Entre
chêne et houx
Il
était un temps si lointain que nulle trace écrite n'évoquera
l'histoire que le vent m'a aimablement soufflée au creux de
l'oreille. Que les esprits résolument modernes tâchent de se
précipiter dans les temples modernes de la consommation pour y faire
emplettes et dépenses somptuaires tout autant qu'inutiles et que les
autres prennent la peine de se poser près de l'âtre de la cheminée
pour m'écouter.
Les
hommes d'alors découvraient les mystères de la nature qui étaient
encore pour eux sources d'émerveillement et de réflexion. N'ayant
pas la prétention de tout savoir ou de vouloir tout plier à leur
désir, ils avaient la sagesse d'observer et de chercher à
découvrir. En cela, ils étaient bien plus sages que ne le sont nos
contemporains, ceux-là même qui conduisent la planète à sa perte.
Nous
étions alors au début du commencement. L'homme était partie
intégrante de la nature ; il n'en était qu'un modeste maillon
de la chaîne. Il allait de par la vaste Terre et cherchait tant bien
que mal à survivre. Depuis quelques lunes, le soleil semblait
s'éteindre. Plus la succession des jours et des nuits avançait,
plus il faisait froid et plus l'obscurité croissait et imposait sa
force à une pâle clarté qui se réduisait comme peau de chagrin.
La
nature accompagnait cette lente et inexorable progression vers sa
fin. Les arbres avaient perdu leurs feuilles, les animaux se
taisaient, les fleurs et les fruits n'étaient plus que de très
lointains souvenirs. La tristesse et la désolation devenaient le lot
de ceux qui sentaient leur fin proche. Tout autour d'eux n'était que
grisaille, obscurité, désolation.
Pourtant
non, il y avait les houx qui restaient verts. Leurs petits fruits
rouge-vif qui étaient apparus lorsque la chaleur et la lumière
régnaient encore sur la terre, persistaient obstinément,
miraculeusement, quand plus rien ne résistait à la nuit et à la
froidure qui recouvraient la nature. À bout de confiance, une femme
coupa une branche de houx pour agrémenter sa hutte ou sa caverne.
Elle voyait dans ce geste la volonté de réveiller le soleil, de
l'honorer en célébrant le dernier fruit qui résistait encore.
Bientôt
elle fut imitée en son geste. L'humain est ainsi constitué qu'il
aime à copier son voisin. En cette période lointaine, il n'en
allait pas autrement. Ce fut une razzia de houx, une folie comme les
générations suivantes finirent par nous y habituer. Les forêts
s'éclaircirent devant cette coupe claire. De ci-de là, des chênes
apparaissaient alors, beaucoup plus accessibles qu'auparavant.
Comme
ils étaient hauts ! Comme ils étaient forts ! Comme ils étaient
gros ! Mais que l'homme d'alors était démuni devant ces monstres
élancés vers un ciel qui avait perdu toute vigueur. C'est un jeune
enfant, plus rêveur que les autres, qui eut cette idée folle de
réveiller le soleil. Il fit remarquer que nulle plante n'allait
aussi haut dans le ciel et que si quelque chose pouvait réveiller le
soleil, ce ne pouvait être que ce grand et bel arbre …
Le
désespoir était si grand, les nuits si longues, que chaque
suggestion était écoutée avec attention. La remarque de l'enfant
parut redonner du courage aux siens. Il fallait abattre un géant
pour envoyer un signe à l'astre qui s'endormait doucement depuis si
longtemps. Les hommes se mirent à l'ouvrage, ils firent tant et si
bien, usant de tous les expédients qui étaient à leur disposition,
qu'en quelques jours, le grand chêne chut.
Dans
sa chute, il se brisa en plusieurs morceaux. Une branche s'était
cassée dégageant une petite partie, grande comme un bras d'enfant.
C'est vers elle que le gamin s'approcha et déclara : « Il
suffit que cette bûche monte vers le ciel et le soleil reviendra ! »
Non seulement, il venait d'inventer un mot nouveau ; mais il
exigeait une chose qui échappait à la raison. Comment faire monter
au ciel un morceau de bois ?
Il
eût passé pour un demeuré, un simple d'esprit, si un vieillard,
celui qui était chargé de conserver l'amadou et la braise sacrée,
n'eût déclaré qu'il fallait essayer de confier la bûche au
serpent qui fait des flammes. Nous étions au soir du solstice
d'hiver ; la bûche fut dévorée par le feu quand, après bien
des efforts, les flammes s'élevèrent vers le ciel. Le lendemain,
les jours cessèrent de raccourcir.
Pour
les raconteurs d'histoire, il fallait des combats épiques, des rois
et des légendes pour expliquer le monde en ces temps où la science
n'avait pas encore semé les graines du scepticisme. On évoqua alors
le duel du Dieu Chêne et du Dieu Houx. Le chêne en sortait
vainqueur au solstice d'hiver, le houx à celui d'été. À chaque
fois, un feu de joie accompagnait la victoire de l'un sur l'autre.
Pour
Yule, la fête qui nous préoccupe en ce Noël pas toujours aussi
catholique qu'on veut bien nous le faire croire, la bûche ira dans
le foyer pour célébrer le renouveau des jours tandis que le houx
honorera portes et maisons pour apporter sa gaieté et l'annonce du
prochain cycle. Car il en fut ainsi depuis le début des temps et il
n'y a aucune raison que cela change.
Immémorialement
vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire