Le
Chapon rôt rouge !
Il
a sacrifié les plus intimes parties de lui-même pour être à la
hauteur de la circonstance. Nourrit exclusivement d'une bouillie de
lait, se refusant obstinément à mettre le bec en plein air, il
s'est préparé comme un champion pour l'épreuve de sa vie.
Il
a eu cette chance immense d'être couvé du regard, toute son
existence, par un exploitant agricole, membre de l'indomptable
Confédération Paysanne. Ce titre de gloire lui confère une
aristocratie, un titre de naissance qui le distingue de ses
congénères, volailles de basses extractions et poulets de grains.
Une
charmante fermière, femme ou compagne de confédéré retors (nous
ne nous désintéressons de ces informations subalternes) l'a pris
sous son aile bienveillante afin d'aborder dans les meilleures
conditions morales et physiques, cette dernière ligne droite, si
cruciale à la qualité finale de sa chère et tendre beauté
intérieure.
Il
s'enorgueillit de se retrouver sur la liste des commandes. Il a eut
tout loisir de se préparer à son trépas en s'imprégnant du
patronyme de cette bonne famille française qui va se régaler de
lui. Il eut détesté être vendu en fin de journée, à la sauvette
presque, à des imprévoyants, consommateurs à l'improviste d'un
animal de haute-cour, pourtant.
Ses
acheteurs ont choisi l'éleveur depuis fort longtemps. Une confiance
s'est tissé entre eux et son père nourricier. C'est à lui de
l'honorer en étant à la hauteur de ce lien plus que commercial. Il
se sait attendu au tournant, cette obligation d'excellence transcende
son sacrifice et fait de lui un membre (curieuse formule pour celui
qui ignore tout de la volupté) d'une lignée qui ne doit pas se
tarir.
La
blancheur de sa chair, il l'a doit à cette virginité durement
acquise. Il espère tomber dans les mains d'un maître queux qui
saura en tirer toute la quintessence qu'elle mérite. Il lui faut un
bouillon préalable, un bain rédempteur, un baptême « post-mortem »
qui lui permettra de monter au bûcher en majesté.
Sa
mort doit célébrer le renouveau des jours, la victoire de la
lumière sur les ténèbres. Le solstice d'hiver annonce la début
d'un nouveau cycle. Il sera accompagné d'un grand vin de Bourgogne,
un nectar divin qui lui adoucisse ce trépas à venir.
Il
espère un rappel, il ne doit pas être en reste. Personne ne doit
être triste quand sonnera l'heure de sa faim. Le Chapon rôt rouge,
attend sa dernière heure. Il n'est pas sortie du bois, pour un fin
minable. Il affronte les loups, la crête haute et le cœur léger.
Ainsi
va la vie de nos volatiles d'apparats. La pièce sera bonne et
l'appétit aidant, les convives avides ne s'arrêteront pas en si bon
chemin. D'autres protéines animales tomberont sous leurs crocs
acérés. La panse bien plus pleine que de raison, ils s'endormiront
la conscience moindre lourde que l'estomac.
Et
pourtant, s'ils savaient !
Chaponnement
vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire