Spécial Salon de l'Agriculture.
Décidément,
je ne serai jamais au bout de mes surprises dans cette association
caritative ! Dans ce qui peut passer pour l’ultime étape de la
relégation bien plus sûrement qu’un point d’appui pour un
nouveau départ, la société de consommation se plaît à jouer sa
terrible mélodie cacophonique pour couvrir la détresse de nos
bénéficiaires. Toutes les actions entreprises pour leur venir en
aide sont empreintes du sceau de la folie du système libéral et
mondialisé.
Ce
jour-là, l’arrivage des surplus de la grande distribution se
caractérisa par le délire des transports à travers la planète.
Des fruits, arrivés de différents pays, issus de plusieurs
continents, vinrent terminer leur voyage absurde. Ils étaient à
bout de course, épuisés par des étapes innombrables, des
manipulations douteuses, des méventes incompréhensibles.
Les
cagettes s’accumulaient. Il y avait urgence à sauver ce qui
pouvait l’être encore. Le moisi, les champignons, le pourri
avaient élu domicile dans les barquettes plastiques qui favorisent
encore plus la dégradation des produits. On me confia le travail, je
n’avais nulle autre tâche ce jour-là que la constitution de la
salade des fruits de la mondialisation.
Le
premier travail est le tri. Oui ? il faut écarter ce qui ne
peut être décemment consommé. Le rapport ce jour-là fut de 1
fruit conservé pour 4 jetés. Un travail déprimant quand on songe à
ce gaspillage éhonté, à ces déchets végétaux qui s’accumulent
et qui n’iront même pas gonfler un compost, interdit en ce lieu
afin de ne pas favoriser plus encore le développement des rats. Nous
tutoyons l’absurde et toutes nos actions finalement favorisent la
gabegie !
J’ai
commencé mon joyeux tri par des fraises venues d’Espagne. Elles
avaient mauvaises mines les pauvres demoiselles. Mes doigts
s’écrasaient souvent sur des fruits plus liquides que juteux. Des
filaments blanchâtres couraient dans les barquettes. Le peu qui fut
sauvé subi des lavages répétés à grande eau avant d’être
coupé en petits morceaux pour constituer un jus acceptable. J’y
mêlai le jus de quelques oranges venues à pied sans doute de
Tunisie. Les fruits traversent plus facilement la Méditerranée que
les pauvres gens !
Pendant
ce temps, une autre bénévole se chargea du sauvetage d’ananas qui
nous rendaient visite en provenance du Costa-Rica. Deux heures
durant, ma collègue tailla, éplucha, sélectionna ce qui pouvait
encore être consommé. La proportion de ce qu’elle conserva fut
ridicule par rapport au monticule de ses déchets. La poubelle se
gonflait à vue d’œil et elle avait tout pour attirer nos amis les
rats.
Dans
le lot, quelques melons verts venus de Turquie apportèrent une
petite touche d’espoir. Il n’y avait rien à jeter. Ils donnaient
eux aussi une touche exotique qui n’allait faire que se renforcer
au fur et à mesure des ajouts. Le fret pouvait se frotter les mains,
ma salade de fruits sentait fort le kérosène ou le gas-oil …
Puis
on m’apporta des réserves, véritables cavernes d’Ali-Baba en
décrépitude, des groseilles et des framboises venues du Portugal.
Les framboises tenaient d’avantage de la purée que du fruit
délicieux. J’en sauvai quelques-unes, jetant le reste qui allait
rejoindre les rebuts de notre époque délirante. Les groseilles
avaient mieux supporté le voyage que ? l’odieux
conditionnement ; un plastique transparent dans lequel un papier noir
met en évidence le rouge des fruits. On aime la littérature dans la
grande distribution.
Des
raisins noirs d’Italie vinrent mettre eux aussi un peu de couleur
dans cette palette voyageuse. Pour satisfaire mon patriotisme
culinaire, j’ajoutai quelques Chasselas du Tarn et Garonne, je
sauvais ainsi la face et soutenait bien modestement l’agriculteur
hexagonal. Le tout avait demandé deux heures de main d’œuvre pour
5 bénévoles qui ne pattèrent pas en chemin. Le sucre nous venait
de l’île de la Réunion, la vanille de l’île Maurice.
Pour
ne pas être dépaysée, c’est une clientèle particulièrement
cosmopolite qui se régala de cette succulente salade de fruits. Tous
ces gens venus de tous les continents avaient sans aucun doute
éprouvé bien plus de difficulté pour échouer là. Un monde qui
transporte ainsi les fruits perd sans aucune doute la tête surtout
quand au bout du voyage, c’est la poubelle qui les attend.
Ma
salade de fruits avait un coût carbone que je n’ose calculer. Si
on ajoute une poubelle pleine à craquer, nous marchons sur la tête.
Mais tout va bien, le pire est encore pour demain.
Fructificationnement
vôtre
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