Les
trois sœurs.
Il
était une fois, au bord d’une rivière, trois sœurs, trois
orphelines qui avaient décidé d’unir leurs efforts pour vivre
ensemble dans la maison de leurs parents, trop tôt disparus. Les
temps étaient durs pour tous et plus encore pour ces pauvrettes,
sans autre ressource que leur courage et la force de leurs bras.
Pour
survivre elles se proposaient aux mille et uns ouvrages qui peuvent
se trouver dans un voisinage qui a certes souvent besoin d’aide
mais dispose rarement de quoi la récompenser. Les jeunes demoiselles
se contentaient d’une miche de pain, d’un morceau de lard, de
quelques légumes, simplement de quoi subsister jusqu’à ce qu’un
Prince charmant ne passe auprès de leur masure.
Elles
étaient bien naïves sans doute parce que leur marraine, la fée
Houlippe les avait habituées à croire aux miracles. La belle dame
venait parfois leur rendre visite, sortant alors de son panier
magique de quoi faire bouillir la marmite quand leur labeur n’y
suffisait plus. La magicienne n’avait jamais souhaité les habituer
à la facilité, c’est pourquoi jamais elle ne leur promit la Lune
ou ne leur donna une bourse pleine d’or.
La
bonne fée avait des vues sur l’éducation qui ne permettaient pas
de sombrer dans la facilité ni même dans les croyances illusoires.
Elle usait avec parcimonie de ses pouvoirs magiques pour ne pas gâter
ces belles demoiselles qu’elle avait placées sous son aile. Nous
ne pouvons l’en blâmer, bien des parents aujourd’hui devraient
agir de la sorte avec leurs rejetons au lieu de céder à tous leurs
caprices.
Pourtant,
l’hiver avait été si rude cette année-là que les maigres
ressources dont disposaient les gens ne se partageaient plus. Les
trois sœurs étaient au plus mal, seule leur chère Houlippe pouvait
leur permettre d’échapper à la famine. C’est l’aînée des
donzelles qui un soir, se mit à hurler au bord de la rivière, pour
appeler au secours leur chère marraine.
Comme
à son habitude, Houlippe sortit des flots, juchée sur un char tiré
par deux magnifiques et puissants cygnes noirs. C’est dans cet
attelage qu’elle venait toujours leur rendre visite. Quoique
incroyable, la chose n’étonnait jamais les jeunes filles, elles
l’avaient toujours vue surgir ainsi et ne s’en formalisaient
jamais. Les humains ont grande faculté à accepter le merveilleux,
c’est sans doute pourquoi ils sont capables de détruire la
planète, ce trésor fabuleux que la destinée leur a confié.
Houlippe
cette fois sentait bien que la situation de ses protégées exigeait
plus qu’à l’accoutumée. Elle s’approcha d’elles pour
s’enquérir de leurs désirs. « Que puis-je faire pour vous
mes belles, je devine que vous ne m’avez pas appelée au secours
sans véritable raison ? Je sais la misère qui est vôtre. Que
voulez-vous pour adoucir votre sort ? »
L’aînée,
celle qui avait sans doute le plus fort caractère, parla au nom de
ses cadettes : « Marraine, nous n’en pouvons plus de cette
vie misérable. Nous voulons la Richesse, la Puissance et le
Bonheur ». La fée opina de la tête, voilà des exigences qui
n’étaient pas en rapport avec ce qu’elle avait voulu enseigner à
ses filleules. Elle devinait que c’est leur détresse actuelle qui
les poussait à se faire aussi pressantes. Il lui fallait les mettre
à l’épreuve.
«
Mes filles, vous me demandez l’impossible. Ne croyez pas qu’il
soit aisé de répondre à de telles demandes. C’est à vous de
savoir saisir ce à quoi vous aspirez tant. Je ne peux que vous en
donner l’occasion. Le destin a des facéties que même les fées ne
peuvent gouverner. Je vous demande de partir chacune de votre côté
à la quête de ces fols espoirs qui sont les vôtres. Nous nous
retrouverons ici, demain soir pour tirer les enseignements de votre
aventure.
Au
petit matin, les trois sœurs se mirent en chemin sans véritablement
avoir compris ce qu’elles pourraient y trouver. Mais comment
demander des explications à une fée ? Il fallait obéir et se
laisser mener par la destinée. L’aînée choisit de descendre la
rivière. Elle savait qu’à quelques lieues de là, un grand
château dominait la contrée. Elle y trouverait certainement l’un
des trois désirs qu’elle avait évoqués.
Elle
marcha longtemps pour se rendre jusqu’à la forteresse. Elle était
encore dissimulée dans les broussailles quand elle entendit grand
fracas. Des hommes en armes encerclaient le château. Il ne faisait
pas de doute que ces soldats voulaient investir la place. La bataille
faisait rage. Le pont levis céda et la horde entra dans la place. La
fille observait à distance une scène qui lui glaça les sangs. Les
hôtes de la magnifique demeure furent sauvagement dépouillés sous
ses yeux, frappés rudement et laissés là tandis que la troupe,
chargeant son butin sur des bateaux, s’en alla pour de nouveaux
forfaits. Horrifiée, la jeune femme rebroussa chemin sans même
songer à venir en aide à ces malheureux, roués de coups.
