En chamboulant le temps En bousculant l'histoire En martyrisant la chronologie En travestissant la vérité En défiant la logique Et en grimant les personnages Le bonimenteur vous invite à le suivre Lorsqu'il vous déclare avec gravité : « Il advint une bonne fois pour toute ! Qu'il vous faudra bien accroire »
mardi 31 juillet 2018
Le coq et l'âne
Quelques digressions absurdes !
Le brave gallinacé se sent parfaitement chez lui en ce doux pays de France. Il profite comme tous ses semblables de ce détail oiseux : les Romains ne disposaient que d'un seul mot : « gallus », pour désigner à la fois l'homme de Gaule et le coq. Ce manque de vocabulaire fut un prétexte sans doute à moquerie, même s'il faut lui reconnaître le mérite d'avoir placé sur le clocher de nos églises un emblème qui avait fière allure.
Le coq aime la France et se noyait aisément dans un litre de vin rouge. Le coq au vin : existe-t-il un plat plus divin ? Bien sûr, il a perdu de sa superbe, il est jugé trop rustique, campagnard et quelque peu calorifique. Le citadin pince le bec devant autant de sincérité gustative. Il n'est guère enchanté de déguster pareil festin. Mais revenons à notre larron.
Le coq se venge et joue l'emblème à deux pattes quand il vagabonde librement sur une pelouse lors d'une rencontre internationale. J'évoque encore au présent ce plaisant moment alors que la grippe aviaire et les fouilles au corps ont depuis quelque temps rendu caduque cette aimable manifestation patriotique. Vous risquez qu'on vous vole dans les plumes si vous souhaitez faire pénétrer dans l'enceinte le noble animal emplumé.
Le coq s'empâte, il est soumis à des contraintes qui le poussent à rester au lit le matin. Le lever du jour est souvent trop précoce lors de la période estivale. Les voisins voient d'un mauvais œil et , plus encore, d'une oreille sourcilleuse, le chant claironnant du mâle en goguette. Le coq doit veiller à ne point se réveiller de bonne heure ; le monde est désormais procédurier, il doit se taire tout comme ses commères les cloches ….
Le coq se sent châtré d'être ainsi réduit au silence. Plus de cocorico joyeux. Plus de tas de fumier non plus pour prendre de la hauteur et monter sur ses ergots. Il peut tout juste se satisfaire du composteur, espace clos qui lui ôte tout désir de s'égosiller la crête au vent. Les temps sont durs pour le bel animal ; sa fierté en prend un sacré coup ; le combat est inégal devant les mauvais coucheurs qui ont tous tendance à faire la grasse matinée.
Le coq en a assez de faire la cour à ces pauvres femelles qui jouent les cocottes. Elles deviennent de plus en plus délicates, exigent des présents de valeur, se parfument et s'emplument. La poule se fait de luxe, aime à être entretenue : ce qui n'est pas du tout dans les moyens du garçon. Le coq a viré sa cuti : il a désormais les yeux de Chimène pour son compère l'âne. La théorie du genre a fait bien des dégâts : ici ou dans les basses-cours.
Le coq se voit en danseuse pour séduire l'animal aux grandes oreilles. Il joue du pédalier, se raffermit le mollet pour lui taper dans l'œil. L'âne, pour bâté qu'il soit, aime à emprunter les circuits et les pistes aventureuses. À voir les jambes de coq se dandiner devant lui, il se sent pousser des ailes. Une bourrique, un peu jalouse, lui fait quelques remontrances. Devant les moqueries muletières, notre âne devient rouge comme un coq.
Âne et coq s'en vont bras dessus, bras dessous. Ils laissent ainsi les convenances, se moquent de l'opinion publique. Le coq se fiche désormais de savoir s'il chante mieux que son compagnon ne braie. L'amour entre eux est bien plus fort que de si dérisoires considérations. Aux premières lueurs de jour, ils s'époumonent de concert pour déclarer la bienvenue à l'astre solaire.
Les poules, totalement perturbées par ce revirement, sautent de l'un à l'autre sans plus de succès. Fort heureusement, les demoiselles n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier : un jeune coq, sorti des bruyères, vient se proposer pour remplacer le vieux mâle qui se comporte désormais comme un chapon. La nature ayant horreur du vide, il est embauché immédiatement par les poulettes qui mettent toutes la main au pot pour s'offrir ses services.
Le coq et l'âne s'en vont, indifférents. Ils s'aiment. Rien n'est plus important à leurs yeux. Il se moquent du qu'en-dira-t-on. Ils avancent fièrement vers un monde plus beau, un monde sans préjugés ni expressions douteuses. Les animaux ne sont pas toujours à la fête, surtout en période de fête. Une dinde se dit qu'il est grand temps pour elle, de partir avec eux. Noël approche, elle risque de se retrouver marron.
Anthropomorphismement leur.
https://www.youtube.com/watch?v=AQdbBiy-5XE&feature=youtu.be
lundi 30 juillet 2018
La Chavannée
Et
si c’est de là que tout avait recommencé ?
