lundi 15 janvier 2018

Quand Perlin Pinpin se fâche



Vacances de birettes



L’histoire a, jusqu’aujourd’hui, tenu secrète l’union de Merlin et Morgane. Pourtant un petit incident récent a mis sur le devant de la scène ce couple illégitime et quelque peu tonitruant. Morgane, profitant des vacances et fuyant les touristes qui envahissent sa chère Bretagne et la forêt de Brocéliande a décidé de partir avec Perlin, le rejeton qu’elle a eu du gars Merlin, pour une virée en Berry.

Le Perlin est un sacré diable, toujours prompt à commettre mille facéties et à jouer de ses pouvoirs pour ennuyer les braves gens. Il faut admettre que la séparation de ses parents a quelque peu perturbé son équilibre psychique. Morgane espère que celui qu’elle a surnommé affectueusement Pinpin puisse profiter de la quiétude du Berry pour enfin trouver la paix intérieure.

Morgane, pour l’édification et la formation de l’enfant a décidé de s’installer en bord de Sauldre, cette merveilleuse petite rivière qui va grossir le Cher avant que celui-ci s’offre à la Loire. Elle avait entendu parler du musée de la Sorcellerie, celui-là même que l’incurie des hommes risque de fermer à la fin du mois d’août. C’était donc l’année ou jamais d’y conduire le petit dont elle n'a obtenu la garde qu’en juillet.

Perlin est particulièrement excité à cette idée. Il aime les mystères et les belles histoires, a un goût prononcé pour les sortilèges, art dans lequel il excelle pour le plus grand désespoir de ses proches et de ses camarades de classe. Il compte s’inspirer de cette visite éducative pour parfaire sa technique et trouver de nouvelles idées. Morgane tout au contraire, espère qu’il comprendra enfin que ses pouvoirs s’inscrivent dans une grande lignée et qu’il conviendrait d’en user qu’avec parcimonie et raison.

En attendant, Perlin et Morgane campent en bord de rivière : l’enfant découvre le plaisir de la baignade en eau douce, le bonheur de construire un petit barrage pour obtenir une fosse dans laquelle plonger. Il aime la pêche et apprécie la gastronomie berrichonne. La visite des manoirs l'a ravi, la cathédrale de Bourges l’a émerveillé. Perlin est d’humeur joyeuse et Morgane baisse la garde.

Morgane, loin de Merlin qui continue de régenter sa vie, profite de ses vacances pour boire, chaque soir, deux verres d’un petit rosé de Reuilly. Ce nectar délicieux lui colore les joues, elle aime son harmonie et sa belle robe légèrement grise. Le Pineau d’Aunis atteint ici toute sa quintessence. D’humeur espiègle, la dame se permet de réveiller les feux-follets après ses libations. Perlin rit sous cape ; il n’avait jamais vu sa mère aussi badine. Pour lui, c’est magique !

C’est dans ce cadre idyllique que le drame va se nouer et j’avoue, à ma grande honte, que j’en suis responsable. C’est au musée de la Sorcellerie de Blancafort que j’ai croisé ce duo si extravagant. Je compris qui ils étaient quand, devant la tour où la copie de cire de Merlin s’affaire à la confection d’un élixir, je vis Perlin faire grands commentaires ironiques au sujet de son géniteur. Morgane en rajoutait également, se moquant de la barbe dont on avait affublé le mannequin. La dame avait la dent dure vis à vis d’un homme qu’elle ne supportait plus.

Je m’approchai d’eux pour les saluer en leur faisant comprendre discrètement que je les avais reconnus. Perlin voulut savoir qui j’étais et comment je pouvais ainsi les démasquer. Je me présentai à mon tour et, pour amuser le petit, lui racontai ma version de l’histoire du balai de sorcière. La fable de «la Fée ménagère » enchanta le gamin et amusa beaucoup sa mère ; la glace était brisée …

La visite fut des plus agréables. J’avais des guides d’exception : deux sorciers de haute lignée qui pouvaient juger de la scénographie et de la documentation de ce charmant musée. Perlin agrémenta ses explications de deux ou trois tours à sa façon dont je tairai les conséquences. Il se dit qu’il a tiré les arpions des responsables locaux qui ne veulent pas sauver ce délicieux musée … Je ne pouvais lui donner tort !

