mardi 31 mars 2020

L'art de pousser le chariot.


Un samedi à les observer …



J'ai passé une journée dans le long couloir des pas-perdus d'un super-marché : ce grand espace qui en dit tant sur notre société. C'était un samedi et j'avais eu la folie, en compagnie de quelques autres auteurs de ma maison d'édition, de vouloir vendre mes livres en ce haut-lieu de la consommation. Les organisateurs, pour nous mettre en évidence, nous avaient installés là, à la croisée des chariots vides et des chariots pleins.

Quand d'autres faisaient salon du livre, stylo en main, prêts pour la dédicace personnalisée, nous faisions rayon en tête de gondole. C'est un immense canal qui s'offrit à notre admiration, sur lequel voguaient des embarcations étrangement menées par des clients qui, pour beaucoup, n'avaient que faire de nos petits livres …. La vie est si difficile, pas besoin de longues explications pour s'en rendre compte ici !

Il y a bien des manières de pousser le chariot ; je me surpris à admirer cet art délicat de la conduite d'un véhicule souvent capricieux, en zone de forte concentration humaine. J'avoue mon admiration pour quelques virtuoses de la chose, d'autant plus que je suis parfaitement béotien en ce domaine. Voici donc le petit monde des pousseurs dans le temple du consumérisme.

Commençons par les entrants, à l'esprit libre et au chariot vide. Nombreux sont ceux qui utilisent leur engin pour s'accouder et consulter en dernière minute les indispensables messages qui s'affichent sur leur téléphone. Ils ont les yeux rivés sur la petite lucarne, ils avancent lentement, sans se soucier de regarder devant eux. Pourtant, le miracle a lieu et nulle collision ne fut à déplorer. D'autres se prennent pour des pilotes automobiles, le chariot trace son chemin, fend la foule ; il y a sans doute urgence à refaire à plein !

D'autres filent, le casque vissé sur les oreilles, indifférents à l'entourage ; ils font leurs courses, la course surtout. Ils sont seuls au monde, ne jettent aucun regard à ces pauvres auteurs en mal de lecteurs. Ils n'appartiennent pas à cette curieuse catégorie. Ils viennent charger le chariot de nombreuses cannettes qu'ils s'empresseront d'abandonner, une fois vides, à proximité de leur réunion. Je le devine à leur allure …

Nous avons les couples. Il y a deux catégories distinctes. Celle de l'homme pousseur est la moins nombreuse. Madame suit à distance, elle réfléchit certainement aux dépenses inconsidérées que va provoquer la présence de monsieur. Je la devine inquiète, lointaine, soucieuse. Monsieur avance, tête haute et démarche décidée. Il profite de ces instants où le chariot n'est pas encore bloqué dans les sinuosités des rayons.

Quand madame pousse, monsieur est à ses côtés, légèrement en avant d'elle, d'une courte épaule. On sent alors une connivence qui rassure, une envie de réussir le repas qui va éclairer ce samedi soir et réjouir quelques convives. La démarche est mesurée, le pas assuré. On devine de la quiétude avant que l'après-midi se passe en préparations culinaires d'exception.

Nous retrouvons des gens différents au retour. Le chariot plein à ras bord modifie singulièrement les comportements. Il y a d'abord les suspicieux, les interrogatifs, les indignés du total. Monsieur pousse péniblement le lourd engin en consultant attentivement le ticket de caisse. D'où vient cette somme exorbitante ? Quelle est la source de ce dépassement incongru des prévisions initiales ? La démarche est pesante, les épaules tombantes ; la réalité a plombé le reste de la journée …

Il y a les stakhanovistes du chariot. Les produits forment un monticule incertain qui rend la conduite difficile, la visibilité médiocre ; ces haleurs des temps modernes peinent sous la charge. Le pas est lent, le déplacement ne suppose aucun arrêt. L'inertie ayant été vaincue, il n'est pas question du moindre regard pour ces livres qui ne sauraient trouver place sur la montagne des achats.
Nous avons vu une famille qui se déplaçait en convoi exceptionnel. Un couple, jeune encore accompagné de cinq enfants, d'âges rapprochés. Monsieur en tête avec un chariot ras la gueule ! Madame ensuite, dans son sillage, aidée par deux bambins, suivait péniblement avec un véhicule tout aussi chargé. Trois enfants, enfin, assuraient le chariot-balai, lui aussi copieusement fourni. Pas de pause devant les livres : on ne lit pas monsieur, on mange ! Je suis éberlué devant tant de victuailles accumulées dans ces trois caddies. Quelle folie !

Il y a des chariots presque vides. Souvent, ils ne contiennent que quelques bouteilles, un achat de dernier minute, les munitions nécessaires pour regarder entre amis le match de rugby à la télévision. Ceux-là non plus ne jetteront pas un regard sur nos éditions. Le chat risque d'être maigre dans un tel environnement.

Heureusement, quelques amis s'arrêtent, de vieilles connaissances qui profitent de l'occasion pour renouer avec celui qu'on a perdu de vue. Des achats de sympathie, sans doute, parfois un peu contraints. Les autres, manifestement, n'ont pas d'argent à consacrer à la lecture. On devine un public majoritairement populaire. Beaucoup nous avouent ne jamais lire, certains reconnaissent ne pas savoir lire … Je ne caricature pas : c'est une réalité qui s'impose. La Culture ne s'offre pas à tous.

En fin de journée, le chat est maigre sans doute. Mais qu'importe ; à être ainsi observateur immobile d'un monde qui achète, on comprend mieux l'état de notre société. J'invite les gentils décideurs qui parlent à la place des gens, à venir à leur tour, regarder la France qui se débat avec ses difficultés économiques. La flexibilité et la baisse des salaires pour toujours travailler plus, c'est très bien pensé quand on ne pousse jamais son chariot en se demandant si on aura de quoi payer !

Humblement leur. 

 

lundi 30 mars 2020

Le jugement dernier ...



À La porte du Paradis.


    En Touraine, il est une distinction qui semble immuable, tant au sein d’une même profession, il convient de s’élever vis à vis de son presque pareil. Il en va ainsi dans bien des domaines dès que la vanité vient se mêler des relations humaines. C’est ainsi que les braves habitants de Bréhémont, cité ligérienne célèbre pour ses pissotières, furent de tout temps moqués par leurs voisins.

    Il est vrai qu’en cette bonne ville, la terre limoneuse prédisposait au rude travail du chanvre qui contraignait les cul terreux de l’endroit à toujours se ployer sous la tâche. Leurs collègues, plus éloignés de la Loire, quant à eux, avaient le privilège d’être vignerons. Ils se sentaient bien au-dessus de la condition de ces gens simples qui n’avaient pas de futaille dans leur cave.

    Les moqueries allaient bon train, surtout quand les uns et les autres se retrouvaient dans une foire. Les vignerons, la mine réjouit et colorée par la nécessité professionnelle, se plaisaient à traiter leurs collègues chanvriers de gagne-misère et de bien d’autres sobriquets peu amènes. Les gens de Bréhémont serraient des dents tandis que leurs poings les démangeaient.

    Le chanvre avait eu un temps son heure de gloire. C’était la glorieuse époque de la Marine de Loire. Puis, sa culture périclita. Il était désormais loin le temps de l’opulence durant laquelle, le conseil municipal, fier de cette réussite d’alors, avait installé sept charmants édicules, à l'intérieur de tours rondes, afin que les sujets mâles puissent soulager leurs vessies. Est-ce là le point de départ de toutes les railleries ? Nul ne le saura jamais, même si tentant était le prétexte évoqué !




    Les bréhémontais en avaient soupé de ces lazzis incessants. Ils n’étaient responsables ni de la vanité de leurs anciens ni de la nature de leur terres agricoles. Pourtant, ils n’étaient en rien rancuniers puisqu’ils étaient parmi les meilleurs clients de ceux qui les montraient du doigt. Ils buvaient forte chopine, comme tous les résidents de cette vallée de la Loire, terre bénie d’un Seigneur qui aime à ce qu’on boive goulûment son sang.

    Ils voulurent se venger et rien de mieux qu’une fable pour clouer le bec des mauvaises langues, fussent-elles aussi pâteuses que celles des vignerons de Touraine. Le bruit circula alors en bord de Loire que le même jour, deux fortes personnalités de la région étaient venues se présenter au Grand Saint Pierre. Le premier : Alexandre était un vigneron de Chinon, un homme à la face rubiconde qui avait fait de  forts belles affaires avec ses récoltes. Le second, Baptiste était un des derniers chanvriers de Bréhémont, un homme qui avait connu plus de misères que de joies.




    Tous deux se présentèrent devant le détenteur des clefs du paradis. Alexandre le chinonais prit la parole en premier, estimant que sa réussite sociale sur terre lui valait tout naturellement cet honneur. Saint Pierre le jaugea d’un regard qui en disait long sur le peu de cas qu’il faisait de ce lascar. «  Vous me semblez bien présomptueux mon ami en voulant ainsi griller la politesse à votre camarade. Il ne faudrait pas que cela vous conduise chez nos collègues de l’enfer ! »

    La menace était des plus explicites. Alexandre s’excusa humblement, offrant alors de bonne grâce la préséance à son collègue de Bréhémont. Saint Pierre regardant la mine du  brave chanvrier lui demanda tout de go, s’il était amateur de vin. Baptiste, tranquille comme un cul terreux des bords de Loire, répondit sans ambages qu’il ne pouvait nier ce petit travers même s’il n’en abusait guère, faute de moyens pour pousser plus avant ce vice délectable.

    Saint Pierre s’amusa fort de la tournure de l’aveu. L’homme lui plut en dépit d’un penchant évident pour la dive bouteille. Il se souvint avec beaucoup de tendresse d’un certain François, venu du même endroit, qui l’avait entourloupé avec son verbe haut et ses propos alambiqués. Il lui avait ouvert les portes du paradis et depuis l’autre luron y menait une nouba de tous les diables. Mais qu’importe, un de plus ne saurait mettre à mal l’équilibre subtil des lieux. Il fit entrer Baptiste dans le royaume céleste.




    Ce fut alors à Alexandre de défendre sa cause devant le juge ultime. Fort de ce qui venait de se passer sous ses yeux, le vigneron devança la question du gardien des clefs. «  Mon bon Saint Pierre, vous devinez à m’observer ainsi que j’ai bu plus de sang du christ que d’eau bénite. Mais je dois à la vérité de vous avouer que je produisais le plus délectable nectar de tout le pays de Chinon. Je déplore d’ailleurs d’avoir fait le voyage jusqu’à vous sans avoir pensé à vous en apporter ! »

    Saint Pierre se dit qu’il avait devant lui aussi grande gueule qu’elle avait été en pente durant son séjour sur terre. L’homme dans sa prétention méritait bien de se voir réprimandé comme il le méritait. Non seulement toute son existence il s’était moqué de ses voisins de Bréhémont mais qui plus est, il avait maintenant la prétention de vouloir en rajouter par rapport à la modestie du premier.

    C’est ainsi qu’à pousser le bouchon trop loin, le vigneron s’est retrouvé en enfer. Satan ne fut d’ailleurs pas mécontent de cette nouvelle recrue. Voilà bien une profession qui avait toute sa place dans sa maison. Elle est si pourvoyeuse en âmes damnées qu’il était légitime qu’elle partage le sort de ses meilleurs clients.




    Le natif de Bréhémont entama son éternité parmi les anges et les bienheureux tandis que le vigneron de Chinon se consuma en enfer. Il y a parfois un renversement des valeurs au moment du jugement dernier. Que cette histoire nous incite tous à rester humbles et bienveillants vis à vis de nos voisins sans jamais en rajouter à propos de nos travers.

    Cette fable, tournée de bien des manières et toujours accompagnée de quelques bons vins de Loire, ne cessa de divertir les esprits envinés entre Chinon et Bréhemont. Nul ne pourra jamais certifier de son authenticité et c’est tant mieux. S’il faut se priver de vin de Loire pour prétendre au paradis, mon choix sera vite fait !

    Œnologiquement vôtre.



à regarder => https://www.dailymotion.com/video/xcfexe

dimanche 29 mars 2020

Plus une seconde à perdre ...

Le temps en question

 

Comment se repartir équitablement le temps qui nous est imparti ?
Le temps écoulé provient-il d'une fuite temporelle ?
Peut-on être pour un contre-temps ?
A-t-on vraiment mesuré la portée du temps ?
Marque-t-on un temps d'arrêt avant de tuer le temps ?



Doit-on octroyer une minute de silence en hommage au  temps mort ?
Est-on certain de la durée d'un temps incertain ?
Les conscrits connaissaient-ils la durée de leur temps prescrit ?
Quel prêtre est en mesure de consacrer le temps ?
Peut-on se faire fort d'imposer un temps faible ?



La prière est-elle un temps béni ?
Un gain de temps, est-ce encore de l'argent ?
L'échelle du temps nous mène-t-elle au ciel ?
Prend-on assez de précautions en gravissant la marche du temps ?
Si le temps joue contre lui, finit-il par gagner ?



Peut-on prendre la mesure du temps ?
Les temps reculés finissent-ils dans le mur de Planck ?
Comment se fait-il que le temps nous manque alors qu'il nous en reste encore ?
Le temps des cerises fut-il le noyau dur de la contestation ?
Dans la nuit des temps, que faisait-on du plus clair de son temps ?



Faut-il prendre du recul quand on est en avance sur son temps ?
Faut-il avoir bon goût pour meubler le temps ?
Est-ce que se ménager du temps est une préoccupation domestique ?
Existe-t-il des moyens pour remonter le temps ?
Est-ce que tromper le temps est un motif de rupture ?



Quel est le propre d'un sale temps ?
Peut-on se permettre d'arrêter un temps qui file trop vite ?
Peut-on se payer du bon temps à crédit ?
Le temps finit-il toujours par vous présenter la note ?
Pourquoi le temps présent n'est-il jamais un cadeau ?



Où va le temps qui passe ?
Un temps libre supporte-il d'être mis aux arrêts ?
Est-ce logique que le temps complet refuse du monde ?
La division du temps laisse-t-elle des restes ?
Le partage du temps est-il automatiquement partiel ?



La concordance des temps justifie-t-elle une telle discordance ?
Un temps composé peut-il aisément se décomposer ?
Ai-je bien employé mon temps ?
Aurons-nous le temps de terminer sur un dernier soupir ?
Est-ce notre linceul que file le temps ?



Peut-on expirer son dernier souffle avec l'air du temps ?
La mort est-elle un temps de repos ?
Pour défier le temps faut-il être un trompe-la-mort ?
Un temps fixé vous donne-t-il accès à l'éternité ?
Est-ce que la fin détend ?

Temporellement sien


Le premier pas


Le premier pas.

 

 




Que j’étais bien, à l’époque d’avant l’histoire, quand je vivais dans mon arbre. J’y avais trouvé refuge protecteur pour échapper à toutes les menaces qui m’attendaient à terre. J’étais alors une proie fragile ! C’est justement de cette faiblesse, que je tirai ma force. C’était une époque où je respectais la nature, elle qui m’octroyait généreusement refuge et alimentation.

Un jour mon arbre me murmura à l’oreille un étrange message. Est-ce parce qu’il en avait assez de porter dans ses branches tous mes semblables ou se faisait-il le truchement d’une intuition qui s’avérerait désastreuse ? Nul ne le saura jamais ...

L’arbre me murmura : « Regarde ce que je suis et inspire-toi de moi. C’est par la verticalité que tu sauras parcourir le monde. C’est en te libérant de mes racines que tu accompliras ta grande mission. N’oublie pas que tu trouveras toujours parmi mes frères, les alliés précieux pour toi et tes descendants ! »

Tout primate que j’étais alors, je me suis gratté la tête, non pas pour y déloger un parasite mais bien, pour la première fois de mon existence : RÉFLÉCHIR. Ce fut là une étape décisive de mon évolution. J’allais être le premier à descendre pour élargir mon horizon. Mes héritiers feront comme moi, évoluer toujours dans le paradoxe.

Je me retrouvai à terre, malhabile et craintif. L’arbre bruissa d’une douce mélopée. Je le pris dans mes bras, je l’enserrai affectueusement pour lui exprimer mon amitié. Les pattes antérieures enlaçant le tronc, je pus me redresser. Je me plantai fièrement dans le sol comme mon inspirateur. Ce fut un bref instant de griserie…

Je retombai bien vite sur mon postérieur : la gravité me ramenant cruellement à mon humble condition. Je ne renonçai pas. Après de multiples tentatives, je finis par trouver un équilibre instable sur mes pattes postérieures. Je titubai certes mais j’étais ivre d’une liberté nouvelle.

