mardi 27 février 2018

Les fruits de la mondialisation



Spécial Salon de l'Agriculture.



Décidément, je ne serai jamais au bout de mes surprises dans cette association caritative ! Dans ce qui peut passer pour l’ultime étape de la relégation bien plus sûrement qu’un point d’appui pour un nouveau départ, la société de consommation se plaît à jouer sa terrible mélodie cacophonique pour couvrir la détresse de nos bénéficiaires. Toutes les actions entreprises pour leur venir en aide sont empreintes du sceau de la folie du système libéral et mondialisé.

Ce jour-là, l’arrivage des surplus de la grande distribution se caractérisa par le délire des transports à travers la planète. Des fruits, arrivés de différents pays, issus de plusieurs continents, vinrent terminer leur voyage absurde. Ils étaient à bout de course, épuisés par des étapes innombrables, des manipulations douteuses, des méventes incompréhensibles.

Les cagettes s’accumulaient. Il y avait urgence à sauver ce qui pouvait l’être encore. Le moisi, les champignons, le pourri avaient élu domicile dans les barquettes plastiques qui favorisent encore plus la dégradation des produits. On me confia le travail, je n’avais nulle autre tâche ce jour-là que la constitution de la salade des fruits de la mondialisation.

Le premier travail est le tri. Oui ? il faut écarter ce qui ne peut être décemment consommé. Le rapport ce jour-là fut de 1 fruit conservé pour 4 jetés. Un travail déprimant quand on songe à ce gaspillage éhonté, à ces déchets végétaux qui s’accumulent et qui n’iront même pas gonfler un compost, interdit en ce lieu afin de ne pas favoriser plus encore le développement des rats. Nous tutoyons l’absurde et toutes nos actions finalement favorisent la gabegie !

J’ai commencé mon joyeux tri par des fraises venues d’Espagne. Elles avaient mauvaises mines les pauvres demoiselles. Mes doigts s’écrasaient souvent sur des fruits plus liquides que juteux. Des filaments blanchâtres couraient dans les barquettes. Le peu qui fut sauvé subi des lavages répétés à grande eau avant d’être coupé en petits morceaux pour constituer un jus acceptable. J’y mêlai le jus de quelques oranges venues à pied sans doute de Tunisie. Les fruits traversent plus facilement la Méditerranée que les pauvres gens !

Pendant ce temps, une autre bénévole se chargea du sauvetage d’ananas qui nous rendaient visite en provenance du Costa-Rica. Deux heures durant, ma collègue tailla, éplucha, sélectionna ce qui pouvait encore être consommé. La proportion de ce qu’elle conserva fut ridicule par rapport au monticule de ses déchets. La poubelle se gonflait à vue d’œil et elle avait tout pour attirer nos amis les rats.

Dans le lot, quelques melons verts venus de Turquie apportèrent une petite touche d’espoir. Il n’y avait rien à jeter. Ils donnaient eux aussi une touche exotique qui n’allait faire que se renforcer au fur et à mesure des ajouts. Le fret pouvait se frotter les mains, ma salade de fruits sentait fort le kérosène ou le gas-oil …

Puis on m’apporta des réserves, véritables cavernes d’Ali-Baba en décrépitude, des groseilles et des framboises venues du Portugal. Les framboises tenaient d’avantage de la purée que du fruit délicieux. J’en sauvai quelques-unes, jetant le reste qui allait rejoindre les rebuts de notre époque délirante. Les groseilles avaient mieux supporté le voyage que ? l’odieux conditionnement ; un plastique transparent dans lequel un papier noir met en évidence le rouge des fruits. On aime la littérature dans la grande distribution.

Des raisins noirs d’Italie vinrent mettre eux aussi un peu de couleur dans cette palette voyageuse. Pour satisfaire mon patriotisme culinaire, j’ajoutai quelques Chasselas du Tarn et Garonne, je sauvais ainsi la face et soutenait bien modestement l’agriculteur hexagonal. Le tout avait demandé deux heures de main d’œuvre pour 5 bénévoles qui ne pattèrent pas en chemin. Le sucre nous venait de l’île de la Réunion, la vanille de l’île Maurice.

Pour ne pas être dépaysée, c’est une clientèle particulièrement cosmopolite qui se régala de cette succulente salade de fruits. Tous ces gens venus de tous les continents avaient sans aucun doute éprouvé bien plus de difficulté pour échouer là. Un monde qui transporte ainsi les fruits perd sans aucune doute la tête surtout quand au bout du voyage, c’est la poubelle qui les attend.

Ma salade de fruits avait un coût carbone que je n’ose calculer. Si on ajoute une poubelle pleine à craquer, nous marchons sur la tête. Mais tout va bien, le pire est encore pour demain.

Fructificationnement vôtre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...