À
Maurice Genevoix.
Jadis,
c'est ainsi que celui habitait de ce côté-ci se disait vivre en
Berry quand cet autre, son voisin de l'autre rive, se prétendait en
Gaule. Je vous parle d'un temps où la terre collait à vos sabots de
bois, où le clocher avait son importance et où chacun savait de
quelle Province ou de quel canton il était. La Loire, des deux côtés
de sa frontière majestueuse, se parait alors d'une distinction assez
surprenante au regard de l'histoire ou de la géographie, mais cela
n'avait vraiment aucune importance, chacun savait ainsi d'où chacun
était
Il
y avait alors langues et expressions différentes que l'on fût d'un
bord ou bien de l'autre. C'était encore les beaux jours de la
parlure vernaculaire, les idiomes fleurissaient, la métaphore était
de mise en accent et déformation. Chacun avait la fierté de son
bout de terre, surtout quand celle-ci subissait souvent les assauts
impétueux d'un fleuve envahissant.
C'était
un temps où l'on restait souvent là où la destinée vous avait
fait naître quoiqu'il y eût bien gens aux pieds ailés qui
n'hésitaient pas à tailler la route au hasard des chemins ou du
fleuve. C'était pourtant les cul-terreux, ceux-là qui restaient
collés à leur terre, qui se disent de Berry ou de Gaule avec la
fierté au cœur.
Puis
les temps ont changé, les modes sont venues d'ailleurs. Le Français,
langue officielle a imposé un autre repère, une marque qui faisait
tourner les aiguilles vers le pôle magnétique. Le bas bord fut
déclaré au Sud quand le haut bord se retrouva au nord. Belle
manière, ma fois, de dire une fois encore que dame Loire séparait
en deux la région, faisant la pluie et le beau temps plus sûrement
que les grenouilles.
Frontière
magnifique, la Loire arrêtait les orages, détournait les nuages,
réservait la gelée d'un côté à moins que ce ne fût pour
l'autre. Elle ne donnait jamais la même couleur, ni les mêmes
odeurs en son bord septentrional ou bien méridional. Elle avait
pourtant grande douceur à offrir au Nord comme au Sud et c'est ainsi
que les rois avaient élu le fleuve pour y bâtir leurs demeures.
Alors,
lasse de se voir assignée aux deux directions vedettes de la rose
des vents, la Loire exigea que l'on fît d'elle le repère essentiel
des hommes. C'est ainsi qu'une rive se nomma droite quand l'autre se
fit gauche, quand dans le sens du courant, l'homme regardait de quel
côté il se trouvait.
Rive
droite ou bien rive gauche, une fracture ligérienne qui ne
supportait qu'un seul courant et qui devenait bien illusoire quand
dame Loire jouait les débordements tumultueux. Mais avec le temps,
elle cessa ses colères, se contenta le plus souvent de rester entre
ses digues, qu'on les appela levées ou bien turcies au fil des modes
et des manières de se situer en ce pays.
Puis
les temps nouveaux sont advenus. La Loire demeure souvent barrière
infranchissable. Les ponts n'y sont guère nombreux même si ses eaux
sont devenues sages pour ceux qui ne la connaissent pas. Les nouveaux
habitants se moquent comme de leur première chemise de savoir de
quel côté ils se situent. Ils ont bien machine moderne pour leur
indiquer la route sans jamais savoir où ils se situent.
Le
fleuve est simplement une contrariété routière, un passage souvent
encombré aux heures de pointe. Au-delà des ponts, le citadin n'a
pas d'autre façon de changer de bord. Les bateaux ne sont souvent là
que pour faire joli, le bac est un bien lointain souvenir, le guet a
disparu des mémoires et bien rares sont ceux d'ici qui osent encore
s'y tremper les pieds.
Combien
se sentent encore de Berry ou de Gaule, du Sud à moins que ce ne
soit au Nord du fleuve royal et aucun, sans contorsion ni réflexion
ne vous dira s'il est sur la rive gauche ou bien celle de droite.
Ainsi va le cours des choses qui efface le cours de notre belle Loire
et oublie de nommer le bord où l'on vit ! Pire, c'est un GPS qui
leur montre le chemin sans qu'ils aient représentation claire et
précise de leur localisation.
Ligériennement
vôtre.
Illustrations
Jacques Ousson
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