des formes qui
échappaient à la logique de l’appareil. Ils y voyaient tous une
énigme qu’il convenait de ne pas entraver.
Bientôt
la logique apparut. Sous le Tricotin, on percevait nettement les
formes d’une poupée de laine. Il y avait magie là-dessous. Chacun
attendait avec impatience de voir comment allait se terminer
l’aventure. La poupée avait la taille d’un enfant déjà grand.
C’était manifestement une jeune fille puisque des cheveux longs
ornaient son cou, descendaient sur son dos. Les couleurs
s’harmonisaient incroyablement bien, donnant le sentiment que tout
avait été conçu pour réaliser cette merveille.
La
poupée achevée, l’homme la libéra du Tricotin. Il lui déclara :
« Bonjour Virginie, je m’appelle Paul et je t’ai toujours
aimée ! » Ceux qui étaient présents n’en revenaient pas.
Non seulement il avait parlé mais il avait retrouvé son prénom.
C’était miraculeux. Il fallait absolument retrouver cette Virginie
pour renouer les fils de la mémoire.
Ce
ne fut pas chose facile. Remonter dans le passé n’est pas simple
surtout quand on manque d’éléments. Une photographie de classe
permis de réaliser ce miracle. Une année inscrite sur une ardoise,
les prénoms et les noms de famille des élèves de cette classe
unique, notés au dos. Il y avait côte à côte, se tenant par la
main Paul et Virginie. La recherche pouvait débuter.
Les
archives ne sont pas toujours muettes. Virginie, après bien des
tribulations, sortit du passé pour se présenter un jour, en chair
et en os devant Paul. Ce fut immédiat, l’homme sans mémoire la
reconnut, en dépit des années, en dépit des transformations que le
temps fait subir aux gens. Virginie était émue, elle tendit les
bras à Paul, il se lova tout contre elle. Non seulement il avait
retrouvé la mémoire mais plus encore, celle qu’il avait toujours
chérie.
L’histoire
ne dit pas si l’amour entre eux fut possible. C’est à chacun de
se déterminer. Les destinées sont complexes, les parcours de vie
conduisent souvent sur des chemins divergents. Paul avait renoué
avec son passé, ne lui restait plus qu’à se conquérir un
présent. Il avait renoué les fils de sa mémoire, plaise à Dieu
que le bonheur s’offre aussi à lui !
Amnésiquement
leur.
Mes contes du Coronavirus
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