À
Saint Berdolin sur Loire en Ligérie
Celle
qui tient les clefs de la Ligérie a été formelle : le patrimoine
culturel local ne peut être défendu que par de joyeux lurons en
goguette qui auront désormais la charge d’animer toutes les
animations officielles. Il est certain que dès que je vois surgir le
terme « officiel » je sors de mes gonds et je grince des
dents. Rien n’est plus suspect à mes yeux que la labellisation et
l’adoubement venant d’un pouvoir quelconque. Mais quand celui-ci
confond Culture et Événementiel, on peut être certain que le pire
est envisageable pour ce patrimoine qui devrait se plier aux attentes
d’une communication, héritière de la propagande d’antan.
Je
n’ai donc pas à m’inscrire dans ce processus de sanctuarisation
d’une saga marinière qui est destinée à dorer la pilule, à
figer le passé dans une glorieuse représentation, inscrite dans une
courte séquence chronologique, où tout était beau, tout le monde
heureux et riche comme les Marchands de l’endroit. Le rouleau
compresseur fonctionnait déjà à plein régime avec des petites
vidéos qui assuraient la promotion d’un commerçant, digne
héritier de la communauté tout en narrant une histoire digne des
contes de fées. La dernière pierre à l’édifice ne me laisse
donc plus la moindre place tout en me faisant cruellement déchanter
; les gueux, les humbles, les petits métiers miséreux, les légendes
d’avant, la christianisation n’ont pas place dans la catéchèse
municipale.
À
Saint Berdolin sur Loire on fabrique un passé légendaire, on le
construit de toutes pièces pour compenser la disparition du Château
et des murailles de la glorieuse cité. Les touristes ont d’ailleurs
autant de mal à se convaincre de coucher l’endroit dans leur
programme que les cars à se garer à proximité de la Loire. Ce
n’est pas en leur agitant du factice que l’opération séduction
fonctionnera mieux.
Laissons
ces vaines querelles, les dés en sont jetés et les ponts sont
coupés sur la rivière entre les échevins et le conteur. C’est
pourquoi je n’ai plus qu’à vous convier à mes contes à la
sauvette, petits rendez-vous hebdomadaires pour laisser filtrer une
autre musique dans ce concert formaté. Un acte de rébellion dans la
cité des interdits et des arrêtés liberticides, ça ne peut que
faire du bien et donner un petit vent de liberté là où elle manque
cruellement.
Vais-je
ainsi pouvoir me faire entendre ? Rien n’est moins sûr. Les
escouades policières veillent à la tranquillité des quais. Il
n’est d’ailleurs qu’à voir la propreté du pierré pour se
rendre compte de l’efficacité des rondes automobiles sur la voie
piétonne. Je ferai en sorte de libérer l’espace d’entre les
deux ponts, définitivement chasse gardée de quelques coquins en
odeur de sainteté, pour ne pas recevoir les foudres de la
maréchaussée ligérienne.
Un
rendez-vous discret, quelques histoires à la sauvette feront
peut-être le bonheur de promeneurs ou bien de cyclistes de la Loire
en vélo, certainement fort marris de découvrir le peu de cas qui
est fait en la place à leur passage en grand nombre. Ceux qui auront
la chance de passer au bon moment garderont ainsi un petit souvenir
de cette étrange localité. Je ne vais tout de même pas pousser le
bouchon jusqu’à donner l’adresse du restaurant officiel ou bien
un CD de la chorale municipale. D’autres s’en chargeront dans les
médias.
La
culture est à l’abandon, non pas qu’il n’y ait pas quelqu’un
de compétent à ce poste à Saint Berdolin mais parce que sa voix ne
compte plus, qu’elle est systématiquement écartée des choix qui
relèveraient de sa délégation. C’est ainsi que le clinquant
boute le conséquent des propositions pour mieux communiquer sans se
soucier jamais du fond.
Mes
contes à la sauvette seront donc une réponse homéopathique au
remède de cheval qui est administré dans la cité pour faire de la
Loire un miroir aux alouettes. Je ne peux que faire ainsi, faute de
plaire à ceux qui n’ont rien compris à ce qu’était l’esprit
guêpin, celui qui fit autrefois de l’endroit un lieu d’irrévérence
et de culture, même si je m’emploie avec une constance suicidaire
à leur en donner la preuve. À bientôt au hasard de mes rendez-vous
sous le manteau.
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