mercredi 14 février 2018

Le dernier Loup du bas de la rivière



La traque impitoyable.




Il était une fois un pays qui avait pris en détestation un pauvre animal qui ne faisait de mal à personne. Quand dans la contrée, il n'y a plus ni dragon ni monstre, les hommes aiment à se trouver une nouvelle frayeur, une peur commune contre laquelle unir leurs forces à bon compte. C'est ainsi que fut lancée en 813 par le célèbre capitulaire de Villis, édicté par Charlemagne, l'impitoyable chasse aux loups …

Les conteurs se firent eux aussi les bras armés de la tuerie. Le loup héritait toujours du mauvais rôle dans les histoires, s'attaquait aux gentilles chevrettes, aux petites filles égarées ou aux grand-mères pâtissières. Son appétit était réputé redoutable et il n'y avait désormais pire bête dans la contrée. Bientôt, tout le pays se mit en chasse pour traquer l'animal. Pas de quartier ni de pitié : il fallait éliminer l'espèce …

La bataille fut rude mais le loup résista courageusement. Pendant plus de mille longues années, il tint tête à cette horde de lâches, de tueurs honteux, de traqueurs sans pitié. Les lieutenants de louveterie ou louvetiers, gens d'épées et de noblesse ne se privèrent pas d'assouvir leur soif de sang et d'argent, allant jusqu'à lever l'impôt dans les villages quand ils y avaient tué un loup. On a bien du mal à trouver le rapport, mais c'est une manie bien française que de tondre les moutons en prétendant vouloir abattre le loup.

Les bords de Loire où les troupeaux de moutons étaient innombrables à l'époque, n'échappèrent pas non plus à cette terrible aventure. Les bergers avaient sans doute parfois à se plaindre de la disparition d'un animal, c'est alors que le louvetier arrivait pour faire son office et ses bénéfices. Dans la razzia de la chasse à courre subie par les paysans, quelques demoiselles se voyaient, elles aussi, traquées par ces gentilshommes si mal élevés au bénéfice parfois de certains loups chanceux échappés de cet odieux carnage.

Ce n'est hélas pas ce qui en arriva en cet automne 1788 dans ce beau pays angevin. On y avait aperçu un loup qui parcourait, solitaire, les rives de la Loire. L'animal, méfiant, recherchait les bosquets et les forêts profondes, prenant bien garde de ne jamais se risquer en terrain découvert. Bien rares étaient ceux et celles qui pouvaient crier au loup tant il était difficile d'en voir, ne serait-ce que la queue !

Il suffit pourtant d'une paire d'yeux braquée sur lui pour ameuter toute la canaille à l'épée. Il y avait réputation à se faire et belle aventure pour quelques jours. Bientôt la campagne fut battue par des cadets en mal de conquête, des nobliaux en manque de crédit, des aventuriers à la petite semaine et la province vécut ce temps sous la coupe réglée de pique-assiettes insatiables.

Le loup courait toujours car ses pisteurs étaient plus souvent à table qu'à sa poursuite. Il faut avouer que chasser le fauve vous donne une faim digne de la proie et en la matière, cette bande s'entendait fort bien à se montrer à la hauteur d'une réputation bien usurpée pour le bel animal. La chasse traînait en longueur et c'est ainsi qu'il fallut, de guerre lasse, faire appel au lieutenant de la louveterie en personne.

Cette fois, l'affaire était mal engagée pour ces pauvres Ligériens qui n'avaient rien demandé à personne. Ils savaient ce qu'il allait leur en coûter. Une lourde taxe pour financer une aimable plaisanterie, des gens d'armes à loger et à nourrir et bien des soucis pour les pères ayant de jeunes et jolies filles à marier. Certains, excédés par cette perspective intolérable, affirmaient à qui voulait bien les écouter que bientôt le vent de la révolte soufflerait dans le pays. Est-ce cette traque au loup qui en fut la cause ? Nul ne saura le dire avec certitude.

