mercredi 12 décembre 2018

Le grand saut du Perron



Quand Lucien faisait le joli cœur



En 1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour, celui qui fait battre le cœur.

Lucien était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une cuillère en argent dans la bouche ou bien un Louis d’or à chaque anniversaire ; nous connaissons de tels personnages dont il n’est rien à attendre de bon. Lui, il était d’ humble extraction, de celle qui vous pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.

Le hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et par le roi Louis XIV, qui avaenit en ce temps-là grand besoin d’énergie pour son industrie naissante.

Il fut suggéré de transporter le précieux minerai par voie d’eau, la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse exigeant un saut périlleux.

Lucien fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable. Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les promoteurs de cette aventure en devenir.

Lucien supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie, en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de l’accompagner dans l’aventure.

Il fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.

Ces gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours aimé ceux qui défient le destin.

Lucien tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un baiser.

La demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.

Elle se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir. Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.

Hélas, elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment. Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle chérissait.

Ce ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée. Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.

La pauvre, folle de douleur, se précipita à Vinay. C’est là, quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de réconfort qu’elle pouvait leur accorder.

De ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle, terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension, font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour des boulets de charbon.

Que cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Elle fut écrite pour les dix ans du Liger Club de Roanne, c’est un curieux cadeau que voilà. Puissent son président et ses membres en faire bon usage pour qu’enfin, les gens de cette région, retrouvent le désir d’aimer la Loire, belle et éternelle en dépit de tous les tourments et les sacrifices qu’elle a imposés aux ligériens durant l’histoire.

Péronnellement sien.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...