vendredi 9 février 2018

Mes contes à la sauvette


À Saint Berdolin sur Loire en Ligérie 
 

Celle qui tient les clefs de la Ligérie a été formelle : le patrimoine culturel local ne peut être défendu que par de joyeux lurons en goguette qui auront désormais la charge d’animer toutes les animations officielles. Il est certain que dès que je vois surgir le terme « officiel » je sors de mes gonds et je grince des dents. Rien n’est plus suspect à mes yeux que la labellisation et l’adoubement venant d’un pouvoir quelconque. Mais quand celui-ci confond Culture et Événementiel, on peut être certain que le pire est envisageable pour ce patrimoine qui devrait se plier aux attentes d’une communication, héritière de la propagande d’antan.

Je n’ai donc pas à m’inscrire dans ce processus de sanctuarisation d’une saga marinière qui est destinée à dorer la pilule, à figer le passé dans une glorieuse représentation, inscrite dans une courte séquence chronologique, où tout était beau, tout le monde heureux et riche comme les Marchands de l’endroit. Le rouleau compresseur fonctionnait déjà à plein régime avec des petites vidéos qui assuraient la promotion d’un commerçant, digne héritier de la communauté tout en narrant une histoire digne des contes de fées. La dernière pierre à l’édifice ne me laisse donc plus la moindre place tout en me faisant cruellement déchanter ; les gueux, les humbles, les petits métiers miséreux, les légendes d’avant, la christianisation n’ont pas place dans la catéchèse municipale.

À Saint Berdolin sur Loire on fabrique un passé légendaire, on le construit de toutes pièces pour compenser la disparition du Château et des murailles de la glorieuse cité. Les touristes ont d’ailleurs autant de mal à se convaincre de coucher l’endroit dans leur programme que les cars à se garer à proximité de la Loire. Ce n’est pas en leur agitant du factice que l’opération séduction fonctionnera mieux.

Laissons ces vaines querelles, les dés en sont jetés et les ponts sont coupés sur la rivière entre les échevins et le conteur. C’est pourquoi je n’ai plus qu’à vous convier à mes contes à la sauvette, petits rendez-vous hebdomadaires pour laisser filtrer une autre musique dans ce concert formaté. Un acte de rébellion dans la cité des interdits et des arrêtés liberticides, ça ne peut que faire du bien et donner un petit vent de liberté là où elle manque cruellement.

Vais-je ainsi pouvoir me faire entendre ? Rien n’est moins sûr. Les escouades policières veillent à la tranquillité des quais. Il n’est d’ailleurs qu’à voir la propreté du pierré pour se rendre compte de l’efficacité des rondes automobiles sur la voie piétonne. Je ferai en sorte de libérer l’espace d’entre les deux ponts, définitivement chasse gardée de quelques coquins en odeur de sainteté, pour ne pas recevoir les foudres de la maréchaussée ligérienne.

Un rendez-vous discret, quelques histoires à la sauvette feront peut-être le bonheur de promeneurs ou bien de cyclistes de la Loire en vélo, certainement fort marris de découvrir le peu de cas qui est fait en la place à leur passage en grand nombre. Ceux qui auront la chance de passer au bon moment garderont ainsi un petit souvenir de cette étrange localité. Je ne vais tout de même pas pousser le bouchon jusqu’à donner l’adresse du restaurant officiel ou bien un CD de la chorale municipale. D’autres s’en chargeront dans les médias.

La culture est à l’abandon, non pas qu’il n’y ait pas quelqu’un de compétent à ce poste à Saint Berdolin mais parce que sa voix ne compte plus, qu’elle est systématiquement écartée des choix qui relèveraient de sa délégation. C’est ainsi que le clinquant boute le conséquent des propositions pour mieux communiquer sans se soucier jamais du fond.

Mes contes à la sauvette seront donc une réponse homéopathique au remède de cheval qui est administré dans la cité pour faire de la Loire un miroir aux alouettes. Je ne peux que faire ainsi, faute de plaire à ceux qui n’ont rien compris à ce qu’était l’esprit guêpin, celui qui fit autrefois de l’endroit un lieu d’irrévérence et de culture, même si je m’emploie avec une constance suicidaire à leur en donner la preuve. À bientôt au hasard de mes rendez-vous sous le manteau.

Résistancement leur.

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