jeudi 15 février 2018

Notre dernier Mohican.



L'attelage improbable



Je me souviens de ce jour étrange où dans ce préfabriqué qui nous tenait lieu de classe, des gendarmes nous arrivèrent pour s'enquérir de la fugue de Régis. Nous étions en 1969, l'école buissonnière n'avait pas encore l'immense succès qu'elle remporte aujourd'hui. Dans notre petite ville des bords de Loire, on ne rigolait pas avec cela.

Régis était notre Rebelle. Nous avions un instituteur nouvellement débarqué de son Algérie, si les adultes disaient de lui qu'il était pied noir, nous trouvions tous qu'il avait la main leste ! Régis était l'une de ses cibles préférées. Il n'y voyait pas trop de changement avec la méthode paternelle, bien plus rude encore. Ce jour-là, pour la première fois, le vase avait débordé.

À l'époque, cette fantaisie vous marquait au fer scolaire. Il parti bien vite pour un CET (Collège d'enseignement technique) pour suivre une formation de carreleur. Je vous parle d'un temps où le collège unique n'était pas un dogme absurde. Il fallait mettre la main à la pâte quand on avait le pied à l'étrier !

Il travailla avec son père menuisier, lui s'occupant de tous les travaux de maçonnerie. Avec leurs relations, l'association ne pouvait pas durer bien longtemps. Régis devança l'appel et fit un service de dix-huit mois dans les chasseurs alpins, histoire de prendre un peu de hauteur. D'autres espéraient secrètement que ce fût dans le plomb dans la tête, les gens sont méchants !

Il s'y plut, n'eut jamais de problème avec la discipline militaire mais il craignait d'aliéner sa chère liberté. Il avait le pied léger, il ne pouvait rester en place. Il prit épouse au village, une amie d'enfance qui, il faut l'avouer, avait un sacré caractère. L'aventure tourna court bien rapidement. Régis eut des soupçons de malversations, il quitta une femme qui risquait de gonfler la page des faits-divers.

C'est à Montargis qu'il chercha à se libérer de l'emprise (et de l'entreprise) paternelle. C'est aussi là, au hasard des circonstances de la vie qu'il scella son existence. Un belle chorégraphe Urkrénienne, se trouvait dans l'impossibilité d'obtenir son passeport. Il l'épousa et une histoire d'amour éclot de ce geste noble. Deux filles attestent que l'union du feu-follet et de la ballerine était possible !

Marié, Régis revint à Sully Sur Loire, Irina se mit à faire danser toutes les communes avoisinantes. Il se mit à son compte, se spécialisa dans la rénovation. Mais l'appel du large le prenait à chaque été. Il laissait sa truelle pour se changer les idées durant trois mois. Il prit une baraque à frites sur le camping de Saint Père, proposait aussi des locations de motos et de poney.

Pendant trois ans, ses années sentaient la friture. Il fut alors pris de la passion « cheval ». Il se rappela qu'enfant, son grand-père lui laissait mener l'attelage pour aller au jardin (il était maraîcher). Il passa ses brevets fédéraux et devint maître d'attelage avec le brevet d'état : accompagnateur de tourisme équestre.

Sa vie bascula, son environnement aussi. Il laissa la baraque de frites, installa chez lui un assemblage hétéroclite de cabanes, de boxes, de préfabriqués. Il a vingt chevaux, des calèches, des chars à banc. C'est un vrai capharnaüm, Régis pense qu'il est dans le provisoire, que du jour au lendemain, il pourrait déménager tout ça pour aller s'installer ailleurs. Sur les 6 hectares, les bêtes passent l'année en attendant les trois mois de bonheur.

Tous les étés, vous le trouverez dans le Parc du château. Il est alors flanqué d'une nuée de gamins qui vivent leurs vacances au rythme du bonhomme et des ses chevaux. Ils montent en liberté dans le parc ou sur la plage, ils prennent soin des bêtes pendant que Régis propose des tours de calèche aux gens de passage. Le maçon se fait éducateur bénévole.

C'est là que je retrouvai mon vieux camarade de classe. Malgré le poids des années et surtout de quelques kilos de trop, nous nous reconnûmes immédiatement. Il avait fière allure avec sa veste de cuir, son chapeau tout pareil. Il me fit l'honneur de sa table. Nous nous rendîmes dans son étrange demeure au pas pesant de Jolie Note et de Jylia, deux belles comtoises solides.

J'eus le plaisir de rencontrer « Sa » chorégraphe qui ne manque jamais de se retrouver dans le journal de Gien, l'hebdomadaire de qualité (et oui, ça existe encore) du Giennois et du Sullias. Nous passâmes la soirée à nous remémorer nos souvenirs, le fils du bourrelier (c'est moi) se remplissait les narines dans la sellerie. Nous finîmes la soirée en compagnie d'autres bohèmes : la troupe du Cirque Bidon. Le cheval était leur trait d'union.

Chevaleresquement vôtre. 
 

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