Le choix du Roy
Cela
fait bientôt 40 ans que je fréquente ce marché. Il y a encore des
vendeurs qui ont partagé ce parcours en dépit d’un changement de
localisation, heureusement toujours en bord de Loire. C’est
l’occasion de rencontres, de discussions et d’achats de produits
frais et de qualité. J’aime cette ambiance magnifique, ce plaisir
d’un rendez-vous hebdomadaire avec des gens sympathiques.
Oh,
je ne me presse pas dans ses allées à l’heure de la foule, des
queues interminables. J’aime m’y rendre le matin de bonne heure,
quand les derniers étals se chargent de victuailles. Le soleil se
lève sur la Loire, il y a encore du temps pour la discussion et
vous ne risquez pas de vous trouver pris dans un embouteillage
provoqué par deux ou trois chariots en travers du chemin.
C’est
le moment de la pause-café. Beaucoup de marchands aiment à se
retrouver à la buvette de Valérie. Je me mêle à eux ; nous
devisons aimablement autour d’un café aux beaux jours ou d’un
vin chaud quand les frimas s’imposent à nous. Les plaisanteries
fusent ; le forain est taquin, le client bougon et le placier
placide. Chacun joue son rôle avec plaisir ; c’est un jeu qui
se renouvelle sans cesse.
Mes
arrêts sont immuables. Je ne suis pas de ceux qui vont chercher le
meilleur prix. Je préfère établir une relation de confiance, un
lien d’amitié avec mes vendeurs habituels. Je ne fais pas que
passer. J’aime prendre des nouvelles, m’enquérir de la marche
des affaires ou bien de celle de la production. Ils me demandent où
je vais conter ce weekend, comment vont mes enfants ou bien si mes
livres se vendent bien. Nombreux sont ceux d’ailleurs qui en ont
fait l'acquisition.
Je
commence par l’achat d’un pain complet qui me fera la semaine. Un
pain à l’ancienne qui conserve sa saveur et sa texture durant cinq
jours : miracle qui échappe souvent aux productions
standardisées de nos boulangeries spéciales. Je passe toujours voir
mon papy préféré : un sage qui a toujours un mot gentil. Il
propose de merveilleuses confitures réalisées avec amour par son
épouse, des œufs à manger à la coque et des cornichons comme
autrefois. Il a aussi quelques légumes de sa production et parfois
un pigeon ou bien une volaille.
Puis
c’est le cueilleur de champignons. La Sologne est son terrain de
chasse, il y a toujours quelques belles surprises et des valeurs
sûres. L’homme étant prévoyant, il propose aussi des bocaux et
des sachets de champignons déshydratés pour les périodes creuses.
Il dispose d’une armée de ramasseurs et aucune pousse n’échappe
à sa sagacité. En ce moment, les morilles sont à l’honneur à
des prix à faire pâlir les vrais amateurs.
Je
pousse mon voyage gastronomique jusqu’en Berry avec Marie la
Sorcière. Elle est ma plus fervente supportrice et se fait fort de
distribuer mes prospectus partout où elle passe. Au-delà de cette
qualité incomparable, elle a un formidable fromage de chèvre qui me
régale et des produits de son cher Berry qui valent le déplacement.
Nous parlons souvent de ses activités de bienveillance : la
dame ayant en plus un cœur en or.
Toujours
dans le fromage, je vais voir son voisin qui élève avec amour des
vaches dans le respect de leur alimentation. Son fromage est
délicieux, sa crème fraîche si épaisse que la cuillère tient
parfaitement droite en son milieu. L’homme est agréable, discret
et d’humeur toujours égale. Il vient de Coullons, un village où
j’aimais me rendre quand j’étais enfant. Voilà de quoi nous
rapprocher encore !
Puis
il y a Aimée et son foie gras et tous les produits dérivés du
canard gras. Elle est charmante, aime son métier et ses canards
qu’elle sélectionne avec amour. Ses canetons viennent d’une
ferme-élevage de la région d’Angers ; ils sont nourris en
bordure de la forêt de Marchenoir, juste à côté de chênes
truffiers. Les préparations sont succulentes, le produit toujours de
qualité, la dame d’une immense gentillesse. C’est un bonheur que
de faire halte devant son échoppe.
Pour
les légumes, je fais entière confiance à un vrai producteur, pas
un de ces margoulins qui vendent aussi des produits provenant de
Rungis. Sa curiosité le pousse toujours plus à aller vers la
découverte de légumes anciens ; son agriculture est raisonnée.
L’homme ne peut être mauvais, il sort de Saint Cyr et a joué au
rugby. Ses vendeurs sont d’humeur toujours charmante, c’est un
plaisir, d’autant que l’on y trouve vraiment une diversité qui
rend la cuisine distrayante.
Puis
il y a les autres : ceux chez qui je fais une halte
occasionnelle. Ils sont saisonniers comme ce producteur d’asperges
vertes de grande finesse ou cet autre qui ne vient que pour vendre
son cresson. Il y a encore cet autre fromager dont les chèvres
anglo-nubiennes font des bouchons à apéritif qui me poussent à la
consommation excessive de vin blanc.
J’achève
mon tour de gourmandise chez le poissonnier de Sully qui a la bonne
idée de venir de mon village natal. L’homme a un poisson frais et
nulle bataille ne se déroule auprès de son échoppe. Tous les
Celtes ne sont pas comme dans la bande dessinée d’Astérix. À
Ceno, nous savons nous tenir.
J’ai
sans doute oublié des vendeurs, des produits qui ne devraient pas
passer à la trappe. Je ne veux pas lasser le lecteur et c’est à
lui de se faire sa propre opinion en se rendant, à son tour, sur le
marché du quai du Roi. Mais gare à celui qui viendrait en
critiquant l’endroit : le canal n’est pas loin et il
pourrait bien y prendre un bain …
Forainement
leur.
Le marché du quai du Roi s’est imposé comme le marché phare de l’agglomération orléanaise.
© Christelle BESSEYRE
Lire l'article de la Rep et soutenir le marché du quai du Roy
https://www.larep.fr/orleans/vie-pratique-consommation/gastronomie/2018/02/23/orleans-plus-beau-marche-de-france_12749271.html
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