La
deuxième sœur prit quant à elle le chemin qui se rendait vers la
grande ville, perchée sur la colline qui dominait la vallée. Elle
n’avait pas tant à marcher que son aînée. La belle cité
opulente était proche. Elle s’attendait à y découvrir une
effervescence joyeuse et qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle
découvrit au loin, une ville aux portes closes. Elle s’approcha
davantage, fut tétanisée par le silence qui émanait de derrière
les remparts. Soudain, une porte s’ouvrit, une charrette en sortit,
des cadavres y étaient entassés. Un homme portant cagoule les
déposa dans un profond charnier avant que de s’en retourner sur
ses pas.
La
fille se signa et s’empressa de revenir vers la rivière. Ainsi la
riche cité commerçante était aux prises de/avec la redoutable
peste. Il lui fallait fuir au plus vite l’endroit et retrouver la
quiétude de sa modeste chaumière. Elle hâta le pas, comme si le
diable était à ses trousses.
La
cadette quant à elle qui avait goûté fort peu la quémande de son
aînée, se dit qu’en remontant la rivière, elle trouverait bien
un peu de quiétude avant que de revenir au rendez-vous de sa tendre
marraine. Elle n’avait d’autre but que de passer la journée en
rêveries tout en profitant pleinement de la magnificence d’un
décor unique. Elle avait marché une paire d’heures quand elle
déboucha sur une varenne là où pâturait un troupeau de moutons.
Une
mère venait de mettre au monde un agneau. La mise à bas ne s’était
pas bien passée, le nouveau né avait le cou enserré dans le cordon
ombilical. Sans hésiter la jeune femme se précipita à son aide, le
sauva d’un trépas certain quand elle entendit derrière elle un
« Merci charmante dame ! » qui la fit se retourner.
Devant
elle, un berger à la mine souriante, des yeux qui lançaient des
éclairs bienfaisants et une voix d’une douceur extrême. La belle
sentit son cœur s’emballer. Elle se sauva prise d’une émotion
qui la submergeait et qu’elle ne pouvait identifier. C’est ainsi
qu’elle retrouva ses deux sœurs devant leur petite maison.
Le
soleil se couchait majestueusement dans la Loire. Houllipe surgit à
nouveau avec son étrange attelage. La fée interrogea les filles une
à une en commençant par l’aînée. Elle écouta le récit que
vous avez découvert avant elle, fit mauvaise mine à sa filleule :
« Ma fille, tu es allée à la poursuite de la puissance. Tu as
constaté les désordres que peut provoquer l'appât du gain. Cette
leçon aurait pu te servir et t’enrichir mais tu n’es même pas
allée au secours de ces malheureux, j’en suis fâchée ! »
Puis
la seconde décrivit ce qu’elle avait vu à distance. La fée
reprit la parole : « Ma chère, c’est le désir de richesse
qui t’a poussé vers la grande ville. Tu as découvert que l’argent
ne peut rien contre la maladie et la mort. Tu as bien fait de ne pas
t’approcher mais tu aurais dû prévenir les moines de
l’abbaye voisine afin qu’ils viennent au secours de ces
malheureux. Je t’en fais reproche ! »
Ce
fut alors au tour de la cadette de narrer son aventure. La fée se
mit à rire : « Ma fille, tu as fort bien fait et la frayeur
qui t’a prise n’a d’autre nom que l’amour. Tu es tombée sous
le charme de cet humble berger. Il n’a pas dû comprendre ta fuite.
Tu ne savais vers quoi menaient ces pas, je peux te le dire, c’est
le bonheur qui était au bout de ce chemin ! »
La
fée marmonna d’étranges formules, elle prit sa baguette magique
et la posa sur la tête de la plus jeune. Dans l’instant, elle se
retrouva dans la pâture avec les moutons. Il faisait à nouveau
grand jour. Elle venait de délivrer l’agneau, le beau berger
s’était approché d’elle et l’avait remerciée. Cette fois,
elle ne sauva pas, elle lui sourit et ils tombèrent dans les bras
l’un de l’autre.
Un
peu plus loin, sur les flancs d’un léger coteau, la fée venait de
faire surgir une bergerie et une maison. Elle appela les deux
tourtereaux et leur dit : « Je veux que votre bonheur soit
complet et je vous offre ceci pour qu’il puisse pleinement
s’exprimer ! » La dame disparut dans les airs avec ses deux
cygnes noirs. On ne la revit jamais plus.
Les
deux sœurs de la plus jeune vinrent trouver leur cadette. Elle les
reçut fort bien, les hébergea jusqu’à ce qu’elles trouvent à
leur tour l’amour. Elles vécurent toutes trois à l’abri des
désirs de richesse et de puissance qui apportent bien souvent les
plus grands désordres. Le bonheur est certainement le plus sûr
chemin pour avoir une vie agréable et sereine. C’est ce qu’elles
firent pleinement ayant compris la leçon de leur marraine.
Humblement
leur.
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