Quand
l’homme s’en mêle.
Il
était une fois un rongeur lointain, un animal à la fourrure
susceptible d’attirer quelques convoitises qui vivait des jours
heureux dans sa Louisiane. Il pataugeait gaiement dans les marigots,
s’accordant bien des douceurs, tout en se faisant les dents sur les
rives des bayous. Mais un jour, il connut l’exil, sans rien avoir
demandé à quiconque : il se retrouva sur les rives de notre
Loire. Il se plut tant et si bien qu’à Saint Berdolin sur Loire,
le problème devint une affaire d’état.
L’animal
s’y trouva fort à son aise ,creusant à qui mieux mieux,
pierré et rives, il y fit son trou avec une facilité à rendre
jaloux les candidats à l’immigration hexagonale. Content de son
nouveau territoire, l’animal proliféra d’autant plus qu’il
n’avait pas emporté dans ses bagages son pire ennemi, un prédateur
redoutable.
Au
début, les autochtones trouvèrent assez agréable d’avoir à
admirer ce charmant nageur. A première vue, ils pensaient qu'il
s'agissait d'un castor : animal qui a toujours eu bonne
réputation dans les parages. Les touristes pouvaient se satisfaire
de la confusion : il suffisait de ne pas regarder de trop près
la queue.
Bien
vite cependant, les grands voyeurs tirèrent la sonnette d’alarme.
Le nouveau résident faisait grands ravages : il sapait les
levées, mettait en danger les routes, perçait les murs protecteurs.
Il fallait trouver parade à ses dégradations ou les travaux de
réparation seraient considérables. Quand on attaque le responsable
politique au niveau du porte-monnaie, il semble capable alors
d’entendre des plaintes qui jusqu’alors, lui étaient inaudibles.
On
fit venir de grands spécialistes de la chose, des experts qui,
naturellement, brillaient davantage par leurs diplômes que par leur
jugeote et la connaissance véritable du dossier. Après des semaines
d’analyses savantes, d’observations détaillées et d’hypothèses
abracadabrantes, ils conclurent par la nécessité d'introduire des
caïmans dans la Loire afin de juguler la croissance démographique
d’un rongeur devenu nuisible.
Ce
fut alors un tollé de protestations. Les plus virulents furent les
silures qui s’organisèrent en comité de défense de la Loire. Ils
tenaient à conserver la suprématie sur les eaux et voyaient d’un
mauvais œil l’intrusion d’un rival capable d’avoir une gueule
plus grande que la leur. Du côté des municipalités riveraines,
certaines redoutèrent de devoir, à l’instar des plages
réunionnaises, placer des filets de protection pour les baigneurs
locaux, du fait de l’arrivée de ces reptiles aux dents acérées.
Les
experts retournèrent à leurs chères études non sans avoir empoché
une forte récompense pour ce formidable diagnostic. Le problème
restait entier ; les rongeurs pouvaient continuer à se la
couler douce. On pensa alors à demander les services d’un homme
providentiel. Sur la Loire, ils sont nombreux à avoir un avis sur
tout et à l’exprimer le plus souvent possible devant les caméras
et les micros, toujours à l’affût de leurs lumières.
C’est
un spécialiste de la navigation qui eut la plus belle idée. Sachant
que l’animal redoute tout particulièrement le gel, il suggéra de
transformer son embarcation à passagers en bateau cryogénique pour
attaquer l’animal de manière sournoise durant l’hiver, période
où les passagers se font rares. Faire d’une pierre deux coups
étant, à n’en point douter, une spécialité marinière. La queue
gelée finissant par tomber et entraînant alors une gangrène
fatale. Malheureusement le devis proposé par notre homme refroidit
considérablement des autorités qui, pourtant, avaient l’habitude
de se montrer généreuses à son endroit.
Le
problème n’avançait guère. Le rongeur, réputé pour se régaler
de glands mettaient en échec ceux qu’on pouvait traiter de la
sorte. Il fallait se creuser la tête : chose inhabituelle dans
les allées du pouvoir. Un simple pêcheur, fit alors remarquer que
la fouine pouvait aisément remplacer le puma et le caïman, tout en
ayant l’avantage de vivre chez nous de manière naturelle.
Introduire
massivement des fouines en bord de Loire, l’idée pour séduisante
qu’elle était, semblait un peu risquée. Un haut responsable
local, connu sous le sobriquet de Louis-Philippe, redouta qu’on
confonde la fouine et le blaireau : il craignait tout
particulièrement qu’on ne lui accolât ce nouveau qualificatif. Il
faut avouer que le risque était grand et la confusion possible. On
abandonna cette idée qui aurait pu s’inscrire dans une gestion
écologique du dossier : une mauvaise idée pour les élus de
Saint Berdolin, peu désireux de se retrouver de ce côté-ci de
l’échiquier politique.
Quand
on se trouve dépassé, quand les solutions contraintes viennent à
manquer ou paraissent impossibles, il est de coutume dans ce pays de
faire appel au bras séculier. En la matière, pour mettre un peu de
plomb dans la tête de nos ragondins-puisque c’est d’eux qu’il
s’agit-rien de mieux qu’une troupe de chasseurs sous la houlette
d’un lieutenant de louveterie. Cette fois, les écologistes
allaient crier au loup, ce qui n’était pas pour déplaire au
préfet, peu enclin à protéger la Loire et l’environnement.
Devant
les tergiversations et les interrogations des uns et des autres, on
dépêcha une équipe de FR3 pour aller en bord de Loire filmer les
fauteurs de trouble et les dégâts qu’ils avaient occasionnés.
Ainsi le grand public serait-il sensibilisé et disposé à accepter
la solution finale. Malheureusement, les gens de la télévision
régionale étaient aussi peu au fait des mœurs du rongeur que nos
amis en charge du dossier. C’est en début d’après-midi que le
caméraman voulait filmer un animal bien plus nocturne que diurne. On
ne peut pas tout savoir, il est vrai.
Voilà
en l’état les différentes pièces du problème. Je vous laisse
juge des atermoiements et des maladresses des uns et des autres. Si
la solution des armes est retenue, je crains qu’il n'y ait des
victimes collatérales. Il ne va pas faire bon se promener en bord de
Loire à la tombée du jour. Si tous les chats sont gris, ils
risquent fort de prendre quelques coups de feu dans l’aile …
Ainsi va la vie à Saint Berdolin sur Loire. Nulle part ailleurs,
nous ne pourrions trouver farce plus drolatique que celle-ci. C’est
sans doute l’abus des vins de Loire qui fait perdre la raison à
tout ce joli monde. Nous ne pourrions le leur reprocher : ils
sont si bons !
Ragondinement
leur
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