Il est un lieu si
particulier, si beau et chargé d’histoire que rien ne s’y
déroule comme ailleurs. Quelque part au bord de
l’Allier, il est une petite sente qui plonge vers la rivière.
Quand on se trouve à son sommet, on y découvre un paysage d'une
incomparable beauté . En cet endroit trois provinces françaises se
rejoignent : le Berry, la Bourgogne, le Bourbonnais. On y ressent le
souffle de l’histoire et le poids des légendes. Au loin les
chats-huants ululent à vous glacer le sang, on devine qu’ici
quelques drames se sont noués au fil du temps.
Le merveilleux
site d’Embraud de l’association La Chavannée, à
Château-sur-Allier, domine ce lieu unique d'une beauté à vous
couper le souffle, à bouter son chapeau bien bas devant
l’obstination et la persévérance de Jacques Paris et de ses
compagnons à créer et faire vivre un espace consacré à la
préservation des traditions : marinières, folkloriques,
culturelles, historiques. Décrire toutes les activités serait
fastidieux. Il convient de parcourir leur site pour en prendre
conscience :
Le panorama,
rien qu’à lui seul, vous permet de comprendre pourquoi, depuis
plus de deux mille ans, les humains remontent la sente qui mène à
la ferme située sur le sommet de la colline. Ils y ont porté le
sel, le vin, les grains, les produits que les mariniers
transportaient sur la rivière. Vous n’avez alors qu’à écouter
le patriarche, évoquer avec du trémolo dans la voix, ce chemin
fondateur d’une épopée qui reste encore la sienne.
Fondée en
1969, l’association « La Chavannée » a pratiqué le
collectage, la musique, la batellerie avec, en tête de pont,
l’instituteur Freinet qui menait à la ferme ses élèves et les
plus anciens. Dix ans plus tard, la ferme était achetée et ne
cesserait de grandir pour devenir salle de spectacle, dortoir,
réfectoire, lieu d’exposition et atelier de construction navale.
Retrouvez son histoire ici :
Jacques Paris
est également un conteur, il aime à parler en bourbonnais, sa
langue maternelle et évoque avec flamme cette formidable aventure
humaine et culturelle. Nous nous sommes retrouvés autour de livres
et d’auteurs qui nous touchent. Prenez la peine de l’écouter,
c’est un bonheur.
Notre ami
Pirate de Loire est un inconditionnel des Chavans. Il admire leurs
folles expéditions à la rame tout autant que les spectacles
proposés par le groupe. Il les a filmés à Langeais.
Les Chavans
sont de véritables mariniers qui ont dompté l’Allier et
s’autorisent parfois de
folles descentes de Loire. À ce titre, ils sont uniques et
méritaient cette page à leur honneur. Chapeau bas messieurs et
mesdames de l’Allier. Vous êtes la gloire et le symbole du
renouveau de la Marine de Loire tout autant que les grands
précurseurs.
Un conte est
né de notre rencontre. Il n’est pas possible de ne pas l’évoquer
ici tant il a été inspiré par Jacques Paris. Merci à lui.
dimanche 29 juillet 2018
Un rat, une âne, 3 bateaux …
Et
quelques humains !
Je
laissai Hélène à ses bavardages, sa gentillesse et sa grande ferme
pour descendre le canal latéral. Après examen du parcours sinueux
de dame Loire, je n'avais guère d'autre possibilité. Je comptais
retrouver un peu de monde sur mon chemin en espérant découvrir une
chambre d'hôtes au détour d'un petit port.
Une
pluie fine, un ciel bas, un air frisquet ; rien de tel pour
décourager mes collègues touristes. Aucun cycliste sur le chemin de
halage et pendant très longtemps pas la moindre pénichette.
J'allais seul et durant la première heure, seul un rat, plus gros
qu'un chat, me tint compagnie quelques instant.
C'est
alors que les vicissitudes de la marche ou plutôt celles de mes
viscères me poussèrent à demander asile à la première écluse
venue. C'était celle que venait d'investir Jérémy. Il me permit
d'user de ses tinettes, un bonheur rare pour une satisfaction
immense. La vie est parfois simple quand on chemine …
Jérémy,
le hasard se joue souvent de nous, venait de passer trois années à
L'Institut d'Arts Visuels de Cenabum. Le diplôme en poche, il va
rentrer à l'École Supérieur des Métiers de l'Animation pour une
formation de trois années. Jérémy veut faire de l'animation 3D.
Pour ses vacances, il est éclusier. Un travail qui lui laisse du
temps pour travailler à des projets sur son Mac qui ne le quitte
pas.
Si
parfois ses longues journées : de 9 heures à 19 heures, sont
agitées avec jusqu'à vingt-cinq passages de bateaux, d'autres sont
d'un ennui mortel avec presque personne. Je laisse Jérémy à ce
travail trop tranquille où il devra quatorze jours pour un salaire
si modeste qui sera bien vite mangé à Toulouse.
