La
grande descente !
Il
est un endroit où trois provinces se réunissent en bord d'Allier.
Au loin, du Berry voisin, de la Bourgogne lointaine et du Bourbonnais
sur l’autre rive, les coqs chantent à l’unisson leur amour de ce
beau pays. Un autre personnage aime par dessus tout cet endroit qui
jadis fut un vignoble. Il se trouve qu’il est amateur de vin, qu’il
est connaisseur tout autant que gourmand. C’est là qu’il est
venu poser son baluchon, lui qui a décidé de descendre l’Allier
et la Loire sur un frêle esquif.
Il
est venu demander asile pour la nuit. Il se trouve que l’hospitalité
est une règle et un principe de vie en ce lieu merveilleux. L’ami
Georges y est reçu en seigneur, à la différence notable que la
simplicité demeure la ligne de conduite que se fixent ses hôtes. Si
la porte est toujours ouverte, chacun doit mettre la main à la pâte
tout en apportant sa pierre à la réalisation de cette belle utopie.
Georges
n’est pas homme à reculer devant un service. Il se démène pour
être utile, contribuant ainsi à la qualité des accueils suivants.
Puis, après s’être multiplié en tous lieux, pour lui vient le
moment de se réconforter par un bon repas au menu simple et
roboratif, tel que savent le préparer les gens d’ici. La soupe
trône à la place d’honneur ; elle indique que la tradition
ne doit pas mourir et qu’il n’est pas de bonne table sans une
marmite dans laquelle lard et légumes ont mijoté toute la journée.
C’est
alors que pour honorer leur visiteur, les Chavans lui proposèrent un
vin de pays, un Saint-Pourçain qui fit basculer la soirée dans un
autre monde. Georges en fin gourmet apprécia le breuvage sans doute
un peu plus que de raison. Il en but quelques verres : « quand
on aime vraiment, on ne compte pas », se plaisait-il à dire à
ses hôtes hilares.
La
tête, en dépit d’un repas copieux, finit par lui tourner. On ne
peut s’en étonner : la nature réclame ses droits, souvent
bien plus vite qu’on croit. Georges avait grand besoin de prendre
l’air. Il sortit de la ferme pour descendre jusqu’à la rivière,
jouir de la pleine lune et des reflets qu’elle offre à l'onde
chatoyante. Est-ce ce spectacle qui le fit basculer dans
l’irrationnel ou bien les effluves de ses libations ? Nul ne le
saura jamais …
Georges
alla jusqu’à son canoë, ouvrit son bidon étanche pour en sortir
sa combinaison en néoprène. Il se dévêtit pour endosser cette
tenue légère et seyante. Notre ami est quelque peu engoncé mais
qui viendrait lui en faire grief ? Il est de rigueur de ne pas juger
les amis sur leur physique : il convient de respecter ce
principe.
Georges,
encore embrumé par les vapeur d’alcool, se jeta à l’eau. Le
voyage il le ferait à la nage, de nuit pour jouir de la quiétude
magnifique qu’on goûte alors au milieu de la rivière. Il avait
décidé de se laisser porter, de descendre les flots mais aussi tous
les vins qui jalonnaient Allier et Loire. L’eau la nuit, le vin de
jour, voilà une avalaison qui était de nature à réjouir cet
hédoniste.
Sa
première nuit de natation fut pour lui l’occasion de retrouver ses
esprits. Plus il filait au gré des flots, plus sa détermination à
mener à son terme son étrange voyage se renforçait. Non seulement,
il avait retrouvé tous ses esprits mais en plus, il était porté
par l’euphorie du spectacle qui se présentait à lui et le désir
de boire sans retenue tous les vins de Loire.
Sa
première étape eut lieu à au Bec d'Allier, là où la Loire et son
frère jumeau se mêlent en un somptueux décor . Le bruit avait
circulé parmi ses amis ligériens que notre homme s’était lancé
dans cette folle aventure. Qui avait pu ébruiter la chose et
comprendre les intentions du nageur œnologique ? Cela restera à
jamais un mystère.
Toujours
est-il qu’un certain Bibi, grand connaisseur des eaux tout autant
que des vins, s'en vint à sa rencontre au petit matin alors que
notre nageur intrépide avait dormi quelques heures sur une grève
tranquille. Il avait eu vent de sa grande avalaison et voulait
réparer les quelques oublis que son point de départ avait
occasionnés. C’est ainsi que le fier marinier lui apporta des
côtes du Forest et des côtes Roannaises ; breuvages certes méconnus
mais qui méritaient de figurer sur la carte des vins du nageur.
