L'attelage
improbable
Je
me souviens de ce jour étrange où dans ce préfabriqué qui nous
tenait lieu de classe, des gendarmes nous arrivèrent pour s'enquérir
de la fugue de Régis. Nous étions en 1969, l'école buissonnière
n'avait pas encore l'immense succès qu'elle remporte aujourd'hui.
Dans notre petite ville des bords de Loire, on ne rigolait pas avec
cela.
Régis
était notre Rebelle. Nous avions un instituteur nouvellement
débarqué de son Algérie, si les adultes disaient de lui qu'il
était pied noir, nous trouvions tous qu'il avait la main leste !
Régis était l'une de ses cibles préférées. Il n'y voyait pas
trop de changement avec la méthode paternelle, bien plus rude
encore. Ce jour-là, pour la première fois, le vase avait débordé.
À
l'époque, cette fantaisie vous marquait au fer scolaire. Il parti
bien vite pour un CET (Collège d'enseignement technique) pour suivre
une formation de carreleur. Je vous parle d'un temps où le collège
unique n'était pas un dogme absurde. Il fallait mettre la main à la
pâte quand on avait le pied à l'étrier !
Il
travailla avec son père menuisier, lui s'occupant de tous les
travaux de maçonnerie. Avec leurs relations, l'association ne
pouvait pas durer bien longtemps. Régis devança l'appel et fit un
service de dix-huit mois dans les chasseurs alpins, histoire de
prendre un peu de hauteur. D'autres espéraient secrètement que ce
fût dans le plomb dans la tête, les gens sont méchants !
Il
s'y plut, n'eut jamais de problème avec la discipline militaire mais
il craignait d'aliéner sa chère liberté. Il avait le pied léger,
il ne pouvait rester en place. Il prit épouse au village, une amie
d'enfance qui, il faut l'avouer, avait un sacré caractère.
L'aventure tourna court bien rapidement. Régis eut des soupçons de
malversations, il quitta une femme qui risquait de gonfler la page
des faits-divers.
C'est
à Montargis qu'il chercha à se libérer de l'emprise (et de
l'entreprise) paternelle. C'est aussi là, au hasard des
circonstances de la vie qu'il scella son existence. Un belle
chorégraphe Urkrénienne, se trouvait dans l'impossibilité
d'obtenir son passeport. Il l'épousa et une histoire d'amour éclot
de ce geste noble. Deux filles attestent que l'union du feu-follet et
de la ballerine était possible !
Marié,
Régis revint à Sully Sur Loire, Irina se mit à faire danser toutes
les communes avoisinantes. Il se mit à son compte, se spécialisa
dans la rénovation. Mais l'appel du large le prenait à chaque été.
Il laissait sa truelle pour se changer les idées durant trois mois.
Il prit une baraque à frites sur le camping de Saint Père,
proposait aussi des locations de motos et de poney.
Pendant
trois ans, ses années sentaient la friture. Il fut alors pris de la
passion « cheval ». Il se rappela qu'enfant, son
grand-père lui laissait mener l'attelage pour aller au jardin (il
était maraîcher). Il passa ses brevets fédéraux et devint maître
d'attelage avec le brevet d'état : accompagnateur de tourisme
équestre.
Sa
vie bascula, son environnement aussi. Il laissa la baraque de frites,
installa chez lui un assemblage hétéroclite de cabanes, de boxes,
de préfabriqués. Il a vingt chevaux, des calèches, des chars à
banc. C'est un vrai capharnaüm, Régis pense qu'il est dans le
provisoire, que du jour au lendemain, il pourrait déménager tout ça
pour aller s'installer ailleurs. Sur les 6 hectares, les bêtes
passent l'année en attendant les trois mois de bonheur.
Tous
les étés, vous le trouverez dans le Parc du château. Il est alors
flanqué d'une nuée de gamins qui vivent leurs vacances au rythme du
bonhomme et des ses chevaux. Ils montent en liberté dans le parc ou
sur la plage, ils prennent soin des bêtes pendant que Régis propose
des tours de calèche aux gens de passage. Le maçon se fait
éducateur bénévole.
C'est
là que je retrouvai mon vieux camarade de classe. Malgré le poids
des années et surtout de quelques kilos de trop, nous nous
reconnûmes immédiatement. Il avait fière allure avec sa veste de
cuir, son chapeau tout pareil. Il me fit l'honneur de sa table. Nous
nous rendîmes dans son étrange demeure au pas pesant de Jolie Note
et de Jylia, deux belles comtoises solides.
J'eus
le plaisir de rencontrer « Sa » chorégraphe qui ne
manque jamais de se retrouver dans le journal de Gien, l'hebdomadaire
de qualité (et oui, ça existe encore) du Giennois et du Sullias.
Nous passâmes la soirée à nous remémorer nos souvenirs, le fils
du bourrelier (c'est moi) se remplissait les narines dans la
sellerie. Nous finîmes la soirée en compagnie d'autres bohèmes :
la troupe du Cirque Bidon. Le cheval était leur trait d'union.
Chevaleresquement
vôtre.
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