Deux
heures plus tard, un âne moins chargé que moi me fit un clin d'œil.
Il avait l'air amusé de croiser un humain chargé comme un mulet.
Entre bêtes, on se comprend avec peu de mots. Il me conseilla de
ménager ma monture, je lui sus gré de se préoccuper de ma santé !
Pas très loin de là, trois personnes me regardèrent passer en
feignant de ne pas me voir. Elles évitèrent ainsi de devoir saluer
ce curieux personnage ! Je les plaignis de tout mon cœur, un bonjour
ne coûte pas grand chose et un regard encore moins.
Marius,
lui ne se fit pas prier. Il me tendit une main ferme pour saluer
celui qui venait à sa rencontre. Soixante-seize ans, cultivateur à
la retraite, il avait emmené pour une paire d'heures son petit fils
Lucas à la pêche. Marius avait tendu trois lignes en batterie pour
prendre quelques chats. L'homme avait ouvert à la va-vite une boîte
de maïs Bonduel pour attirer le chaland aquatique. Je lui fis la
réflexion de sa désinvolture halieutique …
À
côté de nous, Lucas montrait de nombreux signes d'impatience. Il
n'arrêtait pas de se « berdiller », il trempait une
épuisette dans le canal mouvait l'eau et brassait l'air. Il
m'expliqua qu'il allait rentrer en sixième et je lui donnai conseil
de s'y tenir plus tranquille. Marius, la casquette vissée sur le
crâne, le mégot collé aux lèvres, les bretelles et la veste de
chasse voyait tout ça du regard bienveillant de celui qui ne s'en
fait plus.
C'est
moi qui me fit du mouron un peu plus tard lorsqu'au bout de six
heures trente de marche, j'arrivai au terme de mon périple. J'avais
pointé le petit port de Garnat comme étape possible. Il n'y avait
d'ailleurs guère d'autres possibilités. Je trouvai un lieu
parfaitement désert. Une pancarte annonçait fièrement un cimetière
pour animaux mais pas de quoi loger le marcheur isolé.
Au
pied de l'église, une boulangerie, bar, tabac, journaux loto était
ouverte. J'y trouvai réconfort et présence humaine. Le patron, fort
aimable me confirma qu'il n'y avait aucun espoir de logement ici.
Après ma grosse marche d'hier, je n'étais pas de force à
renouveler l'expérience deux jours de suite. J'appelai un taxi pour
trouver de quoi me loger. Ce fut le Grand Hôtel de Bourbon Lancy ou
Benjamin, Prune et Séverine me firent un accueil réconfortant.
J'étais dans une ville
thermale, une voie verte me conduira demain jusqu'à Digoin. La Loire
ne doit pas être loin. Il me faut, après vous avoir livré cette
journée exaltante, voir si la dame ne s'ennuie pas de moi. Benjamin,
à l'accueil m'a certifié qu'il y avait un club ligérien en la
place. Il ne faut désespérer de rien dans un ville où un tel club
est fondé …
Ligèriennement vôtre
samedi 28 juillet 2018
La brune et le malandrin
La
brune et le malandrin
Au
petit matin, c'est pas malin
Est
partie sa brune, c'est son infortune
Le
voilà chafouin, notre pauvre marin
Perché
sur sa dune, pleure à la brume
Chaque
soir explose son désespoir
Chaque
matin impose le chagrin
Il
broie du noir, se met à boire
Il
est coquin pour cette catin
Sur
son bateau, s'est fait falot
Pour
ses chagrins, est devenu marin
Au
fil de l'eau, il porte beau
À
chaque matin, il rêve d'une autre main
Pour
une fois, a fait son choix
Une
belle blonde lui joue une ronde
Se
brûle les doigts à ses émois
Un
nouveau monde, femme féconde
Il
ouvre son cœur, que des douceurs
Il
aime la vie, plus de soucis
Pour
ses langueurs, pour ses moiteurs
Sa
bonne amie, il l'a chérie
Refrain
Jusqu'à
demain, ça c'est certain
Le
coup qui claque, la fin arnaque
Adieu
d'une main, pour un vilain
Le
cœur en vrac, l'amour ressac
Et
tous les soirs, voilà la foire
Joue
les pince-fesses, pour une déesse
La
belle Loire, pour tout espoir
Quand
sa tristesse, devient détresse
Sur un bateau, s'est fait matelot
Pour
ses chagrins, est devenu marin
Au
fil de l'eau, il porte beau
À
chaque matin, il rêve d'un autre destin
vendredi 27 juillet 2018
Les chiens et le berger.
Les
chiens et le berger.