Nos
deux lascars après avoir bu plus que de raison, s'assoupirent
jusqu’à la nuit tombante. C’est quand les premières étoiles
apparurent que Georges remercia son compagnon et reprit son chemin
sur l’eau. Les étapes à venir risquaient de lui donner quelques
crampes : il entrait dans le royaume du vin blanc. Il se
promettait de ne pas pousser le bouchon trop loin et de garder
toujours en tête la ligne de flottaison en jouant de la plus extrême
modération, selon naturellement les critères des gens de Loire,
tous plus larrons en foire les uns que les autres.
Ce
dut être une promesse en l’air. Son projet resta vain, la
tentation était si grande dans cette partie du parcours et les
étapes si courtes, qu’il pouvait boire tout son saoul de ces vins
si bons. Il y eut d’abord le vin de la Charité, ce blanc
confidentiel issu du Chasselas. C’était une entrée en matière
surprenante avant de plonger dans le royaume du Sauvignon.
Ce
fut alors son chemin de croix ou bien de choix. Chacun jugera de la
chose ! Ses jours étaient faits de Pouilly fumé, de coteaux du
Giennois, de Sancerre et ses nuits de lentes descentes parmi les
castors. Il était heureux. Il était en totale communion avec la
rivière. Il la buvait le jour, la descendait la nuit. Quel bonheur !
Il se rappelait avec émotion que, tout gamin, il admirait ce mur à
Saint-Jean-de-Braye où figuraient toutes les appellations de notre
Loire. Il déplorait comme beaucoup d’entre nous qu’on laissât à
l’abandon ce témoin de notre culture. Mais nos amis les élus,
n’ont pas le souci du symbole quand il s’agit de défendre notre
Loire.
Il
ft justement son entrée dans les vins de l’Orléanais. Jadis
prisés par les rois, le blanc, issu du Chardonnay et le rouge, fait
de Cabernet, de Pinot et de Gris Meunier, avaient connu une longue
éclipse. Quelques Pionniers avaient souhaité leur redonner vigueur
en obtenant le sésame de l’AOC. Hélas, les mauvaises récoltes à
répétions, les intempéries : le gel, la grêle, les pluies
diluviennes venaient de provoquer la fermeture de la cave
coopérative. Heureusement, quelques vignerons obstinés continuaient
à produire en dépit de conditions financières incertaines. Ils
vinrent cependant à la rencontre de notre nageur et se montrèrent
très généreux …
La
route ne faisant que commencer. Georges buvait le jour, nageait dans
un océan de félicité la nuit. Le choix de son moyen de locomotion
le mettant à l’abri des petits hommes bleus à la pipette. Voilà
un souci de moins pour notre intrépide avaleur. Il pouvait se
trouver entre deux vins sans être importuné par les tenants de la
prohibition moderne. Il avait sans doute biché le cul de la
bouteille d’or, échappant ainsi aux foudres des pourfendeurs de
Marianne. L’essentiel était pourtant ailleurs : il était en
symbiose avec la rivière et ses hôtes qui la nuit avaient une
activité débordante. Georges s'émerveillait à chaque brasse.
Le
Loir-et-Cher s’offrit alors à sa gourmandise. Le vin de Cheverny,
le Cour Cheverny lui firent entrevoir la vie de château. Il entrait
dans la vallée des rois : il allait déguster jusqu’à plus
soif. Ce furent ainsi le Vouvray, le Montlouis, le vin d’Amboise.
La Touraine en pleine gloire pétillait de mille nuances. Rouge,
blanc et crémants étaient à son menu diurne et la Loire se faisait
capiteuse pour ses nuits en immersion.
Il
arriva à l’embouchure du Cher. Des mariniers de Savonnière
vinrent à lui, porteurs des vins de leur rivière. Il était passé
à côté du Menetou, du Valançay, du Reuilly et du Quincy. Il dut
faire halte chez son ami Alexis pour cuver cet excédent de
merveilles. Il s’offrit une nuit entre deux eaux, ronflant comme un
sonneur et récupérant de tous ses efforts. C’est qu’il partait
chaque soir avec la gueule de bois, manière de se préserver de la
noyade. Ce repos lui fut salutaire : même si son haleine
restait chargée, il se sentit plus léger pour poursuivre son
périple viticole.