Toujours est-il que l'hiver ayant été plus rude qu'aucun autre de mémoire humaine, les nouveaux sacrifices firent monter l'exaspération et le mécontentement dans tout le pays. Ce n'est certes pas la fin de l'histoire qui calma les ardeurs révolutionnaires des pauvres gueux qui bientôt prendraient leur destin en main.


Quand le lieutenant de la louveterie arriva, on devina que l'homme allait s'installer pour longtemps. Venu avec force bagages, il réclama une demeure confortable afin d'y loger sa grande suite. Pour chasser le loup, il faut s'entourer de belles dames et de valets de pied, chacun conviendra de ces nécessités. Mais rester à table ne semble pas très utile à la mission qui était la sienne, pas besoin d'être instruit pour comprendre cette évidence.

Le loup pouvait dormir sur ses deux oreilles, il ne risquait pas grand chose de ce noble prétentieux et dispendieux. Cependant la colère montait en Anjou et les paysans du coin, dans l'espoir de se débarrasser de ce triste personnage en ayant la peau de l'animal, se mirent à le traquer. Mais la chose vint aux oreilles de l'officier royal qui piqué au vif, monta immédiatement en selle.

Le louvetier à grand tapage, organisa une battue pour circonscrire la bête en une clairière à ses yeux parfaite pour l'abattre sans risque de fuite. Il avait réquisitionné tous ceux qui portaient sabots, leur faisant perdre une journée de travail alors que nous étions au cœur de la période des vendanges.

Vous pouvez imaginer la colère de ceux qu'on sortait de leurs vignes pour aller tirer les oreilles d'un loup qui n'avait jamais mangé la plus petite grappe de raisin. Mais bon, il y avait là moyen de finir le travail et de voir partir cet indigne personnage. Contre mauvaise fortune, bon cœur, les vignerons œuvrèrent si bien que l'animal fut bientôt aux abois.

Pourchassé par la meute du louvetier, pris au piège, encerclé et mené là où des mousquets étaient pointés sur lui, il n'avait plus de possibilité de se sauver. Nous étions en pays Berlot, derrière la clairière, la falaise plongeait vers la Loire en contrebas. Nul n'avait songé que notre loup , en désespoir de cause, aurait eu la folie de se lancer dans le vide.

C'est pourtant ce que fit le fier animal. Il s'y jeta et après une chute qui parut interminable, disparut dans les eaux sombres de la rivière. Chacun crut alors que sa dernière heure avait sonné. Le lieutenant était fort contrarié d'avoir ainsi laissé filer une dépouille qui lui aurait rapporté une belle bourse pleine quand soudain un des soldats du roi hurla que la loup nageait au milieu des flots.

Il y a parfois de la chance pour la canaille. Mon histoire ne se terminera pas de manière heureuse. Sur la Loire à ce moment- là, passait la Patache, le bateau des affreux gabelous. Le lieutenant envoya un cavalier pour intercepter ses collègues en grivèlerie. Quelques minutes plus tard, il embarquait sur le bateau pour filer à la poursuite du pauvre loup.

Contre le courant et ses poursuivants, le fier animal n'avait plus aucune chance. Il tomba sous les coups de bourde de l'équipage et sa dépouille se trouva embarquée sur ce bateau si détesté. Qu'en la circonstance, le fait que deux des institutions honnies du peuple se fussent donné la main pour commettre cette tuerie facile, avait indigné tous ceux qui assistèrent à cet évènement.

Il se dit que quelques témoins furent si marqués par cette journée que certains d'entre eux prirent une part importante lors des années chaudes qui suivirent notre histoire. Quelques têtes tombèrent parmi les nobles angevins. Ceux qui se comportèrent comme des loups en ces sombres journées avaient une bonne raison de le faire aussi . Ainsi lançaient-ils une poignée de sel et quelques jurons obscènes lorsqu'ils jetaient leurs victimes dans la Loire.

Si la violence n'est en rien justifiable, il se peut parfois que des comportement anciens soient payés au prix fort quand le désespoir et la honte, la colère et la vengeance finissent par ne plus être contenus. Que chacun retienne cet avertissement : on ne peut indifféremment crier au loup. Un jour au l'autre, la morsure finit toujours par advenir.

Louvement sien.


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