Spécial Salon de l'agriculture
Il
était une fois deux fermes voisines sur le Ségala. Les familles y
vivaient en paix, on peut même dire que la concorde et l'amitié
régnaient en maîtresses des lieux. Tout allait bien, du moins en
apparence, car comme souvent, le mal sournois de la jalousie ronge
même les esprits les moins sujets à ce genre de stupide gangrène
sociale.
Revenons
à nos taureaux, car à défaut de moutons, c'est eux qui tiennent la
vedette de cet épisode peu glorieux de la bataille ancestrale du
dominant et du dominé. Pour la famille Coubyr, le taureau depuis des
générations se nommait « Pompon ». Les injonctions
bruxelloises pour identifier tous les animaux agricoles à quatre
pattes n'y faisaient rien. Et même si ce Pompon là était né en
une année en « A », qu'il avait papier officiel et
numéro d'immatriculation sous le patronyme «d'Affreux », il
était Pompon comme tous les autres …
De
l'autre côté du fil barbelé, chez les « Malcou », il y
a avait « Pataud ». Lui aussi était assigné à ce
prénom charmant de père en fils, même si la génétique naturelle,
depuis fort longtemps n'était plus responsable de la succession des
générations dans ces fermes d'élevage du Haut-Ségala. L'autre
était d'une année en « C », plus jeune, bien plus
fougueux que son rival et voisin aveyronnais.
Les
relations taurines eurent dû continuer ainsi comme le firent bien
avant eux les premiers Pompon et Pataud de la longue succession qui
les a précédés. Mais voilà que l'impondérable et les soucis
sécuritaires dans l'élevage moderne ont apporté leur grain de sel.
Pompon quand il était encore chez son éleveur sélectionneur fut
privé de ses cornes. On le devinait agressif et chafouin, il fallait
préserver le futur fermier qui l'aurait en charge !
De
cette terrible ablation, Pompon ne s'était moralement jamais remis,
d'autant plus que l'infâme Pataud, ce jeune paltoquet, en portait
fièrement une belle paire sur la tête, à vous faire damner de
jalousie. Chez les bêtes aussi, les questions d'apparence prennent
des proportions énormes, nous allons bientôt nous en rendre compte
…
Pompon,
manifestement traumatisé, détourna son sentiment de frustration en
une énorme agressivité contre son jeune rival. Leurs relations en
permanence conflictuelles, vinrent sonner le glas de la belle
harmonie historique qui régnait jadis entre les Pompons d'en haut et
les Pataud d'en bas. Les familles Coubyr et Malcou ignoraient alors
tout du changement d'époque qui était en train de se produire ...
Des
regards de travers, des mouvements du sabot, des souffles vengeurs,
des beuglements discourtois furent les premiers signes d'une guerre
larvée. Pompon bénéficiait encore du bénéfice de l'âge et en
profita l'an passé, pour mettre une belle rouste à ce jeune
encorné. Mais la vengeance est un plat qui, chez les taureaux aussi,
se mange froid. Ce qui devait advenir, advint en ces premiers jours
d'août 2012.
À
l'heure où l'éleveur fait rentrer ses bêtes à l'étable pour
nourrir les veaux sous la mère, il manquait trois bêtes à l'appel
… Pompon était des absents, ce qui ne manqua pas de l'alarmer même
si le taureau n'est que de peu d'utilité pour nourrir les veaux, sa
présence tutélaire rassure ses femelles et ses quelques rejetons.
Beaucoup sont hélas les fruits de l'inséminateur, plus régulier
que le brave géniteur …
Le
père Coubyr, les soins aux veaux achevés, entreprit de s'enquérir
des absents. Il ne tarda pas à retrouver ses bêtes et ce qu'il vit
alors lui indiqua en peu de temps la nature du drame qui venait de se
nouer. Les clôtures étaient sens dessus-dessous, le fil électrique
jeté à terre comme un fétu de paille et pire, la solide quadruple
rangées de barbelés totalement arrachée. Il y avait eu bataille
titanesque à n'en point douter !
Pire,
Pompon gisait au sol, mourant ou peu s'en faut. Incapable de la plus
petite réaction, le solide limousin était sur le flanc, vaincu par
son rival, humilié, fauché comme la seconde coupe de foin. Il
n'était plus que l'ombre du fier et arrogant chef de troupeau. Il
n'avait plus qu'à se laisser mourir tant la défaite avait été
cuisante.
Car,
non seulement, l'abominable Pataud lui avait mis une rouste dont on
ne se remet pas au pays des mâles reproducteurs, mais pire encore,
il avait emporté, pour trophée de sa victoire, deux des plus belles
femelles du troupeau. Le forfait dont on ne peut se remettre quand on
a de la dignité et de l'amour propre. Vaincu, passe encore mais cocu
quand on n'a plus de cornes, comment garder la tête haute et revenir
à l'étable ?
Voilà,
vous savez tout ou presque de ce drame bovin. Les relations entre les
deux fermes vont-elles pâtir de ce qui se noua sur la pâture ? Nous
n'en savons rien, pour l'heure, c'est le duel des experts qui va
prendre le devant de la scène. Pompon va fermer les yeux
définitivement, l'euthanasie est sa seule porte de sortie.
Voilà
comment finit la triste histoire d'un taureau à qui l'on a coupé
les cornes. Que les hommes se souviennent qu'il ne faut pas se mêler
de ce que la nature a fait, ils seront alors plus sages ! Il y aura
un autre Pompon, qu'importe la lettre qui sortira du chapeau. C'est
ainsi depuis toujours, il n'y a pas de raison pour que ça change
dans ce petit coin de France !
Tauromachiquement
leur.
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