Au bord de
l'eau vivait un homme
Simple
gardien de ses moutons
Un humble
berger en somme
Loin de la
ville et ses tensions
Sur la rive,
du matin au soir
Il sculptait
des personnages
Sur des bois
flottés de Loire
Pour les
enfants du voisinage
Ils aimaient
à le regarder
Lui donnaient
de tendres sourires
De tous, il
était respecté
Gentil berger
aimant à rire
Quand
soudain l'orage éclata
Pour les
adultes de ce bourg
Il ne
fallait pas qu'on aimât
Celui qui
vit à rebours
*
C'est la
femme de l'échevin
Grande dame
respectable
Qui distilla
tout le venin
Dont on la
savait capable
La mégère
se fit sorcière
Proclamant à
la cantonade
Par des
paroles à manières
Un mensonge
sans parade
Son
mari lui avait mandé
De
porter une affreuse rumeur
Pour
que l'homme fut pourchassé
Par
tous ces chiens sans honneur
À qui
voulait bien l'écouter
Elle
déclarait sans vergogne
Que non
loin était un berger
Plus
redoutable que charogne
*
Prétendant
le berger porteur
De la si
redoutée peste
La femme en
son déshonneur
Avait la
langue bien leste
Le berger en
ce pays délétère
Fut
soudainement mis au banc
Les enfants à
coups de pierres
Les adultes
bien plus méchants
Il se cacha
plus loin encore
Seul
maintenant avec ses moutons
Tandis que
ses maudits pécores
Lui jetaient
sans cesse des horions
Le temps
passa ainsi longtemps
Le berger
le cœur chagrin
Se
souvenait des jours d'avant
Quand il
n'était pas le vilain
*
Un jour un
chaland s'arrêta
Un vieux
marin s'en vint vers lui
Ce grand sage
lui conseilla :
« N'accepte
plus cette infamie ! »
« On te
rejette par ignorance
C'est de
cette arme qu'il faut user
Avec ton
flutiau pour la danse
Tu les auras
tous à tes pieds »
Ce que fit le
brave berger
Par ses
rondes mélodieuses
Envoûtant
ceux qui l'avaient chassé
Y compris la
dame odieuse
C'est la
langue des oiseaux
Qui
attrape par la douceur
Les
menteurs, et tous les sots
Qui
ignorent avoir un cœur
*
Texte merveilleusement chanté par Denis Raimbault
jeudi 26 juillet 2018
La gazette de l’aigrette
La
gazette de l’aigrette
Sur
la Loire c’était calme plat
Les
oiseaux n’en revenaient pas
Quand
une adorable aigrette
Décida
de tenir gazette
La
chose émut fort un canard
Enchaîné
dans une mare
Il
se voyait dépossédé
D’un
titre qu’il eut mérité
Une
oie s’arracha une plume
Elle
en attrapa un gros rhume
Elle
voulait qu’ainsi on écrive
Sa
gloire et toutes ses dérives
Un
bateau passa sur les flots
Le
marin bouta son chapeau
Avec
cinq colombes sur sa hune
Il
entrevoyait la fortune
Le
balbuzard se prit de bec
Avec
la rédactrice pète sec
Il
voulait la première page
Pour
la beauté du ramage
Le
martin pêcheur sur la brèche
Demanda
à la revêche
Qu’un
modeste entre-filet
Évoque
les horaires des marées
Quand
soudain la rédaction
Tout
à sa précipitation
Accepta
de jeter l’ancre
De
ce journal pour les cancres
L’aigrette
tira sa révérence
À
ceux de la conférence
Qui
avaient dénigré celle
Qui
s’envolait à tire d’ailes
Quand
le journal tomba à l’eau
La
garzette leur tourna le dos
Elle
avait du plomb dans la tête
Pour
avouer sa défaite
mercredi 25 juillet 2018
Monsieur Castor
Monsieur
Castor
C'est
monsieur Castor
Qui
faisait le mort
Au
pied de ce pont
Dans
les tourbillons
C'est
en notre port
De
la rive Nord
Qu'il
reposait là
Singeant
le trépas
Car
quelques fripons
De
vilains garçons
Lui
jetaient cailloux
En
faisant les fous
Refrain
Castor
agacé
Voulut
les tancer
Pour
son agonie
Ils
seraient punis
Furent
condamnés
À
coups de fouet
Ça
leur fit la nique
En
place publique
Refrain
Castor
renaissant
S'en
vint réclamant
Afin
d’les châtier
Devant
l'assemblée
C'est
à coups de queue
Qu'il
punit ces gueux
Voilà
ce qu'on fait
Aux
affreux méfaits
C'est
monsieur Castor
Qui
faisait le mort
Au
pied de ce pont
Dans
les tourbillons
mardi 24 juillet 2018
Le vieux brochet
Le
vieux brochet
Un vieux brochet aux
aguets
Guettait sa future
proie
C'est un goujon en
tournée
Qui vint s'offrir à
son choix
Il s'avança sous son nez
Innocent et fort placide
Le carnassier alléché
S'il s'était montré
avide
N'en aurait fait qu'une
bouchée
Sans la moindre
distinction
Quand avant de l'avaler
Le gourmand eut un soupçon
Cette onde était si
troublée
Il percevait quelques
signes
Incitant à se méfier
De la friture sur la ligne
Brochet retenant son geste
Bouche bée lors se figea
Devant goujon qui du reste
Se refusait au trépas
« Je ne suis pas
aussi frais
Que mon ami le gardon
Son œil rouge vous
effraie
C'est tromperie de luron
! »
Brochet se dit dans
l'instant
« Je me fais
végétarien »
Et goujon reconnaissant
Lui octroya du vieux pain
Le croûton était si dur
Qu'il se brisa toutes les
dents
Ainsi finit l'aventure
Du carnassier en pâture
Qui mange dans le courant
Se méfie des poissons
blancs
Ils ne sont pas bon
conseil
Eux et tous leurs pareils
Le vieux brochet aux
aguets
Attendait son futur
mets
C'est un mitron en
tournée
Qui lui offrit sa
fournée
dimanche 22 juillet 2018
L’écrevisse
L’écrevisse
J’en
pince pour l’écrevisse
Voilà
mon pauvre vice
Lui
promets une danse
Et
lui tends ma balance
Avance
à reculons
Au
bord d’un tourbillon
Elle
se laisse entraîner
Se
sait alors aimer
Il
n’est pas meilleur plat
Que
ce crustacé la
Soudain
une cousine
Se
fait bien plus lutine
Venue
de l’Amérique
Avec
toute sa clique
Elle
envahit les flots
en
faisant le gros dos
Supprimant
l'autochtone
Devenue
atone
Elle
s’invente une histoire
Tout
au fond de la Loire
Manque
de manière
En
notre rivière
