mardi 18 décembre 2018

Il va falloir creuser le problème.



Quand l’homme s’en mêle.




Il était une fois un rongeur lointain, un animal à la fourrure susceptible d’attirer quelques convoitises qui vivait des jours heureux dans sa Louisiane. Il pataugeait gaiement dans les marigots, s’accordant bien des douceurs, tout en se faisant les dents sur les rives des bayous. Mais un jour, il connut l’exil, sans rien avoir demandé à quiconque : il se retrouva sur les rives de notre Loire. Il se plut tant et si bien qu’à Saint Berdolin sur Loire, le problème devint une affaire d’état.

L’animal s’y trouva fort à son aise ,creusant à qui mieux mieux, pierré et rives, il y fit son trou avec une facilité à rendre jaloux les candidats à l’immigration hexagonale. Content de son nouveau territoire, l’animal proliféra d’autant plus qu’il n’avait pas emporté dans ses bagages son pire ennemi, un prédateur redoutable.

Au début, les autochtones trouvèrent assez agréable d’avoir à admirer ce charmant nageur. A première vue, ils pensaient qu'il s'agissait d'un castor : animal qui a toujours eu bonne réputation dans les parages. Les touristes pouvaient se satisfaire de la confusion : il suffisait de ne pas regarder de trop près la queue.

Bien vite cependant, les grands voyeurs tirèrent la sonnette d’alarme. Le nouveau résident faisait grands ravages : il sapait les levées, mettait en danger les routes, perçait les murs protecteurs. Il fallait trouver parade à ses dégradations ou les travaux de réparation seraient considérables. Quand on attaque le responsable politique au niveau du porte-monnaie, il semble capable alors d’entendre des plaintes qui jusqu’alors, lui étaient inaudibles.

On fit venir de grands spécialistes de la chose, des experts qui, naturellement, brillaient davantage par leurs diplômes que par leur jugeote et la connaissance véritable du dossier. Après des semaines d’analyses savantes, d’observations détaillées et d’hypothèses abracadabrantes, ils conclurent par la nécessité d'introduire des caïmans dans la Loire afin de juguler la croissance démographique d’un rongeur devenu nuisible.

Ce fut alors un tollé de protestations. Les plus virulents furent les silures qui s’organisèrent en comité de défense de la Loire. Ils tenaient à conserver la suprématie sur les eaux et voyaient d’un mauvais œil l’intrusion d’un rival capable d’avoir une gueule plus grande que la leur. Du côté des municipalités riveraines, certaines redoutèrent de devoir, à l’instar des plages réunionnaises, placer des filets de protection pour les baigneurs locaux, du fait de l’arrivée de ces reptiles aux dents acérées.

Les experts retournèrent à leurs chères études non sans avoir empoché une forte récompense pour ce formidable diagnostic. Le problème restait entier ; les rongeurs pouvaient continuer à se la couler douce. On pensa alors à demander les services d’un homme providentiel. Sur la Loire, ils sont nombreux à avoir un avis sur tout et à l’exprimer le plus souvent possible devant les caméras et les micros, toujours à l’affût de leurs lumières.

C’est un spécialiste de la navigation qui eut la plus belle idée. Sachant que l’animal redoute tout particulièrement le gel, il suggéra de transformer son embarcation à passagers en bateau cryogénique pour attaquer l’animal de manière sournoise durant l’hiver, période où les passagers se font rares. Faire d’une pierre deux coups étant, à n’en point douter, une spécialité marinière. La queue gelée finissant par tomber et entraînant alors une gangrène fatale. Malheureusement le devis proposé par notre homme refroidit considérablement des autorités qui, pourtant, avaient l’habitude de se montrer généreuses à son endroit.

Le problème n’avançait guère. Le rongeur, réputé pour se régaler de glands mettaient en échec ceux qu’on pouvait traiter de la sorte. Il fallait se creuser la tête : chose inhabituelle dans les allées du pouvoir. Un simple pêcheur, fit alors remarquer que la fouine pouvait aisément remplacer le puma et le caïman, tout en ayant l’avantage de vivre chez nous de manière naturelle.

Introduire massivement des fouines en bord de Loire, l’idée pour séduisante qu’elle était, semblait un peu risquée. Un haut responsable local, connu sous le sobriquet de Louis-Philippe, redouta qu’on confonde la fouine et le blaireau : il craignait tout particulièrement qu’on ne lui accolât ce nouveau qualificatif. Il faut avouer que le risque était grand et la confusion possible. On abandonna cette idée qui aurait pu s’inscrire dans une gestion écologique du dossier : une mauvaise idée pour les élus de Saint Berdolin, peu désireux de se retrouver de ce côté-ci de l’échiquier politique.

Quand on se trouve dépassé, quand les solutions contraintes viennent à manquer ou paraissent impossibles, il est de coutume dans ce pays de faire appel au bras séculier. En la matière, pour mettre un peu de plomb dans la tête de nos ragondins-puisque c’est d’eux qu’il s’agit-rien de mieux qu’une troupe de chasseurs sous la houlette d’un lieutenant de louveterie. Cette fois, les écologistes allaient crier au loup, ce qui n’était pas pour déplaire au préfet, peu enclin à protéger la Loire et l’environnement.

Devant les tergiversations et les interrogations des uns et des autres, on dépêcha une équipe de FR3 pour aller en bord de Loire filmer les fauteurs de trouble et les dégâts qu’ils avaient occasionnés. Ainsi le grand public serait-il sensibilisé et disposé à accepter la solution finale. Malheureusement, les gens de la télévision régionale étaient aussi peu au fait des mœurs du rongeur que nos amis en charge du dossier. C’est en début d’après-midi que le caméraman voulait filmer un animal bien plus nocturne que diurne. On ne peut pas tout savoir, il est vrai.

Voilà en l’état les différentes pièces du problème. Je vous laisse juge des atermoiements et des maladresses des uns et des autres. Si la solution des armes est retenue, je crains qu’il n'y ait des victimes collatérales. Il ne va pas faire bon se promener en bord de Loire à la tombée du jour. Si tous les chats sont gris, ils risquent fort de prendre quelques coups de feu dans l’aile … Ainsi va la vie à Saint Berdolin sur Loire. Nulle part ailleurs, nous ne pourrions trouver farce plus drolatique que celle-ci. C’est sans doute l’abus des vins de Loire qui fait perdre la raison à tout ce joli monde. Nous ne pourrions le leur reprocher : ils sont si bons !

Ragondinement leur 

 

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