Amis
d’enfance
La
vie les avait réunis dès le plus jeune âge. Ils avaient grandi
ensemble, partageant les mêmes classes, les mêmes camarades, les
mêmes loisirs. Les adultes s’amusaient à les unir, d’un sourire
convenu, ils affirmaient que leur destinée était toute tracée.
Tous les deux s’appréciaient, c’était certain, quand bien même
pesait sur eux cette volonté déplacée de les unir quand ils
seraient plus vieux.
Adolescents,
tout bascula. Les premiers émois les avaient éloignés l’un de
l’autre comme si, trop de proximité ne pouvait leur permettre de
comprendre l’évidence. Lui n’avait d’yeux que pour elle tout
en se disant qu’il n’était pas assez bien pour cette femme déjà,
élégante et douce, fragile et aimable. Il se pensait gauche,
emprunté, laid parfois. Jamais il n’aurait songé qu’elle puisse
lui trouver quoi que ce fut d’attirant.
Elle
s’étonnait d’une telle distance, de ce qu’elle prenait pour de
l’indifférence. Elle ne reconnaissait plus celui qui avait été
son compagnon de jeu. Elle se consolait dans les bras de quelques
jeunes garçons plus aimables tout en déplorant qu’ils ne fussent
pas aussi brillants que ce camarade qui ne savait pas la regarder.
Lui,
il lui en voulait de ses aventures qu’il vivait comme une blessure
secrète. Jamais il ne lui aurait avoué ses sentiments. Il avait
bien trop peur d’essuyer une rebuffade, un refus qui les eut
définitivement écartés l’un de l’autre. Au lieu de quoi, il
faisait assaut de maladresses, se montrait ironique, piquant,
blessant. Elle en souffrait tandis qu’il en rajoutait ne comprenant
pas sa distance soudaine.
Il
prit l’habitude de lui faire remarquer qu’elle était souvent en
retard. En classe comme lors des rendez-vous au sein de leur groupe,
elle avait toujours ces quelques minutes de retard qui donnent à
votre arrivée, une importance toute particulière. Elle surgissait,
magnifique et forcément attendue, attirait tous les regards sauf le
sien. Il lui envoyait une remarque cinglante, se plaignait de cette
déplorable attitude de starlette. Il se moquait toujours de cette
montre qu’elle avait au poignet et qui invariablement indiquait 10
h 12, une fantaisie qu’elle avait adoptée par défi, après l’une
de ses fameuses remarques. D’ailleurs quand il lui demandait
l’heure, elle répondait par défi : 22 h 22 … et il ne
comprenait rien à son ironie.
C’est
ainsi que de malentendus en incompréhensions, la vie les sépara
longtemps. Le rendez-vous avait été manqué, l’existence ne
repasse pas les plats. Il avait vécu sa vie d’homme, avait connu
des joies et des peines comme chacun de nous sur cette Terre. Le
poids des ans se faisait douloureusement sentir, il avançait dans la
rue, s’appuyant péniblement sur sa canne, le dos vouté et le
souffle court quand soudain, il la vit !
Il
n’en revenait pas. C’était elle, il en était certain. Elle,
rayonnante, pimpante, jeune encore. Elle n’avait pas changé. Le
poids des années n’avait pas eu aucune effet sur sa camarade. Elle
était plus belle encore que dans ses souvenirs. Mais comment
pouvait-elle avoir échappé aux meurtrissures du temps ? Il l’appela
par son prénom, l’interpelant aimablement.
Elle
s’étonna. Pensa tout d’abord que ce n’était pas à elle que
ce vieil homme s’adressait. Puis par politesse, elle lui demanda
qui il était. Il bafouilla, se rendant compte que quelque chose
clochait, que sa raison allait vaciller. Il lui donna pourtant des
précisions, évoqua des souvenirs incontestables. Elle retrouva
enfin son prénom. Oui, c’était bien lui, son ami d’enfance !
Le
vieil homme était totalement déstabilisé. Le temps n’avait pas
eu de prise sur elle alors que pour lui…, il en allait tout
autrement. Il voulut la toucher pour s’assurer qu’il ne rêvait
pas. Il tendit la main vers la sienne quand soudain, il reconnut sa
montre. Elle n’avait pas changé de bracelet et c’était toujours
cette curieuse montre ronde qu’il avait tant moquée autrefois.
Il
la saisit au poignet, approcha la montre de ses yeux qui n’y
voyaient plus si bien. Il crut défaillir. La montre était arrêtée
à 10 h 12, comme autrefois. Elle libéra sa main et poursuivit son
chemin. Il n’était plus possible que leur rencontre puisse avoir
lieu. Il sanglota silencieusement, elle s’éloigna sans qu’il
puisse remonter le temps, lui aussi. Au clocher de l’église cinq
heures sonnèrent.
Temporellement
sien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire