De
Lug à Lutz
Il était une fois le Dieu
des dieux celtes : la lumière personnifiée sur la Loire, le
grand Lug en personne qui avait établi sa demeure en l'entrée du
Val d'Or, un endroit qui se nomme aujourd'hui encore Lion-en-Sullias,
en son honneur. Lug aimait à chasser le sanglier, son animal
fétiche, armé de sa lance, tant redoutée de tous, tant il était
adroit à son usage.
Il était également passé
maître dans le maniement de la fronde, ce qui faisait de lui un
chasseur redoutable pour les oiseaux comme pour les animaux coureurs.
Mais c'est dans un autre domaine que son art de la chasse s'exprimait
à merveille. Lug eût été qualifié de coureur de jupons si
l'usage de ce vêtement eût cours en cette époque lointaine.
Le Dieu avait plus d'un
tour dans son sac pour séduire les demoiselles. Non seulement, il
profitait du prestige lié à sa divinité :les femmes sont
sensibles, nous dit-on, à la perspective d'engendrer un demi-dieu-
je ne peux attester cette affirmation gratuite et invérifiable- mais
de plus il savait les envoûter en leur jouant quelques airs de sa
harpe celte.
Quelques notes suffisaient
pour provoquer émoi et désir chez les péronnelles qui passaient à
portée de harpe. Hélas, souvent la femme du Dieu, la belle
Belisama, intervenait à temps pour rompre le charme et empêcher que
le panthéon celte ne comptât un demi-dieu de plus. Elle veillait
au grain, consciente que son Lug était un sacré luron, capable de
semer à tout vent.
Lug se sachant épié,
aimait à prendre le large à bord de son bateau, sa Scuabtuinne,
pour s'isoler sur la rivière et rêver tout à loisir. Sa harpe
alors jouait toute seule et lui se perdait en admiration devant la
beauté de son Val d'Or. C'est lors d'un de ses voyages entre ces
lieux : aujourd'hui Lion-en-Sullias et Châteauneuf-sur-Loire,
que Lug fit la plus belle des rencontres.
Une jeune beauté: Ondine,
une sauvageonne, éclatante comme un soleil, les cheveux bruns,
longs et bouclés, des yeux noirs , si profonds que même le Dieu de
la lumière pouvait s'y perdre, une jeune fille donc sortait de
l'eau dans une nudité qui ne semblait pas la perturber. Elle était
souple et fine, son corps semblait avoir été dessiné pour damner
les dieux. Lug était candidat à cette prometteuse damnation.
Il prit sa harpe et joua
les airs les plus langoureux qui soient. Habituellement, les
demoiselles fondaient aux premiers accords mais celle-ci, restait
imperturbable. Au contraire, elle s'éloigna pour rejoindre un jeune
garçon qui l'attendait au pied d'un chêne. Ces deux-là avaient
manifestement beaucoup à se raconter. Cela rendit fou de jalousie
Lug qui se jura de revenir investir celle qui l'ignorait ainsi …
Il ne fait pas bon
contrarier un Dieu. Ondine allait s'en rendre compte à ses dépens.
Quelques jours plus tard, Lug reprit les flots pour aller à la
recherche de la belle. Elle nageait, toujours aussi libre et
magnifique. Lug fou de désir , ne comprenait pas comment la belle
pouvait ainsi se détourner de lui. Il lui fallait ce trophée qui se
dérobait ainsi.
Ce que son prestige et ses
mélodies n'avaient pas réussi à faire, la magie allait pouvoir le
réaliser. Lug reprit sa harpe, attendit qu'Ondine sortît de la
Loire et cette fois joua un air qui provoqua à l'entour le sommeil
le plus profond. Dans l'instant, tous les animaux se figèrent, le
vent cessa de souffler, le courant de filer vers l'Océan. Ondine
s'endormit là, sur l'herbe.
Lug accosta et avant que de
commettre son effroyable forfait, craignant d'être vu par Belisama,
décréta que, dans le firmament, la Lune cacherait le soleil.
L'éclipse fut totale et l'obscurité s'abattit sur le pays.