Je devinai sous ses pieds la possibilité de m’émanciper de mon arbre. D’aller enfin plus loin tout en acceptant de réduire mon champ de vision. Ce sera toujours mon principal handicap. Je ne regarde jamais plus loin que le bout de mon museau et il en sera hélas ainsi pour ceux de ma descendance.

Je pris de l’assurance, ressentis en moi une force intérieure, la conviction que j’étais capable de me libérer de ses racines. Je lâchai le tronc et pour la première fois, je mis un pied devant l’autre. Ce fut un petit pas pour le primate, un terrible saut dans l’inconnu pour l’humanité.

Ces quelques petits pas, maladroits et incertains firent de moi ce que vous appelez un humain. J’avançais d’une démarche chaloupée, je tombais, me relevais poussé par cette formidable liberté conquise au ras du sol. L’arbre avait accompli sa mission, il était en cet instant fier de sa contribution à la grande histoire de la Planète. Il ignorait alors les immenses ravages que feraient mes descendants.

Je fus suivi par tous les autres. L’imitation est pour notre espèce une règle de fonctionnement qui produit le meilleur et conduit souvent au pire. De petits groupes se formèrent pour conquérir le monde avec ce message transmis de conscience à conscience : « Ne nous éloignons jamais des arbres, nous aurons toujours besoin d’eux. Ils sont nos guides ! »



C’est ainsi que débuta le grand malentendu. Le terme de serviteur fit écho bien vite chez ceux qui une fois la tête au-dessus des épaules ne surent pas rester humbles. Beaucoup comprirent dans ce terme l’idée de dépendance, de subordination de l’arbre à l’humain alors qu’il fallait y voir une collaboration sans hiérarchie aucune. Un mot mal interprété peut changer la face du monde, nous en aurons la preuve au fil des temps.

Pour l’heure, mes collègues progressèrent d’arbre en arbre, y trouvant subsistance et accueil pour la nuit. Tout allait bien sur une planète qui marchait vers un avenir qu’elle espérait radieux. Elle s’était dotée d’un grand explorateur, un animal curieux de tout qui désire conquérir toutes les contrées inconnues.

C’est ainsi que les enfants de mes enfants découvrirent de nouveaux territoires, de nouvelles essences. Ils demeurent en symbiose avec leur environnement, prélevant juste le nécessaire pour leurs besoins. Les arbres sont là pour pourvoir à ceux-ci, ils le font avec amour et bienveillance.

Petit à petit cependant ceux qui vont debout étant toujours plus nombreux, les arbres n’y suffirent plus. Un fruitier n’ayant plus rien à offrir conseilla à des humains de se pencher vers les autres végétaux. Il y avait là des ressources intarissables. Il suffisait de bien connaître les herbes et les racines, les baies, et les légumineuses. C’est ainsi que leur appétit se diversifia.

Malheureusement, il en est toujours des plus aventureux, des plus audacieux que les autres pour dépasser les frontières, explorer de nouveaux possibles. Parmi ceux-ci surgit un chasseur, un humain qui se croyant supérieur aux autres animaux, voulut en faire sa pitance. Il franchit la limite de non-retour, faisant de nous des êtres se pensant supérieurs à leurs autres frères. Les arbres eurent beau le mettre en garde, il ne voulut rien savoir. L’odeur du sang l’avait enivré et ne cessera d’agir ainsi sur cette espèce incontrôlable.

Bien vite, les chasseurs de plus en plus nombreux découvrirent que la chair crue est indigeste tandis que la cuite est délicieuse tout autant que facile à mâcher. Les premiers arbres furent sacrifiés sans même les en remercier, pour répondre à ce nouveau besoin. Le tournant était pris, celui du seul bon plaisir.

Dans le même temps, des humains se mirent en tête de côtoyer le ciel. Ce sont les plus grands arbres sans doute, ceux dont la cime se perd dans les nuages qui les poussèrent à se préoccuper de transcendance. Ils se créèrent des histoires invraisemblables, des vies éternelles, des mondes meilleurs dans l’éther. Ils eurent besoin d’un totem, d’un Dieu forcément à leur image pour justifier leur impitoyable domination sur la nature.

Dans ce grand mouvement spirituel, l’un d’eux vint à imaginer une fable abracadabrante, une histoire de pomme et de serpent, propre à mettre en cause la femme et les arbres pour expliquer les tourments de l’humanité. Ce fut le début du grand n’importe quoi, la rupture définitive avec la sagesse et la raison. Ceux qui allaient debout avaient perdu la tête.

La suite ne fut qu’une succession de calamités, de guerres, de massacres, de crimes et de forfaits. Ils s’en prirent d’abord à leurs semblables avant que de mettre sous leur joug la nature toute entière, les arbres plus que les autres car ils avaient l'odieuse capacité à vivre bien plus longtemps qu’eux.

Ceux qui abattent des arbres sans motif ni cérémonie de pardon, sont de ces monstres qui ne savent pas ce qu’ils font. Ils ont transformé la vie ici-bas en enfer sans pour autant qu’il existe un paradis ailleurs. Ils se sont inventés un nouveau dieu, une divinité de papier qui est un simple chèque en bois vers l'illusion et la fin de toutes les espèces vivantes.

Les arbres lèvent les yeux au ciel. Ils savent qu’il n’est plus rien à attendre de ceux qui leur doivent tant. L’ingratitude étant la principale caractéristique de ceux qui vont debout, ils enfoncent plus profondément encore leurs racines dans le sol pour tenter de se mettre à l’abri de ces furieux.

