dimanche 11 février 2018

Entre Berry et Gaule.



À Maurice Genevoix.



Jadis, c'est ainsi que celui habitait de ce côté-ci se disait vivre en Berry quand cet autre, son voisin de l'autre rive, se prétendait en Gaule. Je vous parle d'un temps où la terre collait à vos sabots de bois, où le clocher avait son importance et où chacun savait de quelle Province ou de quel canton il était. La Loire, des deux côtés de sa frontière majestueuse, se parait alors d'une distinction assez surprenante au regard de l'histoire ou de la géographie, mais cela n'avait vraiment aucune importance, chacun savait ainsi d'où chacun était

Il y avait alors langues et expressions différentes que l'on fût d'un bord ou bien de l'autre. C'était encore les beaux jours de la parlure vernaculaire, les idiomes fleurissaient, la métaphore était de mise en accent et déformation. Chacun avait la fierté de son bout de terre, surtout quand celle-ci subissait souvent les assauts impétueux d'un fleuve envahissant.

C'était un temps où l'on restait souvent là où la destinée vous avait fait naître quoiqu'il y eût bien gens aux pieds ailés qui n'hésitaient pas à tailler la route au hasard des chemins ou du fleuve. C'était pourtant les cul-terreux, ceux-là qui restaient collés à leur terre, qui se disent de Berry ou de Gaule avec la fierté au cœur.

Puis les temps ont changé, les modes sont venues d'ailleurs. Le Français, langue officielle a imposé un autre repère, une marque qui faisait tourner les aiguilles vers le pôle magnétique. Le bas bord fut déclaré au Sud quand le haut bord se retrouva au nord. Belle manière, ma fois, de dire une fois encore que dame Loire séparait en deux la région, faisant la pluie et le beau temps plus sûrement que les grenouilles.

Frontière magnifique, la Loire arrêtait les orages, détournait les nuages, réservait la gelée d'un côté à moins que ce ne fût pour l'autre. Elle ne donnait jamais la même couleur, ni les mêmes odeurs en son bord septentrional ou bien méridional. Elle avait pourtant grande douceur à offrir au Nord comme au Sud et c'est ainsi que les rois avaient élu le fleuve pour y bâtir leurs demeures.

Alors, lasse de se voir assignée aux deux directions vedettes de la rose des vents, la Loire exigea que l'on fît d'elle le repère essentiel des hommes. C'est ainsi qu'une rive se nomma droite quand l'autre se fit gauche, quand dans le sens du courant, l'homme regardait de quel côté il se trouvait.

Rive droite ou bien rive gauche, une fracture ligérienne qui ne supportait qu'un seul courant et qui devenait bien illusoire quand dame Loire jouait les débordements tumultueux. Mais avec le temps, elle cessa ses colères, se contenta le plus souvent de rester entre ses digues, qu'on les appela levées ou bien turcies au fil des modes et des manières de se situer en ce pays.

Puis les temps nouveaux sont advenus. La Loire demeure souvent barrière infranchissable. Les ponts n'y sont guère nombreux même si ses eaux sont devenues sages pour ceux qui ne la connaissent pas. Les nouveaux habitants se moquent comme de leur première chemise de savoir de quel côté ils se situent. Ils ont bien machine moderne pour leur indiquer la route sans jamais savoir où ils se situent.

Le fleuve est simplement une contrariété routière, un passage souvent encombré aux heures de pointe. Au-delà des ponts, le citadin n'a pas d'autre façon de changer de bord. Les bateaux ne sont souvent là que pour faire joli, le bac est un bien lointain souvenir, le guet a disparu des mémoires et bien rares sont ceux d'ici qui osent encore s'y tremper les pieds.

Combien se sentent encore de Berry ou de Gaule, du Sud à moins que ce ne soit au Nord du fleuve royal et aucun, sans contorsion ni réflexion ne vous dira s'il est sur la rive gauche ou bien celle de droite. Ainsi va le cours des choses qui efface le cours de notre belle Loire et oublie de nommer le bord où l'on vit ! Pire, c'est un GPS qui leur montre le chemin sans qu'ils aient représentation claire et précise de leur localisation.

Ligériennement vôtre.

Illustrations 

Jacques Ousson

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