Profitant des ténèbres, Lug honora la belle ; d'autres
affirmeront que tout Dieu qu'il fût, l'odieux personnage viola la
demoiselle : ils n'ont pas tort. Même les hôtes du Panthéon
peuvent commettre de telles énormités, la Genèse elle-même est
remplie d'histoires à ne pas mettre entre toutes les oreilles …
Belisama
découvrant cette éclipse que les astronomes n'avaient pas annoncée
se douta de quelque vilenie de son inqualifiable mari. Elle se mit
sur le champ en route pour le retrouver avant qu'il n'ait commis
l'irréparable. Hélas, quand elle arriva, le monstre avait accompli
son œuvre, Ondine avait, tout ensommeillée qu'elle fût, reçut la
semence divine.
De
colère et de furie, Belisama commit injustice plus grande encore.
C'est vers la victime qu'elle tourna sa colère. Elle transforma la
pauvrette en carpe afin qu'éternellement elle reste muette et ne
puisse divulguer le crime qui venait de se dérouler. D'un bond,
Ondine plongea dans la rivière et alla poursuivre son existence dans
les flots.
Lug
rentra tout penaud en sa demeure, demanda et obtint le pardon de sa
femme. Il n'y avait dans cette histoire qu'une personne lésée,
humiliée et vouée au silence : la pauvre Ondine devenue carpe.
La Loire la protégeait mais ne pouvait atténuer son chagrin et sa
colère. Elle nageait, l'âme en peine, désespérant de pouvoir
retrouver son enveloppe de femme.
C'est le
jeune garçon, Saul, qui ne l'apercevant plus se douta de quelque
chose. Après de longues semaines de vaines recherches il se dit
qu'il y avait là diablerie ou bien mystère et que c'est dans la
rivière qu'il devait chercher celle qu'il aimait. Il se mit en
demeure, dès qu'il le put, de découvrir dans les eaux une créature
étrange.
Le temps avait passé quand
il tomba sur une énorme carpe dorée. Il ne fut pas surpris qu'elle
vînt se frotter à lui, comme si elle voulait lui adresser un
message. Saul comprit immédiatement que son Ondine était
prisonnière de ce corps. Il plongea dans la Loire et vint enlacer la
cyprinida. L'envoûtement fut rompu dans l'instant : la carpe
redevint Ondine.
Saul constata que quelques
transformations s'étaient effectuées sur le corps de sa belle.
Ondine avait le ventre gros. Il ne s'en offusqua pas. Lui, il
l'aimait chastement, comme un esprit pur peut le faire. Il se douta
qu'elle avait croisé la route de Lug, dont la réputation n'était
plus à faire dans la contrée.
Il conduisit sa belle dans
un lieu discret qu'on nommera plus tard la Ronce, parce que Saul
avait ôté une belle épine du pied à son Ondine. C'est là, à
l'embouchure de la Bonnée, qu'Ondine mit au monde Lutz, fils de Lug
et créateur d'un village qui abrite aujourd'hui le musée de la
marine de Loire. Cette histoire demeura longtemps secrète ; il
ne faut pas avouer les débordements des dieux.
Par ironie sans doute,
l'endroit où Lutz vint au monde fut appelé plus tard le Mont aux
Prêtres. Les habitants d'alors voulaient sans doute souligner la
nature incertaine de cette naissance. Ondine et Saul ne purent
longtemps profiter de leurs retrouvailles. Une fable vous a déjà
conté ce qu'il advint du jeune garçon quand son père, bûcheron
aigri et colérique le surprit avec la sauvageonne.
Ondine, désespérée,
retourna dans les flots. Certains prétendent qu'elle se fit Vouivre
mais je ne veux pas empiéter sur les pas d'un aussi fou que moi. Ce
qui est certain c'est que notre Val d'Or est le domaine des Dieux,
que la Lumière et la Loire y célèbrent des épousailles sans cesse
magnifiées. Ce n'est pas par hasard que la spiritualité médiévale
vint construire ici l'abbaye de Fleury : le plus beau vaisseau
de lumière. Lug avait cédé la place au Dieu des chrétiens à
moins qu'il n'eût pris ses habits.
Pour ceux qui sont amoureux
de l'histoire des Celtes : le père de Lug n'est autre que Céan,
le lointain. De là à penser qu'il était honoré en Ceno, la
lointaine, qui devint plus tard Cenabum puis Orléans, il n'y a qu'un
pas que le rêveur franchira allègrement. Puisque la Loire est mère
de toutes choses, autant se charger soi-même d'inventer sa
mythologie.
Lumineusement leur.
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