Si l’histoire était à recommencer, je ne pense pas que mon arbre me souffle à nouveau son conseil suicidaire. Il sait désormais à ses dépens que humains sont incapables de tirer les enseignements de la nature et encore moins de la respecter.

Génèsement vôtre.



vendredi 27 mars 2020

Fonder une famille sur la Loire



Il était une oie
 
 


    Il était une fois une oie sauvage qui se mit à aimer la Loire tant et si bien qu'elle renonça à faire le grand chemin. La dame se posa sur notre fleuve sauvage et refusa bec et ongles de continuer la grande migration de ses congénères. L'histoire eut pu en rester là si cette oie n'avait décidé, bravant les lois de la nature, non seulement d'élire domicile, ce qui peut aisément se comprendre, tant le fleuve est beau en notre région hospitalière, mais aussi de fonder une famille avec un autochtone. L'exigence est saugrenue, elle défie les lois de la génétique et fut l'occasion de bien des surprises.





    Je vais tenter l'aventure de vous narrer par le menu, les vicissitudes  de notre oie volage ! Étrangement, notre oie blanche n'était pas née de la dernière averse. Quand on voyage jusqu'en Alaska, les désordres  météorologiques ne doivent pas contrarier la dame des neiges. Mais notre  demoiselle en avait assez des ces longs périples au-delà du noroit.
C'est en eau douce de Loire qu'elle voulait vivre le reste de son âge, quitte à montrer patte blanche pour se faire accepter des espèces  résidentes !





    Elle eut été Bernache que le risque eut été plus grand. Les  hommes de ce pays, buveurs devant l'éternel, lui auraient fait son affaire, ne lui laissant pas passer le mois d'octobre, servie comme il se doit pour accompagner ce petit vin nouveau, avec ces marrons grillés qui vont si bien quand on farcit ses pareils. La demoiselle ignorait ces pratiques locales, elle se serait sauvée à tire d'ailes si elle avait mieux écouté les leçons des anciens ! La dame ne se poussait pas du bec, elle jeta son dévolu sur le maître de ces lieux.



    C'est au Balbuzard, ce beau et grand rapace pêcheur qu'elle fit les yeux doux. Quand on mesure 65 cm, on rêve d'une descendance de belle taille. Hélas, notre ami ne vit pas d'un bon œil cette éventuelle compagne. « Je crains madame, de ne pas faire la maille, si nos envergures sont analogues, je vous rends plus d'un kilogramme sur la balance. » Voilà bien des considérations de mâle prétentieux se dit-elle, en s'en allant plus loin !




    Elle retint la leçon du poids et de la taille et se précipita dans les ailes d'un cygne. « Veux-tu devenir mon mari ? » lui demanda-t-elle sans préliminaire. L'animal majestueux examina la demande avant que de la rejeter catégoriquement. « Non, ma chère, notre union ne serait pas prudente ! Les hommes d'ici ont oublié que nous étions autrefois des  plats de fête. Mêler ma destinée à une oie pourrait réveiller ces vilaines manières culinaires. Allez voir d'autres prétendants qui n'ont pas peur des fourneaux ! » Elle s'en alla déconfite, l'argument lui ayant provoqué des sueurs froides !




    Elle fit alors la cour à un étrange oiseau qui faisait le pied de grue, immobile près de la berge. « Noble pêcheur aux aguets, si ton bec est aussi long que ton aiguillette, je devine en toi un reproducteur puissant qui pourrait, si l'envie t'en prenait, me donner bien des poussins à l'allure altière ! » Le héron, puisque c'est de lui qu'il s'agit, rejeta la proposition qu'il trouva fort cavalière. « Madame, l'habit ni le bec ne font le moine ! Que feriez-vous dans une héronnière ? En voilà des manières, passez votre chemin, je crois bien que j'ai une touche au fil de l'eau! » Non vraiment se dit-elle, les oiseaux de ce fleuve-là ne savent pas cacarder aux dames !




    Elle se mit à broyer du noir, l'aventure tournait au fiasco. Elle se dit alors qu'il fallait tenter l'impossible, ne pas se fier aux apparences. Elle se précipita vers un oiseau en tous points différent d'elle. « Mon bel ami, voulez-vous être mon concubin ?» La demande était franche, la réponse le fut tout autant. « Ma belle dame au plumage si blanc, je suis fort honoré que ma parure noire ne vous ait pas effrayée. J'accepterais volontiers la demande si un petit détail ne venait à me contrarier. Les hommes ont perdu l'habitude de gober mes œufs, c'est désormais pourquoi, nous, les cormorans, sommes si nombreux sur les bancs de sable. Notre union pourrait réveiller bien des envies. On ne fait pas d'omelettes sans briser nos vœux ! ».



    Cette fois, l'oie reconnut que la remarque était judicieuse, elle alla chercher sa bonne fortune en un autre endroit ! Ce bon accueil lui redonna du cœur à l'ouvrage. Elle se mit en quête d'un nouveau compagnon. C'est vrai que les oiseaux ne manquent pas en cette Loire. On pourrait même penser que c'est un paradis pour eux. Dans le lot hélas, il y en avait qui ne faisaient pas la taille quoiqu'ils furent d'excellente compagnie. Si la mouette se rit d'elle et la Sterne fut consternante, les autres se montrèrent très charmants. Le gravelot eut la délicatesse de ne lui tenir aucun propos graveleux, elle lui en sut gré. La guifette fut particulièrement aimable, si le grèbe se montra castagneux, le chevalier fut servant. Le vanneau lui parut fatiguant et la bécassine un peu sotte quant à l'aigrette, bavarde infatigable, elle lui servit de gazette du fleuve !