S’octroyant
la place
La
vilaine garce
Venue
de Louisiane
En
fuyant la douane
Sans
le moindre papier
À
tout colonisé
Dans
sa carapace
Elle
manque de classe
Sa
malheureuse consœur
En
eut des hauts le cœur
A
du se retirer
battue
éliminée
Par
cette envahissante
À
la ponte galopante
Ce
n’est pas la loutre
Qui
lui mit des doutes
Sans
aucun prédateur
elle
fait notre malheur
Vous
voulez la manger ?
Elle
devra dégorger
Deux
ou trois bonnes heures
Elle
sera meilleure
Puis
faudra la châtrer
Avant
d’la cuisiner
La
plongeant dans du vin
Pour
un repas divin
samedi 21 juillet 2018
Poussières d'étoiles
Poussières
d'étoiles
J'allais
le long de ce chemin
À la
poursuite du destin
C'est
alors qu'elle m'est apparue
Moi qui ne
l'espérais plus
Une étoile
brula dans le ciel
Annonçant
que c'était elle
Ma douce dame
brume
Surgit d'un
rayon de Lune
Elle m'invita
à danser
Me voulant
pour fiancé
D'où me
venait cet honneur
Qui
bouleversa mon cœur ?
Sans chercher
à comprendre
Il me fallait
la prendre
La serrer
fort dans mes bras
Pour partager
ce moment là
Tout au long
de cette nuit
Nos âmes
furent unies
Quand arriva
ce matin
Qui me
plongea en chagrin
La dame s’est
évanouie
Alors qu'elle
m'avait promis
De ce si
tendre partage
Bien plus
qu'un mariage
Mes larmes
coulaient à flot
Quand au
milieu du halo
De ses
poussières d'étoiles
Elle me
tendit une voile
Je quittais
cette terre
Pour aller
vers l'éther
Ce
merveilleux domaine
De celle qui
sera ma reine
Nous dansons
main dans la main
Sans nous
soucier de demain
Nous nous
aimons dans le ciel
Loin de ce
monde artificiel
jeudi 19 juillet 2018
Quand Lucien faisait le joli cœur
En
1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait
de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des
jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à
l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se
remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour,
celui qui fait battre le cœur.
Lucien
était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une
cuillère en argent dans la bouche ou bien un Louis d’or à chaque
anniversaire ; nous connaissons de tels personnages dont il n’est
rien à attendre de bon. Lui, il était d’ humble extraction, de
celle qui vous pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.
Le
hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la
coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande
aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines
du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et
par le roi Louis XIV, qui avaiwwt en ce temps-là grand besoin
d’énergie pour son industrie naissante.
Il
fut suggéré de transporter le précieux minerai par voie d’eau,
la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de
Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible
de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le
problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui
dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse
exigeant un saut périlleux.
Lucien
fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable.
Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours
à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur
cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les
rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il
avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et
affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la
contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les
promoteurs de cette aventure en devenir.
Lucien
supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande
barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné
des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se
porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie,
en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut
d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de
l’accompagner dans l’aventure.
Il
fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et
d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles
et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui
venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les
bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les
confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.
Ces
gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant
rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec
leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu
tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de
tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours
aimé ceux qui défient le destin.
Lucien
tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le
passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la
robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le
spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne
manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à
l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un
baiser.
La
demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de
Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu
l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du
danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable
révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à
chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait
qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.