Saumur
l’attendait. C’était là une épreuve plus redoutable encore. La
rivière s’y fait large et le vin plus abondant et varié que
partout ailleurs, Il pénétrait chez les bandits de grand Chenin. Il
nageait de mieux en mieux et c’était heureux car il buvait de plus
en plus. Ses jours étaient chargés, ses nuits lui accordaient ce
répit qui permet de poursuivre l’épreuve en toute sérénité. Le
ciel pour témoin, la nature endormie lui faisait somptueux cortège.
Les animaux étaient ses compagnons et jamais il ne se sentit moins
seul que durant ces longues heures de natation ligérienne.
La
route était longue encore. Le courant le portait désormais sans le
moindre effort, lui permettant de jouir pleinement d’un
environnement toujours différent, sans cesse renouvelé et
surprenant. Il avait encore devant lui, bien des délices à boire
jusqu’à la lie. On l’attendait de gosier ferme pour l’honorer
des vins du terroir. Georges était désormais l’ambassadeur des
vins de Loire, le tastevin et brasse-bouillon. Partout il était
attendu de verre à pied ferme.
Il
ne put échapper aux vins du Layon qui lui arrivèrent par le Thouet.
Souvent, à l’embouchure des petites rivières ou des grands
affluents, il trouvait sur sa route un vigneron ou bien un ami qui
l’attendait pour partager avec lui la fierté de la production
locale. C’était alors l’occasion d’une halte gourmande dont la
vallée de la Loire a le secret. Georges se régalait le jour, se
goinfrait d’émotion et de splendeurs la nuit. Il était le plus
heureux des hommes.
Il
allait entrer dans l’histoire et dans les premiers rouges de notre
légende. Saint Martin avait fait des miracles et son âne plus
encore. Bourgueil et Chinon l’attendaient. La toue de l’ami Denis
Rétiveau et ses vins délicieux furent pour lui une escale
merveilleuse à l’ombre du château de Montsoreau. Il reçut la
visite d’Édouard, l’homme aux vins d’argent et de nos amis de
la dive bouteille, Jean Marie et Géraldy. Il était en territoire
d’abondance, il buvait le vin au calice !
Il
descendait et,plus il descendait, plus il buvait. Rassurez-vous, il
ne buvait que du bon, ce qui ne fait jamais mal à la tête. C’est
ainsi qu’il était dans une forme resplendissante. Les vins
d’Ancenis, le Malvoisie et le Jasnière, le Muscadet et le Gros
Plant. Si le vin était toujours aussi bon, il trouvait à l’eau de
Loire un petit goût de sel qui le dégrisa bien vite. C’est à
Mauves qu’il renonça à son périple, il était temps : notre
nageur était bleu !
Il
sortit de l’eau et un bon samaritain vint jusqu’à lui. Valéry
lui proposa un vin chaud. Ce breuvage lui rappela la soupe par
laquelle tout avait commencé. Georges avait accompli son pèlerinage,
le sien était de vin et bien des Ligériens aimeraient faire comme
lui. Si l’idée est tentante, il faut savoir se jeter à l’eau,
ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il n’avait pas à
regretter sa folie. Il s’était grisé autant de vin que de
merveilles. Il avait communié avec la nature en célébrant le sang
du Christ et l’œuvre de son père. Il en sortait ébloui et
bouleversé. Il pouvait retourner chercher son canoë ;
désormais, il se ferait ambassadeur de Loire, luttant pied à pied
contre ceux qui lui manquent de respect, d’une manière ou d’une
autre. Il y avait tant à faire ...
Quant
à vous, qui voudriez imiter son exemple en vous contentant de
suivre le trajet de la Loire à vélo, je vous invite à la plus
grande prudence. Le mieux est de monter sur une barrique et de vous
laisser aller au gré des flots. Votre radeau vous conduira de
vignobles en vignobles sur notre Loire, la plus belle des rivières à
vin. La modération n’est guère de mise au pays de Rabelais.
Veuillez pardonner nos excès et lever vos verres à notre santé
mentale défaillante !
Oenologiquement
vôtre.
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