    Pourtant pas de compagnon en vue ! Le temps passa, la saison des amours la laissa célibataire. Pourtant la demoiselle ne changea pas sa détermination première. Au printemps suivant, elle en est certaine, elle trouvera oiseau à marier. En attendant ces jours meilleurs, voilà qu'il fit sur la région un froid de canard. Les eaux de tous les étangs, les fosses et les petites rivières n'étaient maintenant que des étendues gelées. Même la Loire était prise en de nombreux endroits par les glaces. Heureusement, le courant du fleuve permettait en certains endroits de garder de minces filets d'eau.



    C'est là que tous les oiseaux du pays se serraient les ailes pour se tenir au chaud. Arrivèrent sur la Loire des oiseaux peu habitués à y séjourner. Des barbaries, des cols verts et surprise pour notre oie, un magnifique jars domestique sur lequel elle jeta son dévolu. Ils se plurent immédiatement, l'animal de ferme lui trouvant caractère plus trempé que les femelles de sa cour. Ils décidèrent d'unir leurs destins. Quand la débâcle suivit l'embâcle et que tous les visiteurs s'en retournèrent chez eux, le jars élut domicile sur les rives d'une petite île boisée avec sa douce dulcinée.




    Vinrent bien vite les beaux jours et leurs amours réjouirent ceux qui eurent le bonheur d'assister à leur parade nuptiale. Jamais on ne vit spectacle plus charmant ! Des beaux enfants furent les fruits qu'on croyait bénis de cette union ligérienne. Mais les hommes viennent parfois se mêler de ce qui ne les regarde pas. De doctes spécialistes pensèrent qu'il y avait là union contre nature, risque d'abâtardir l'espèce. La première portée fut occise sans ménagement par ces méchants gardiens de l'ordre normal.




    L'amour étant plus fort que le dictat des hommes, le jars et notre oie sauvage allèrent se réfugier loin de ces vilains hommes. Ils ne désarmèrent pas et leur union donna de nouveaux rejetons. Maintenant sur la Loire, vous pourrez admirer une nouvelle espèce, fruit d'un croisement que les hommes, dans leur prétention folle, refusaient de voir grandir sur le fleuve. Cette histoire n'est pas une menterie, prenez la peine de regarder autour de vous. On n'entrave pas les amours, nulle barrière, fut-elle dressée par les hommes, ne peut s'opposer à la puissance des cœurs qui battent l'un pour l'autre. Retenez la leçon, elle vaut pour les oies comme pour les hommes.




    Nuptialement leur.


jeudi 26 mars 2020

Pour qu'il retourne en sa maison.


Une histoire vieille comme le monde.




Il est des légendes vieilles comme le monde et qui appartiennent à notre patrimoine commun. C’était en un temps où les hommes donnaient de l'importance à la nourriture, connaissaient la faim et la peur du lendemain. Si ces angoisses existent toujours sur notre planète, les agapes honteuses et le gaspillage démesuré sont l’apanage d’une société qui perd la tête tandis qu’ailleurs d’autres meurent de faim. Puisse cette histoire, tout comme la pandémie de l’heure rappeler les humains à plus de mesure et de fraternité !

Une femme et ses quatre enfants vivent cloîtrés dans une petite masure au bord d'une rivière. Le mari est parti depuis de longs mois, courir la bonne fortune pour tenter de rapporter aux siens de quoi les nourrir. L'absence est plus longue qu'à l'habitude pour la famille du marin. Les réserves manquent cruellement et la femme ignore de quoi sera fait le repas du lendemain.

Jeanne fouille les placards à la recherche des maigres restes. Elle sait pourtant qu'il n'y a plus rien. Elle croit au miracle : quelque chose oublié dans un recoin. Dehors il fait si froid que le seul espoir de trouver un peu de pitance n'existe plus que dans sa demeure. Les animaux de la basse-cour ont tous déserté le poulailler pour finir dans l'assiette. Il ne subsiste qu'une vieille cane, adorée des enfants qui s'est réfugiée dans la masure.

Plus aucune réserve, Jeanne remue de fond en comble le petit espace vital où se pressent ses quatre enfants et la vieille cane. Sa recherche est vaine pourtant il n’est pas question de sacrifier l’animal si précieux pour les petits. Que vont-ils devenir ? Et leur père qui ne revient toujours pas !

Le femme finit par découvrir tout au fond de la maie, un peu de farine : un mélange incertain de froment et de sarrasin, de châtaigne et de seigle ; ce qui est tombé là en s’échappant des sacs d’autrefois. C'est son dernier recours. Que faire de si peu ?

Dans le désespoir le plus noir, il arrive souvent un signe du destin, un petit miracle qui permet de croire encore que la vie ne demande qu'à continuer. Dans un recoin de la pièce, la vénérable cane s'est blottie. Bien que ce ne soit pas du tout la saison la plus propice, la brave bête en dépit de son âge vénérable vient de pondre un œuf, un bel œuf qui va sauver Jeanne et ses enfants pour un jour encore, un jour de plus à attendre celui qui ne revient pas.

La femme remercie le ciel, la cane et la Providence. Elle prend un récipient , y verse son mélange de farines dans lequel elle creuse un puits pour y casser l'œuf miraculeux. Puis elle mouille de très peu d'eau cette mixture afin d'en faire une pâte épaisse ; elle n'a plus de lait depuis si longtemps… Il n'y a pas davantage de levure ni de fruits. Elle ne peut faire ni pain ni gâteau. Une idée viendra bien pour préparer ce dont ils devront se satisfaire.

Jeanne s’interroge : « Que pourra-t-elle tirer de cette mélasse brune ? » Heureusement, il y a encore quelques bûches et le maigre feu de la cuisinière maintient un peu de chaleur dans la pièce. Elle attrape une poêle qu'elle pose sur la plaque de fonte. Un petit bloc de saindoux lui permet de graisser son ustensile. Elle glisse une louche de son mélange et la magie culinaire opère.