Elle
se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir.
Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la
légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs
reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était
juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle
s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.
Hélas,
elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment.
Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée
de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée
qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un
violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle
chérissait.
Ce
ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et
élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre
Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les
autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient
inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau
devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots
en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée.
Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.
La
pauvre, folle de douleur, se précipita à Vernay. C’est là,
quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une
longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit
l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se
fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité
qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire
fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de
réconfort qu’elle pouvait leur accorder.
De
ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle,
terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui
pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension,
font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans
honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un
point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si
fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour
des boulets de charbon.
Que
cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de
compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Elle
fut écrite pour les dix ans du Liger Club de Roanne, c’est un
curieux cadeau que voilà. Puissent son président et ses membres en
faire bon usage pour qu’enfin, les gens de cette région,
retrouvent le désir d’aimer la Loire, belle et éternelle en dépit
de tous les tourments et les sacrifices qu’elle a imposés aux
ligériens durant l’histoire.
mercredi 18 juillet 2018
La véritable route de l'étain
Une
enquête du Bonimenteur.
Il
était un temps d'avant notre ère où les hommes, contrairement à
l'image archaïque et guerrière qu'on veut bien nous en donner,
pratiquaient déjà le commerce à travers l'Europe. Au cœur de
l'âge de bronze, la matière première était double, le cuivre et
l'étain. Couler un bon bronze demandait donc un métal qui ne se
trouvait pas en Méditerranée.
C'est
en Cornouailles grande bretonne que l'essentiel du minerai était
exploité. Le chemin était fort long pour aller jusqu'en Grèce,
siège de la civilisation de l'époque. C'était à qui trouverait la
voie la plus pratique pour acheminer le précieux minerai. Une course
de l'airain fut ainsi organisée par nos ancêtres, il y a environ 4
500 ans.
Les
plus fougueux Gaulois se mêlèrent aux Grands Bretons, aux Romains,
Grecs, Phéniciens et quelques inévitables Barbares qui décidèrent
de se lancer dans l'aventure. C'est un petit matin, jour d'équinoxe,
environ deux mille ans avant notre ère que fut donné le départ de
cette course qui allait décider du sort du commerce bronzé.
Les hommes de cette époque, comme ceux d'aujourd'hui, pensaient tous
posséder la science infuse. L'équipe Phénicienne, composée
d'excellents navigateurs opta pour le voyage au long cours. Ils
longèrent les côtes gauloises, firent le tour de la péninsule
ibérique et franchirent le détroit de Gibraltar avant que de se
retrouver dans leur jardin, leur chère mer intérieure. Une belle
ballade marine qu'ils firent en essuyant quelques grains et de
grandes avaries.
Les
Romains, toujours les plus malins, se lancèrent dans une toute autre
direction. Rois de la ligne droite, ils se souciaient peu des
difficultés. Aucun travail ne rebute l'enfant de Rome et rien ne
doit entraver sa volonté. Ils traversèrent bien vite la Manche en
se promettant d'y revenir bientôt. Puis, ils prirent la route à
travers la campagne pour rejoindre Phocéa, le lieu d'arrivée. Il y
avait sur leur route des régions bien inhospitalières et tout
Romains qu'ils étaient, durent s'avouer vaincus devant les Arvernes.
Les
Grecs, toujours rusés, pensèrent qu'il était possible de rejoindre
la Seine. Les circonvolutions de ce fleuve ne les effrayaient pas.
Ils connurent pourtant mille maux pour avancer sur ce fleuve, qui ne
cessait de tourner, rendant la navigation à la voile impossible. Ils
perdirent aussi beaucoup de temps en s'offrant une halte touristique
à Lutèce. Puis il leur fallut regagner la Saône en coupant par
Vix. Ils avaient présagé de leurs forces et durent s'avouer
vaincus. D'autres étaient passés avant eux.
Les
Barbares optèrent pour la voie terrestre. D'eux, malheureusement,
nous perdîmes bien vite toute trace. Rester soudés en équipe était
déjà une aventure pour eux. Accepter une traversée pacifique de
contrées inconnues fut au-dessus de leurs forces. Quelques
exactions, des conflits intestins, de belles ripailles les laissèrent
en rade. Jamais on ne revit cette vaillante équipe. Il se murmure
qu'ils élurent domicile en Armorique ce qui explique le caractère
des gens de ce pays.
L'équipe
Ibérique prit l'option grand sud. Elle plongea jusqu'à l'estuaire
de la Garonne. Elle remonta le fleuve avant que de s'offrir une
traversée complexe entre Toulouse et Narbonne avant que de reprendre
la mer pour arriver au port. L'idée n'était pas mauvaise même si
la partie terrestre fut bien rude. Ce n'était pas une hérésie de
passer si bas mais eux aussi trouvèrent sur leur chemin un vent
d'autan qui leur coûta la victoire.
