À
la bonne franquette
J'aime à surprendre au débotté mes
amis pour venir quérir sans prévenir le verre de l'amitié qui ne
fait pas de chichis. Le risque est grand de se casser le nez, de
trouver porte close ou maison pleine d'hôtes officiels. Il faut
parfois accepter sans se formaliser la soupe à la grimace quand
votre arrivée vient troubler un moment tendre ou une crise passagère
et savoir ne point insister quand l'occasion ne fait pas le larron.
Mais qu'importe ces menus inconvénients, le bonheur est si grand
quand le sourire vous accueille, que la surprise provoque la plus
belle des réceptions : celle née de l'improvisation !
Oh, bien sûr, il y a des dommages
collatéraux à l'impréparation de ce qui se fera- ô merveille des
expressions- « à la bonne franquette ! ». Le plus terrible
et j'ai grand mal à l'écrire et encore plus à le vivre, c'est la
température où l'on trouve la bonne bouteille que l'on ne manquera
pas de vider. Il y a plusieurs écoles qui s'opposent pour affronter
ce redoutable écueil.
Les plus prévoyants ont cave fraîche
et petit rouge de Loire, toujours disposé à se sacrifier pour les
plaisirs inopinés. On le qualifie avec gourmandise beaucoup plus que
par ironie déplacée, de petit vin de soif. Il coule à toute
heure, ou presque, sans se prendre la tête ni la vôtre du reste. Il
offre de délicats parfums de fruits rouges et fait honneur à la
viticulture ligérienne.
Les jamais-pris-au-dépourvu ont
toujours un vin blanc de chez nous ou un crémant au réfrigérateur.
On sait alors que la suite sera du même tonneau et que le maître de
maison n'est pas homme à se laisser prendre en défaut. La
cochonnaille ne manque jamais dans sa maison et le petit apéro pas
prévu peut se transformer en moins de temps qu'il n'en faut pour
vider la première bouteille en un repas fait de peu de brics et de
beaucoup de brocs.
Les rois de la technologie ou les
œnologues avertis disposent d'un appareil électrique qui ôte tout
risque de température inappropriée. Le blanc sera frais, le
champagne frappé, le rouge à température ambiante. Ces épicuriens
tiennent le vin en telle estime, que venir les déranger à n'importe
quelle heure, est toujours un bon prétexte pour faire sauter le
bouchon. Jamais vous ne les importunerez à moins que vous ne vous
soyez définitivement pris le nez !
Les approximatifs, les rois de la
combine vous prient de finir de rentrer et disparaissent à la hâte.
Ils filent discrètement mettre une bouteille au congélateur et font
durer la conversation avant que de vous proposer enfin ce que vous
espériez du fond du cœur. Vous feignez alors la surprise et évitez
de remarquer, sur le flacon, la condensation excessive qui trahit la
manipulation.
Les désarmants, les imprévoyants
notoires n'ont ni cave ni réserve. Ils sont incapables de vous
proposer la moindre fillette, la plus petite chopine. Ceux-là, pour
agréable que soit leur compagnie, ne leur rendez jamais visite sans
prendre la précaution de suppléer à leur indécrottable légèreté.
Toute honte bue, vous arriverez chez eux avec le précieux nectar en
prétextant bonne nouvelle à arroser ou date à commémorer.
Les rebutants n'aiment pas cette
petite entorse à la diététique, cet écart que l'on s'autorise
pour délier les langues, rosir les joues et aimer le temps qui
passe. Ils ne pensent jamais à offrir à boire, vous laissent vous
égosiller sans le plus petit liquide réparateur et vous
maintiennent debout sur le pas de leur porte. Il est conseillé de ne
pas réitérer la visite, ce qui est, d'ailleurs, le but recherché
par ces tristes personnages. Il faut se faire une raison et trouver
maison plus accueillante la fois prochaine.
À moins que nous n'apparteniez à la
dernière catégorie, n'hésitez pas une seconde à me fournir votre
adresse pour que je vous rende une petite visite à l'improviste. Et,
si vous connaissez la mienne, rassurez-vous, ma cave est pleine et ma
porte vous sera grande ouverte. Mais surtout, ne prévenez pas de
votre passage, offrez-moi ce bonheur supplémentaire !
Épicuriennement vôtre
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