Une petite galette fine se forme. Elle est si fine que Jeanne pense qu'elle va se déchirer. Ce n'est qu'une dentelle fragile, décorée de quelques trous, disséminés ici ou là. Il faut qu'elle pense dans l'instant à la meilleure façon de sauver ce qui apparaît sous ses yeux, si fragile, si incertain. Elle observe que la face contre le feu noircit bien vite quand l'autre côté reste pâle et ne semble pas cuit. Que faire ?

Jeanne pense alors très fort à son mari. Elle veut de toutes ses forces qu'il s'en retourne, qu'il revienne à la maison pour l'aider et apporter de quoi survivre une fois encore. Elle en est là de ses réflexions quand la porte s'ouvre : c'est son homme. Son marin s'en est revenu. Elle est tout à sa joie sans oublier cependant ce qui est là sur le feu. Les mots tournent dans sa tête, le bonheur indicible aussi. Il s'en est retourné… voilà la solution !

Jeanne a la révélation. Elle prend une spatule et retourne sa galette, délicatement, simplement. La petite galette se laisse faire sans se briser. Elle cuit sur l'autre face de manière uniforme et Jeanne peut offrir ce trésor à l'appétit de l'aînée. Elle embrasse son homme et recommence l'opération. Elle a juste de quoi faire cinq autres petites galettes plates avant de tomber dans les bras de son homme.

Les enfants se contentent de la galette et du retour de leur père, ils vont se coucher, l'homme prend sa femme dans ses bras, la gourmande avec plaisir. Tous deux se retrouvent enfin dans le secret de leur chambre. Leur appétit l'un de l'autre est si grand, si puissant. C'est seulement quand leurs corps sont repus que le marin raconte son périple et montre à sa chère Jeanne le pécule rapporté de si loin. Ils sont sauvés pour cette fois encore. Jeanne, quant à elle, sait qu'elle va pouvoir offrir sa recette à ses voisines ...

Depuis ce jour, quand une femme de marin espère le retour de son homme, elle aussi, essaie de se concilier la divine Providence en préparant des galettes plates. Elle retourne tendrement sa galette, pour que revienne celui qui est attendu. Nulle femme de marin n'aurait la prétention de faire sauter la précieuse crêpe ni d'avoir une pièce en or dans la main pour réaliser ce prodige. La nourriture est bien plus précieuse que les richesses de ce monde qui se refusent souvent aux pauvres gens.

Le vœu le plus cher pour les gens simples est le retour de celui qui est attendu ; la richesse est une espérance sans fondement. Revenons aux valeurs essentielles : ne faisons plus sauter les crêpes et les galettes au risque de les faire tomber. Retournons-les délicatement en pensant simplement à ceux que nous aimerions voir revenir. C'est la seule morale de mon histoire...

Crêpement vôtre.

mercredi 25 mars 2020

Ils sont du printemps annonciateurs


Nos oiseaux migrateurs




Ils sont du printemps annonciateurs
Nos merveilleux oiseaux migrateurs
Et les beaux jours enfin revenus
Leur déclarent à tous la bienvenue
Le soleil est leur doux compagnon
Eux qui viennent dans notre région
Chercher refuge sur quelques îles
Bien à l'écart de nos grandes villes 

 

Voyez-les venir à tire-d'aile
Ces magnifiques voiliers du ciel
Nuage fluctuant et troublant
De milliers d'oiseaux en mouvement 



Écoutez-les chanter leur bonheur
De passer au pays enchanteur
Profitant de la douceur de Loire
Pour se reproduire en pleine gloire



Ils ont noms guêpier et bécasseau
Belle sterne et petit gravelot
Oiseaux nicheurs sur nos bancs de sable
Le marcheur est pour eux redoutable



Restez loin d'eux pour les admirer
Et contentez-vous de regarder
Ce spectacle si extraordinaire
Précieux cadeau de notre rivière 



Balbuzard pêcheur en majesté
Tu plongeras pour nous épater
Superbe hirondelle des falaises
Ton envol nous comblera tous d'aise



Repartiront comme ils sont venus
Quand l'automne aura subi sa mue
Nous passerons l'hiver à attendre
Qu'à nouveau ils viennent nous surprendre



Ils sont du printemps annonciateurs
Nos merveilleux oiseaux migrateurs
Et les beaux jours enfin revenus
Leur déclarent à tous la bienvenue
Le soleil est leur doux compagnon
Eux qui viennent dans notre région
Chercher refuge sur quelques îles
Bien à l'écart de nos grandes villes 

 

mardi 24 mars 2020

Pourquoi les poissons font-ils des ronds dans l'eau ?


Mes contes du Confinement



Il fut un temps où en bord de rivière il y avait des elfes et des lutins, de gentils Korrigans et d’inquiétants Trolls. Dans l'eau, quand sautait un poisson ou bien qu'il frayait en charmante compagnie, la surface liquide ne laissait rien voir de ces activités qui demeuraient secrètes. L'onde restait uniforme, seules les vagues et les rides du vent marquaient de quelques signes les flots de nos rivières et de nos étangs.

Pourtant, les poissons, désireux de ne pas passer inaperçus, voulurent changer le cours des choses ainsi que les lois de la physique. Ils se plaignaient que les humains qui vont sur Terre les ignorent de la sorte. Un jour, ils tinrent un grand conciliabule, une importante réunion regroupant la fine fleur piscicole, en un lieu tenu secret de notre Loire.

