Le
commerce de la crédulité.
Nous
sommes au XVII° siècle en notre bonne ville d'Orléans. La
confrérie des marchands naviguant sur la Loire et les rivières
allant à icelle, est à son apogée. La cité johannique est la
plaque tournante du trafic des marchandises pour le royaume de
France. La prospérité pour quelques-uns, beaucoup de travail pour
les autres : la répartition habituelle dans les sociétés
opulentes.
L'esprit
est au négoce, à l'industrie et à l'initiative pourvu qu'elle soit
fructueuse. Les quais grouillent d'agitation ; on négocie, on
échange, on vend, on se vend. Ce sont les dernières années
glorieuses ; bientôt, la révolution industrielle changera la donne
mais pour l'heure, les esprits sont tous tournés vers le négoce.
Les
Carmes déchaux, une noble institution monacale ayant couvent sur
rue, n'échappe pas à cette effervescence locale. Pour être
religieux, nos braves moines n'en sont pas moins des hommes soucieux
des biens terrestres tout autant que de leur salut céleste. Ils sont
gagnés eux aussi par la fièvre affairiste régnant sur une ville
qui profite à plein régime du commerce triangulaire.
Sous
une robe de bure, la macération du célibat peut parfois provoquer
quelques étincelles. Un moine anonyme échafauda un plan
machiavélique pour apporter des revenus à sa confrérie. C'est sans
doute l'image du triangle qui le guida vers le montage d'une
combinaison peu glorieuse mais fort juteuse. Nous allons vous la
narrer ici.
L'époque
est rude pour celles qui veulent se marier. La dot impose bien des
privations ; le choix de l'époux relève plus de la relation
d'affaires que de l'histoire de cœur, du moins dans la petite et la
grande bourgeoisie. Pour bien des jeunes filles, le couvent sera bien
souvent le point de chute après des déboires et des déceptions.
Notre
bon moine, averti lui-même des dégâts de la macération intime, se
dit qu'il y a là gisement financier inexploité. Puisque l'époque
est aux grandes explorations, lui, va investir les chemins tors de
l'âme humaine. Il sera le marieur du Christ. Une ambition sans
limite, un joli coup financier, un belle arnaque ; chacun jugera de
la chose selon sa grille de lecture personnelle.
Notre
Seigneur qui est aux cieux est un parti qui peut toucher le cœur de
nombreuses femmes, confites en religion, faute d'avoir trouvé un
époux quand elles étaient encore attirantes. Ces dames ont des
biens ; elles ne savent même plus qu'en faire, n'ayant pas
beaucoup de raisons de dépenser sans compter. Le denier du culte ne
suffisant plus ; il faut leur offrir un produit plus attractif.
Aidé
par quelques collègues versés sur les contrats en tout genre, notre
entrepreneur se lance alors dans la création d'une agence
matrimoniale céleste. La belle idée que voilà ! Jésus en son
royaume n'émettra certainement aucune plainte ; il se laissera
marier sans rien dire. Ce sont les biens terrestres qui préoccupent
les Carmes.
L'abbé Pataud qui n'était pas si maladroit, a exhumé les contrats
que ces maudits moines avaient mis au point pour aspirer l'argent des
naïves et des dévotes célibataires. Que ceux qui refusent de se
rendre à l'évidence passent leur chemin ; la vérité est
parfois très rude quand elle dévoile les tréfonds de la conscience
humaine. Je vais vous livrer ici les termes exacts de cet échange de
contrat.
La
dame en mal de mari recevait à sa demande un engagement qui était
de nature à lui faire perdre la tête. Jugez-en vous-même ! «
Je, Jésus, fils de Dieu vivant, époux des âmes fidèles, prends ma
fille Germaine Démarais pour mon épouse. Je lui promets de ne
jamais l'abandonner et je lui promets fidélité ... ». Il y
avait de quoi se pâmer, n'est-ce pas, tout en espérant très fort
sa place à la droite de son futur époux au paradis !
La
pauvrette avait cependant une petite obligation à remplir avant que
de découvrir enfin le septième ciel. Une telle perspective mérite
bien un sacrifice ; elles furent nombreuses à céder aux chants
de ces étranges sirènes célestes. À son tour, la future épouse
devait envoyer une missive à son cher Jésus : « Je, Germaine
Démarais, indigne servante de Jésus, prends Jésus comme époux et
lui promets fidélité … en foi de quoi, j'ai signé de ma propre
main ce contrat irrévocable en présence de la très Sainte Trinité.
Je m'engage par la présente à verser une dot à l'indigne
secrétaire mandataire de Jésus et à toute sa cour céleste qui la
lui fera parvenir en temps voulu. »
Ainsi,
les Carmes d'Orléans se firent fort de marier Jésus à tour de bras
et de contrats frauduleux. L'affaire était juteuse et si bien menée,
que les dames victimes de cette supercherie n'avaient plus que les
yeux pour pleurer. Nous pouvons rire de la farce ; il n'est pas
certain cependant que pareilles duperies n'aient pas cours de nos
jours. Nul n'est jamais à l'abri des esprits vénaux ; il y a
même des maladies qui s'attrapent ainsi !
Notarialement
leur
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