Fable
des temps d'indécence ...
Il
était une fois un vieux bonhomme portant pelisse qui avait bien
étrange caprice. Pour assouvir son vice, aux enfants il offrait
des
délices. Il allait le long de la rivière, offrir à tous
ceux qu'il
croisait, des cadeaux qu'il transportait sur son
bateau. Nous étions
en une époque lointaine où pour obtenir un
sourire, il suffisait d’un
cerceau ou bien d'une simple bobine
de fil.
Le
vieil homme qu'on reconnaissait partout sur les bords de Loire à
sa
grande barbe blanche avait fait fortune en affrétant des bateaux.
Devenu riche marchand, ayant amassé un bas de laine considérable
sur
le dos des mariniers qu'il employait alors pour une bouchée
de pain et
une cruche de vin, sur ses vieux jours, il avait eu des
remords, voulant rendre aux enfants ce qu'il avait soutiré à leurs
parents.
Il allait ainsi de ville en ville, de village en village et était
connu comme le loup blanc. Quand il accostait sur les quais, toute
la
marmaille du coin venait réclamer son bien. Chacun s'en
rentrait chez
lui, heureux d'un présent innocent, d'une petite
amulette qui
illuminait alors le regard de ces enfants
raisonnables.
C'est
en fréquentant la fête de la Saint-Nicolas, le patron de tous
les
gens qui vont sur l'eau, que notre repentant eu cette
merveilleuse
idée. Petit à petit, il peaufina son manège, se fit
une tête de saint
homme et prit des habits étranges pour qu'on
le repère de loi. La
Loire, pendant les hautes eaux de décembre,
est souvent couverte de
brume, il se vêtit tout de rouge pour
être vu de loin.
La
générosité de ce vieux bonhomme qui s'appelait Noël fit bientôt
le
tour du pays. Il y eut bien des déformations pour narrer son
histoire.
La légende prit bien vite des proportions mystérieuses.
On prétendait,
la chose est à peine croyable, qu'il arrivait du
ciel et faisait sa
livraison en pleine nuit. Plus incroyable
encore,
considérant son prénom, certains affirmaient que tout se
passait à
minuit le soir de la Sainte Adèle ….
L'histoire
traversa l'Atlantique. La Loire conduit naturellement vers
cette
lointaine direction. Une marque de soda s'empara de la fable et
fit de notre père Noël une image de légende. Pourtant le véritable
personnage avait bien des défauts qu'on attribue aux mariniers.
Il
avait la colère aussi facile que la chopine et chantait des
chansons
qui ne doivent surtout pas tomber dans les oreilles des
enfants.
C'est
souvent ainsi que la réalité est travestie. Mais laissons la
farce
du moment pour revenir à l'histoire réelle de notre
bonhomme.
Voilà qu'en ce mois de décembre, la Loire se mit à
gronder et à
gonfler. Elle étendit son cours sur tout le val.
Les gens du pays,
prisonniers de leurs masures prises par les eaux
n'avaient d'autres
recours que de se réfugier sur les toits
.
Noël et son bateau de cadeaux ne trouvait pas bien sérieux de
distribuer
des babioles quand tant de gens étaient dans la peine
et le malheur.
Il décida de laisser sa cargaison bien futile et
chargea à la place
des vêtements chauds et de la nourriture.
Voilà ce qui est nécessaire
quand on est véritablement dans la
peine.
Plusieurs
jours durant, il alla porter réconfort à ceux qui étaient à
bout de force. On pense d'ailleurs que la fable de la cheminée date
de
ces journées où notre bonhomme portait parfois des
victuailles à des
gens perchés sur cette protubérance de leur
maison. Il retint la leçon
et les années qui lui restèrent à
vivre, il continua ainsi à porter ce
qui est indispensable à ceux
qui manquent de tout.
Il
est bien dommage que l'on ait retenu que la partie futile de cette
belle histoire. Cette année encore à Noël, les cadeaux vont
parfois dégouliner
dans bien des maisons pour des enfants à
peine reconnaissants quand,
partout autour de nous, des gens sont
à la rue, des enfants n'ont
presque rien et qu'ailleurs dans le
monde, la misère et la famine sont
encore au menu de cette
période de bombance.
Il
est grand temps que nous revenions à plus de raison. S'il fallut
une grande crue pour que notre bonhomme ouvre les yeux sur ce qui
est
vraiment indispensable, n'attendons pas à notre tour d'être
pris par
les eaux de la misère pour ouvrir notre cœur au lieu de
jeter tant et
tant par la fenêtre. C'est la seule morale de cette
menterie de Loire.
Si vous ne voulez la croire, j'espère que vous
n'aurez jamais à vous
en mordre les doigts. La destinée n'est
pas toujours favorable, nul
n'est à l'abri du revers de fortune.
Que
cette fable arrive aux oreilles d'un vilain personnage à gros nez
qui a préféré s'enfuir en Belgique plutôt que de partager ce que
la
providence lui a généreusement offert, sera pour ma part, le
seul
cadeau que j'espère en cette fête délirante !
Nativement
sien.
Photographies Pirate de Loire
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