Car
voyez-vous, ceux qui sortirent vainqueurs de cette course de l'étain
furent nos valeureux gaulois de la tribu Liger. Ils firent bien vite
le tour de la Bretagne petite avant que de retrouver l'estuaire de la
Loire. En ces temps heureux, le vent de Galerne soufflait avec
vigueur. Il poussa l'embarcation de nos héros jusqu'aux confins du
pays Carnute. Puis ils tirèrent leur bateau pour rejoindre le pays
des Éduens. Ils eurent à franchir le seuil de Tarare par voie
terrestre de Balbigny à Anse, 57 km pour rejoindre la Saône. De là
ils prirent le Rhône et arrivèrent bons premiers à Phocéa.
Comprenez que cette histoire resta secrète !
C'est
la route qui à l'époque et pour longtemps encore fut choisie pour
conduire le cuivre et l'étain vers la Méditerranée. Dans l'autre
sens, les hommes qui n'aiment rien moins que de faire des voyages à
vide, transportèrent des épices et des étoffes, bientôt des vins
et parfois des soldats. La route de l'étain était ouverte et toutes
les autres ne sont que des itinéraires perdants, des voies de
seconde zone. Il n'est pas à en démordre, c'est la vérité vraie,
vous pouvez m'en croire puisqu'elle passe par la Loire.
Étameurement vôtre.
Illustration
Le Trésor de Neuvy en Sullias
mardi 17 juillet 2018
Le chêne de la Rouline.
Un
petit goût de silex
Il
était une fois une jeune et belle servante qui s’était louée
pour travailler chez des maîtres, vignerons opulents, installés
entre Bué et Menetou Ratel, près de Sancerre, là sans doute où
l’on fait le meilleur des vins blancs de Loire. La Rouline, tel
était son sobriquet, était vaillante en diable pour les travaux des
vignes comme pour ceux de la maison.
Mais
c’est surtout dans le secret de l’alcôve qu’elle mettait le
plus de cœur à l’ouvrage, en comblant de mille et une caresses,
le fils du domaine, un solide galopin qui avait trouvé tout son
contentement avec cette sacrée luronne. C'eût été le bonheur
parfait si, par malheur, le ventre de la pauvrette ne s'était mis à
gonfler.
Nous
étions juste au sortir des effroyables événements de l’année de
peu de grâce, 1572. À partir du 3 janvier, les habitants de
Sancerre,ville perchée sur son piton rocheux qui domine la Loire,
résistèrent vaillamment, à l'initiative de leur maire,au siège
des troupes catholiques. Ce bastion huguenot était peuplé de
Berrichons, gaillards réputés tout autant pour leur bravoure que
leur obstination. « Plus têtu qu’un âne », dit-on des
gens de ce beau pays ; et l’on a bien raison.
L’affaire
pourtant tourna au drame en dépit de l'incontestable détermination
des assiégés. On évoque encore, dans les livres d’histoire, la
journée du 19 mars ; quand la troupe, sous les ordres du Comte
de la Châtre, avait établi une brèche dans les remparts. C’était
sans compter sur l’adresse diabolique des vignerons protestants,
réfugiés derrière les remparts et qui, avec leurs frondes,
taillèrent en pièce la soldatesque. Depuis ce jour, on évoque avec
admiration les arquebuses de Sancerre qui n’étaient que frondes
lançant des cailloux.
Hélas,
le 19 août, la ville avait été réduite à la capitulation par
les affres de la privation et de la famine. Le maire, instigateur de
la résistance, Guillaume le Bailli-Johanneau, fut jeté vivant dans
un puits. Il n’est pire trépas pour un Sancerrois. Il aurait sans
aucun doute préféré périr noyé dans un foudre de vin de pays.
Mais, revenons à notre histoire, qui, elle aussi, fit couler
beaucoup de salive.
La
grande ferme vigneronne faisait face au Carroy de Marloup. C’est là
que, disait-on dans la contrée, à minuit, les soirs de pleine Lune,
tous les sorciers et les birettes du Berry se réunissaient pour leur
grand Sabbat. C’est sans aucun doute par une nuit de Sabbat que
Jean, le fils de la maison, engrossa la pauvre Rouline ; il ne
pouvait en être autrement.
La
pauvrette cacha son forfait aussi longtemps qu’elle le put,
travaillant en dépit des nausées et de la fatigue, jusqu’au jour
où son état ne laissa aucun doute dans l’esprit du maître.
L’homme, un catholique sévère, la chassa dans l’instant, sans
même chercher à comprendre quel était l’auteur de la chose.
Jean, pleutre, et redoutant surtout la colère paternelle, se garda
bien d’avouer sa responsabilité.
La
Rouline n’avait plus qu’à faire son baluchon et quitter dans
l’instant cet emploi. Elle était déshonorée et portait son
péché de manière si visible que tout le pays en était informé.
Pour elle, l’avenir était bien sombre : elle serait
fille-mère : la risée des bigotes et des notables. Personne ne
l'emploierait dorénavant.