Le brochet, qui en cette époque lointaine, était le roi des profondeurs, prit la parole en premier. Il voulait qu'on puisse reconnaître, sans risque de confusion, sa marque au-dessus de l'eau. Il réclama que tous les hôtes de l'onde tracent un triangle pour indiquer leur présence à ceux qui vivent hors de l’eau. Beaucoup alors de protester avec colère. Le goujon s’indigna : « Le triangle est une forme compliquée qui exige des connaissances en trigonométrie ». Vu sous cet angle, notre réunion au sommet risquait de connaître une crise aiguë. Le brochet ne se montra pas obtus, il sut écouter sa base.



La carpe réclama le silence. Elle prit de la hauteur, prétendant qu'un carré ferait tout aussi bien l'affaire, qu'il serait plus simple et bien moins compliqué. Des angles droits et quatre côtés égaux, la mesure lui semblait raisonnable. Hélas, chez les poissons comme pour les hommes, il est bien compliqué d'obtenir l'adhésion générale. Une tanche fit remarquer que les angles risquaient de blesser ceux qui s'y cogneraient. Le carré fut à son tour rejeté de la surface de l'eau !

Une modeste perche voulu tendre la sienne à cette noble assemblée. Elle se félicita d'abord qu'on éliminât les polygones à commencer par le mystérieux pentagone. Elle recommanda qu'on abandonne l’idée saugrenue d’ajouter d'autres côtés. Sur le fond, on lui donna raison. Puis elle se réclama d'une figure simple par excellence qui honorait son nom : la ligne. Ses amis protestèrent avec colère : «  Où as-tu pêché une telle idée ? ». La suggestion se brisa nette sur cette réplique. L’ablette tint propos prémonitoire : « Ne poussons pas le bouchon trop loin avec cette idée de ligne. Les humains ne mordront pas à l’hameçon ! »

Sa consœur Arc-en -ciel eut ensuite droit à la parole. Elle réclama, vous devez vous en douter, un arc qui se propagerait sur l'eau en se tournant vers le soleil. Les autres poissons firent feu de tout bois contre cette idée saugrenue. « Comment savoir, où se trouve le soleil, les jours de pluie ? » demanda un gardon, poisson qui adore le beau temps ? «  Qui déterminera le rayon de courbure ? » s'enquit un vairon plus savant que les autres. « Un arc sans flèche, voilà une idée qui n’a pas sens ! », conclut l’alose qui mit un point final à cette suggestion.

C'est alors qu'un banc de mulets remontant le fleuve, poursuivi,comme il se doit sur la Loire, par quelques phoques en grande gourmandise, passa à portée de la réunion. «  Que faites-vous là, collègues d'eau douce , » s'enquit le chef de la bande de ces poissons venus de l’océan «  Nous tenons grand conciliabule pour déterminer quelle devrait être la marque des poissons au-dessus de l'eau » lui répondit une brème qui faisait la planche.


Pour être mulet, le poisson migrateur n'était pourtant pas un âne. L’un d’eux eut réflexion prompte et remarque judicieuse. « Vous avez vous-mêmes le fin mot de l'histoire. Cherchez, dans ce que vous êtes en train de faire, la réponse s'offre à vous ! ». Puis le malin s'ensauva bien vite accompagné de tout son banc et de l’arrière-banc aussi ; les phoques se faisaient de plus en plus pressants : il ne fallait pas traîner sur cette ligne d'eau.

La troupe resta coite quelques instants. Quel était le sens sibyllin de cette énigme muletière ? Chacun se perdait en conjectures. Il y eut grand remue-méninge au fond de l'eau. Beaucoup d'espèces restèrent bouche-bée ne trouvant plus rien à dire. C'est d'ailleurs de cette journée mémorable de l'histoire des poissons qu'ils ont gardé cette déplorable habitude. Mais ceci n'est qu'une conséquence annexe de notre histoire de Loire.

La journée allait tourner en queue de poisson quand une anguille à qui l'on ne demandait jamais rien et qui n’admettait pas que la séance tourna ainsi en queue de poisson osa une remarque. « Conciliabule, conciliabule, aurions-nous tous une tête de conciliabule ? » Cette réplique fit florès bien plus tard, en toute autre circonstance.

Mais pour anodine et inutile que fût cette remarque, elle fit écho dans la tête d'un barbeau qui faisait le malin. « Mon bon Dieu, mais c'est bien sûr », se dit celui-ci en se frappant la nageoire caudale... Nous avions la réponse sous les yeux et nous étions incapables de la voir. Quelle bande de harengs nous sommes !



Les autres de s'impatienter tout en trouvant fort déplacée cette remarque désagréable sur un poisson qui ne mettait jamais une nageoire dans la Loire. « Parle, puisque tu es si malin ! » lui enjoignit le brochet qui avait une envie folle de l'avaler tout cru. Le barbeau voyant sa dernière heure arrivée, ne demanda pas son reste et hurla à la noble assemblée « Bulles, mes amis, ce sont des bulles que nous suggèrent les mulets. Ce sont donc des ronds dans l'eau que nous devons faire pour nous sortir de ce cercle visqueux! »

Depuis ce jour, sur la Loire d'abord puis, la mode ayant séduit les poissons de toutes les autres rivières, nos amis dans l'eau signalent leur présence par de magnifiques cercles qui se propagent comme une onde sur l'onde pure à la vitesse théorique de 13,41 cm la seconde s’il n’y a ni vent ni perturbation.

Je vois bien que cette histoire ne semble pas vous convaincre. Méfiez-vous cependant de ne pas rester comme deux ronds de flan. Vous pourriez à votre tour, faire comme notre ami le pape et ses compagnons piscicoles, des bulles à longueur de journée. 

 

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...