dimanche 16 décembre 2018

Le temps des retrouvailles.


Amis d’enfance



La vie les avait réunis dès le plus jeune âge. Ils avaient grandi ensemble, partageant les mêmes classes, les mêmes camarades, les mêmes loisirs. Les adultes s’amusaient à les unir, d’un sourire convenu, ils affirmaient que leur destinée était toute tracée. Tous les deux s’appréciaient, c’était certain, quand bien même pesait sur eux cette volonté déplacée de les unir quand ils seraient plus vieux.

Adolescents, tout bascula. Les premiers émois les avaient éloignés l’un de l’autre comme si, trop de proximité ne pouvait leur permettre de comprendre l’évidence. Lui n’avait d’yeux que pour elle tout en se disant qu’il n’était pas assez bien pour cette femme déjà, élégante et douce, fragile et aimable. Il se pensait gauche, emprunté, laid parfois. Jamais il n’aurait songé qu’elle puisse lui trouver quoi que ce fut d’attirant.

Elle s’étonnait d’une telle distance, de ce qu’elle prenait pour de l’indifférence. Elle ne reconnaissait plus celui qui avait été son compagnon de jeu. Elle se consolait dans les bras de quelques jeunes garçons plus aimables tout en déplorant qu’ils ne fussent pas aussi brillants que ce camarade qui ne savait pas la regarder.

Lui, il lui en voulait de ses aventures qu’il vivait comme une blessure secrète. Jamais il ne lui aurait avoué ses sentiments. Il avait bien trop peur d’essuyer une rebuffade, un refus qui les eut définitivement écartés l’un de l’autre. Au lieu de quoi, il faisait assaut de maladresses, se montrait ironique, piquant, blessant. Elle en souffrait tandis qu’il en rajoutait ne comprenant pas sa distance soudaine.

Il prit l’habitude de lui faire remarquer qu’elle était souvent en retard. En classe comme lors des rendez-vous au sein de leur groupe, elle avait toujours ces quelques minutes de retard qui donnent à votre arrivée, une importance toute particulière. Elle surgissait, magnifique et forcément attendue, attirait tous les regards sauf le sien. Il lui envoyait une remarque cinglante, se plaignait de cette déplorable attitude de starlette. Il se moquait toujours de cette montre qu’elle avait au poignet et qui invariablement indiquait 10 h 12, une fantaisie qu’elle avait adoptée par défi, après l’une de ses fameuses remarques. D’ailleurs quand il lui demandait l’heure, elle répondait par défi : 22 h 22 … et il ne comprenait rien à son ironie.

C’est ainsi que de malentendus en incompréhensions, la vie les sépara longtemps. Le rendez-vous avait été manqué, l’existence ne repasse pas les plats. Il avait vécu sa vie d’homme, avait connu des joies et des peines comme chacun de nous sur cette Terre. Le poids des ans se faisait douloureusement sentir, il avançait dans la rue, s’appuyant péniblement sur sa canne, le dos vouté et le souffle court quand soudain, il la vit !

Il n’en revenait pas. C’était elle, il en était certain. Elle, rayonnante, pimpante, jeune encore. Elle n’avait pas changé. Le poids des années n’avait pas eu aucune effet sur sa camarade. Elle était plus belle encore que dans ses souvenirs. Mais comment pouvait-elle avoir échappé aux meurtrissures du temps ? Il l’appela par son prénom, l’interpelant aimablement.
Elle s’étonna. Pensa tout d’abord que ce n’était pas à elle que ce vieil homme s’adressait. Puis par politesse, elle lui demanda qui il était. Il bafouilla, se rendant compte que quelque chose clochait, que sa raison allait vaciller. Il lui donna pourtant des précisions, évoqua des souvenirs incontestables. Elle retrouva enfin son prénom. Oui, c’était bien lui, son ami d’enfance !

Le vieil homme était totalement déstabilisé. Le temps n’avait pas eu de prise sur elle alors que pour lui…, il en allait tout autrement. Il voulut la toucher pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Il tendit la main vers la sienne quand soudain, il reconnut sa montre. Elle n’avait pas changé de bracelet et c’était toujours cette curieuse montre ronde qu’il avait tant moquée autrefois.

Il la saisit au poignet, approcha la montre de ses yeux qui n’y voyaient plus si bien. Il crut défaillir. La montre était arrêtée à 10 h 12, comme autrefois. Elle libéra sa main et poursuivit son chemin. Il n’était plus possible que leur rencontre puisse avoir lieu. Il sanglota silencieusement, elle s’éloigna sans qu’il puisse remonter le temps, lui aussi. Au clocher de l’église cinq heures sonnèrent.

Temporellement sien.


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