Tout se gâta réellement quand, au sortir du musée, je voulus montrer ma reconnaissance et mon admiration à dame Morgane en lui offrant une bouteille. J’avais compris son goût immodéré pour le rosé. Malheureusement, dans ce musée, il n’y avait que du rosé-pamplemousse pour satisfaire une éventuelle pépie touristique. Je fis donc, à contrecœur, cet achat pour la dame et me fendis d' un délicieux Merlin en peluche pour son propre fils.

Nous nous séparâmes ainsi. J’étais heureux de cette rencontre, incapable de deviner les suites de mon achat inconsidéré. Je rentrai tranquillement chez moi et c’est le soir que j’allais découvrir les conséquences dramatiques de mon achat. Morgane et Perlin retournèrent à leur campement. La dame n’eut pas besoin d’un réfrigérateur pour obtenir un breuvage frais à plaisir. Deux ou trois incantations et le tour était joué.

Elle confia l’ouverture de la bouteille à son fils. Un bel exercice de déplacement à distance d’objet. Le gamin d’un clin d’œil fit sauter d’autant plus facilement l’obstacle qu’il était en matière synthétique ; on ne peut attendre mieux avec de telles boissons sans âme. La suite s’avéra plus désolante …

Morgane, habituée qu’elle était à notre excellent Reuilly rosé, trouva détestable cette boisson incertaine, sucrée et aigre. Elle cracha la première gorgée en jurant de si horrible manière que Perlin en perdit toute mesure. Il était persuadé que le conteur avait tenté d’empoisonner sa mère. Il se mit dans une colère folle, une rage terrible. C’est le ciel qu’il prit à témoin de son courroux. Perlin déclencha la foudre et le tonnerre résonna sur tout le Berry.

L’orage fut terrible et jamais de mémoire de Berrichons on ne vit nuées si noires et éclairs si éclatants. Perlin avait orienté sa colère sur les vignobles locaux susceptibles de produire une boisson aussi médiocre. Par bonheur, dans notre bon Berry, Reuilly et Quincy sont essentiellement les terroirs d' un merveilleux vin gris et personne ne songe à produire du vin pour le dégrader dans le pamplemousse. Une seule parcelle fut détruite, le viticulteur avait cédé à la mode ...

Morgane, pour calmer son fils, lui fit enfourcher son balai à sa suite. Ils vinrent jusqu’à moi ; j’avouai ma grande honte et me confondis en profonds regrets. Pour me faire pardonner, je débouchai deux ou trois bonnes bouteilles et Morgane retrouva ses couleurs. Depuis ce jour en Berry, on prétend qu’il convient de ne pas déclencher les foudres de Perlin Pinpin !

Hélas, mes amis berrichons ont une fâcheuse tendance à manger leurs mots. Leur accent est souvent mal compris des gens d’ailleurs et beaucoup de touristes entendirent poudre à la place de foudre. C’est ainsi que naissent les expressions douteuses. Cette poudre que certains viticulteurs désolants jettent dans le rosé pour vendre ce breuvage digne des pires brouets de nos sorcières.

Voilà la véritable histoire. Puissiez-vous ne jamais déclencher la colère des Dieux. Ne buvez que des vins naturels. Morgane et Perlin comptent sur vous, sacré tonnerre de dieu ! Quant à Merlin, laissons-le à son ascétisme déprimant. Il convient d’aimer les bonnes choses pour jouir pleinement de la vie. Les abstèmes ne savent pas ce qu’ils perdent. Buvons mais ne buvons que du bon ! 
 
Bacchanalement leur.


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