Brébos,
mon ami …
Il
était une fois un couple de brébos qui élut domicile sur les bords
de la Loire. Autrefois en pays de Nièvre, on appelait l'animal
bièvre avant qu'il ne se fasse castor en arrivant au port. Nos deux
jeunes végétariens avaient été invités à reconquérir, en
compagnie de quelques congénères, un espace que leur aïeux avaient
dû fuir sous l'action malveillante des braconniers d'alors et des
amateurs de fourrure de tous poils.
Notre
couple s'installa sur une boucle du fleuve. Entourés de saules et de
peupliers, les deux amoureux avaient choisi un endroit bien commode
avec un bras de Loire étroit et une île arborée, des conditions
parfaites pour mettre au monde quelques solides enfants. Les deux
castors se mirent à la tâche sans remord pour se faire un peu les
dents en ce nouveau cadre de vie.
Ils
s'attaquèrent à quelques tendres végétaux qui poussaient non loin
de là. De jeunes arbres fruitiers qui avaient trouvé dans le val
des conditions parfaites pour croître et fructifier en paix. La
réaction de l'arboriculteur fut terrible. Il éleva des
protestations véhémentes, entoura chaque arbre de protections
métalliques et mit même, contre toutes les règles en vigueur, des
pièges, pour mettre un terme à ce prélèvement inacceptable.
Nos
castors reconnurent leurs torts. Ils devaient se consacrer aux seuls
arbres du fleuve. L'homme ne supporte guère qu'on vienne lui prendre
le pain dans la bouche. Il est peu « partageux » et use
souvent d'expédients fâcheux. Désormais, il faudrait se méfier de
ces mauvais coucheurs, la propriété privée est chose sacrée pour
ceux qui vont sur leurs deux pattes arrières !
Leur
seconde expérience les conduira à édifier un magnifique terrier.
Ils avaient mis tout leur cœur à ce joli labeur. Il leur semblait
ainsi ne pas entraver les activités humaines. Ils se trompaient une
fois encore. Il y avait là un pêcheur local qui prétendait
posséder ce littoral. Il avait droit de poser nasses et engins pour
attraper brochets et carpins. Il détruisit le terrier qui ne lui
avait rien fait. Il ne faut pas chatouiller celui qui a payé un
octroi.
Les
castors trouvèrent l'aventure un peu amère. Voilà maintenant qu'il
ne fallait pas faire de l'ombre aux braconniers d'aujourd'hui. Ils se
dirent que le fleuve était parfois très mal fréquenté, il fallait
revenir aux fondamentaux de l'espèce, pour ne plus encourir le
courroux des jaloux.
Ils
s'attelèrent immédiatement à la construction d'un barrage. Voilà
un édifice qui fit la gloire de tous les leurs. Ils ne rechignèrent
pas au travail et firent tant et si bien qu'ils barrèrent un petit
bras de Loire. Mais voilà qu'une fois encore, ils commirent une
maladresse. Le passage était emprunté par des hommes en canoë.
L'obstacle les contrariait au delà du supportable, il leur imposait
détour compliqué. Le barrage fut mis à bas par une armée de bras.
Les
castors étaient colère. Le fleuve est devenu surtout un lieu de
loisir. Celui qui travaille ne doit pas y gêner celui qui s'amuse.
Nos amis s'éloignèrent encore plus loin. Ils partirent la queue
basse, se promettant de bien y regarder avant que de tenter nouvelle
aventure.
Pour
accueillir les enfants qui étaient en route, les deux amants se
décidèrent pourtant, à bâtir une hutte pour leur offrir un point
de chute. Ils firent bel et grand ouvrage, une cabane tout confort
avec vue sur la Loire. Des portes dérobées, des chambres éclairées,
de l'espace et des commodités. Ils avaient pris grand soin de
choisir un endroit discret à l'écart du passage. Cette fois, à
n'en point douter, ils auraient enfin la paix.
Hélas,
rien n'est désormais plus comme avant. Notre monde est sous
l'emprise des règles administratives. Un indélicat voisin, sans
doute un ragondin, mauvais coucheur et sacré délateur fit une
lettre traitresse pour avertir la mairesse du village voisin, qu'un
bâtiment avait été dressé sans permis officiel. Pire encore, les
castors qui n'étaient pas d'ici (le ragondin peut bien faire le
malin lui qui est venu d'encore plus loin), ignoraient sans doute
qu'ils avaient mis leur maison en terre d'inondation !
De
zélés contrôleurs vinrent s'enquérir de la véracité de la
lettre du corbeau des eaux. Ils constatèrent le délit et exigèrent
la destruction immédiate de cette maison sauvage. Les Castors
serrèrent les dents, firent profil bas et partirent une fois encore
loin de tous ces tracas. Ils comprirent qu'ils n'y avait pas de place
pour eux dans ce pays hargneux. Nos castors dépités choisirent la
clandestinité. Ils vivent désormais la nuit à l'abri des regards
de ces vilaines gens.
Depuis
cette aventure, vous pouvez arpenter le fleuve, si vous voyez de
nombreuses traces de leur présence, bien rares sont les castors qui
se montreront à vous. Ne leur en tenez pas rigueur, depuis ces
quelques malheurs, ils savent désormais qu'il est préférable de se
faire discrets. De cette bien triste histoire, il ne faut retenir que
la morale de la Loire. Pour vivre heureux, vivons cachés ! Elle vaut
pour le castor comme pour celui qui aspire à vivre à sa façon.
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