Elle en était à se lamenter quand elle fut rattrapée par le sort,
lui qui ne l’avait jamais favorisée . Le vigneron constata la
disparition de chandeliers d’argent qui trônaient habituellement
sur la maie de la grande pièce de vie. Dans son esprit, comme dans
celui des juges, ce larcin ne pouvait être que le fait de la
pauvrette, pour se venger ou bien tenter de subvenir à ses futurs
besoins.
L’enquête
fut rondement menée. Le pouvoir royal, qui retrouvait sa légitimité
en ce territoire, profita de l’aubaine pour démontrer son autorité
et sa sévérité. Bien que les pièces à conviction ne fussent pas
retrouvées et, en dépit des dénégations incessantes de la
Rouline, la sentence tomba, impitoyable : la pendaison.
La
justice cependant avait quelque humanité. La Rouline portait un
enfant. Il lui fut accordé un délai avant son exécution pour aller
jusqu’au terme de sa faute. Imaginez les tourments de la future
mère : à l’inconfort de la geôle s’ajoutaient les
cauchemars suscités par sa fin prochaine et le désespoir de ne
jamais voir grandir son enfant. On ne peut imaginer parturiente plus
en souffrance que cette pauvrette.
Quand
les douleurs la prirent, elle savait que sa fin était proche. La
justice de l’époque ne s’embarrassait pas de considérations
humanitaires. La justice divine non plus, car l’enfant était mort-
né. Voilà qui résolvait également le sort de ce pauvre petit
ange. Sans lui laisser le temps de revenir de ses couches, le
bourreau vint s’emparer de la Rouline pour faire un office qui
n’avait que trop tardé.
On
conduisit la malheureuse sous un énorme chêne. Celui-ci faisait
l’admiration de tous, tant il était beau, haut, puissant. C’est
sous cet arbre qu’une corde fut accrochée pour que la justice
puisse passer. Devant une foule silencieuse, la Rouline rendit son
dernier souffle. On se signa, certains crachèrent sur le sol et
d’autres dirent d’étranges malédictions. La nuit qui approchait
serait celle de la pleine Lune ; il y avait de quoi s’inquiéter
dans ce coin du Berry où les superstitions font florès.
Est-ce
le cri du loup cette nuit-là sur les hauteurs de Bué, la crainte du
Sabbat ou bien le remords et la culpabilité qui poussèrent le
responsable de ce drame à venir sous le chêne à la minuit ? Nul ne
le saura jamais. Jean portait son fardeau, sa lourde conscience et le
poids, à la fois du péché de chair, de sa lâcheté et de ses
mensonges, car, abjection effroyable, c’est lui qui avait dérobé
les chandeliers pour que la Rouline fût accusée. Il pensait ainsi
se mettre à l’abri de tout aveu en ce qui concernait la rondeur
du ventre de la servante de son père.
C’est
un garçon totalement désemparé, détruit et plein de repentance
qui s’agenouilla sous l’arbre pour demander pardon au maître des
cieux. Une chouette s’envola du chêne ; il en fut effrayé.
Mais pire encore, il sentit une présence derrière son dos :
une main se posa sur son épaule, une main vieille, ridée, puissante
aux ongles terrifiants.
Jean
était incapable de se retourner. Il venait de faire sous lui ;
il était totalement décomposé. La mystérieuse présence s’exprima
une autre fois. De son autre main, elle tendit, devant les yeux du
larron, une corde en chanvre. Un nœud coulant y avait été préparé.
Jean n’eut pas besoin d’autres explications, il se leva et
réalisa ce qu’on lui enjoignait de faire. Il rejoignit La Rouline,
à l’heure où habituellement, il jouissait d’elle...
Quand
ses pieds cessèrent de s’agiter, le bruit d’une cordelette qui
fend l’air se fit entendre. Puis un sifflement le remplaça, bref
et soudain. Un choc s’en suivit et la tête du pendu reçut une
pierre. Au loin, une ombre s’enfuyait ; elle avait à la main
une fronde. Elle disparut dans la nuit, s’envola ou bien se dissipa
dans un rire sardonique.
Au
loin, les douze coups de la minuit sonnèrent. Les sorciers et les
birettes se regroupèrent alors et firent une folle farandole autour
du chêne et de ce corps qui se balançait sous leurs yeux. De cette
nuit-là, l’arbre cessa de croître. Il s’étiola au fil des
années, se transformant progressivement un vieux tronc stérile et
creux. Le souvenir de cette nuit de sinistre mémoire disparut dans
la région et seul, l’étrange nom de Châgne à la Rouline
persista jusqu’à nous.
Certains
prétendront que ce récit est né d’un abus de vin blanc. Laissons
parler les mauvaises langues ; c’est la jalousie ou
l’ignorance qui les fait agir ainsi. Reconnaissons cependant que,
si ce blanc d’ici est d'une telle délicatesse, il la doit à son
terroir rempli de silex, ceux-là même qui étaient projetés dans
les frondes de Sancerre.
Frondement
vôtre.
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