Vacances
de birettes
L’histoire
a, jusqu’aujourd’hui, tenu secrète l’union de Merlin et
Morgane. Pourtant un petit incident récent a mis sur le devant de la
scène ce couple illégitime et quelque peu tonitruant. Morgane,
profitant des vacances et fuyant les touristes qui envahissent sa
chère Bretagne et la forêt de Brocéliande a décidé de partir
avec Perlin, le rejeton qu’elle a eu du gars Merlin, pour une virée
en Berry.
Le
Perlin est un sacré diable, toujours prompt à commettre mille
facéties et à jouer de ses pouvoirs pour ennuyer les braves gens.
Il faut admettre que la séparation de ses parents a quelque peu
perturbé son équilibre psychique. Morgane espère que celui qu’elle
a surnommé affectueusement Pinpin puisse profiter de la quiétude du
Berry pour enfin trouver la paix intérieure.
Morgane,
pour l’édification et la formation de l’enfant a décidé de
s’installer en bord de Sauldre, cette merveilleuse petite rivière
qui va grossir le Cher avant que celui-ci s’offre à la Loire. Elle
avait entendu parler du musée de la Sorcellerie, celui-là même que
l’incurie des hommes risque de fermer à la fin du mois d’août.
C’était donc l’année ou jamais d’y conduire le petit dont
elle n'a obtenu la garde qu’en juillet.
Perlin
est particulièrement excité à cette idée. Il aime les mystères
et les belles histoires, a un goût prononcé pour les sortilèges,
art dans lequel il excelle pour le plus grand désespoir de ses
proches et de ses camarades de classe. Il compte s’inspirer de
cette visite éducative pour parfaire sa technique et trouver de
nouvelles idées. Morgane tout au contraire, espère qu’il
comprendra enfin que ses pouvoirs s’inscrivent dans une grande
lignée et qu’il conviendrait d’en user qu’avec parcimonie et
raison.
En
attendant, Perlin et Morgane campent en bord de rivière :
l’enfant découvre le plaisir de la baignade en eau douce, le
bonheur de construire un petit barrage pour obtenir une fosse dans
laquelle plonger. Il aime la pêche et apprécie la gastronomie
berrichonne. La visite des manoirs l'a ravi, la cathédrale de
Bourges l’a émerveillé. Perlin est d’humeur joyeuse et Morgane
baisse la garde.
Morgane,
loin de Merlin qui continue de régenter sa vie, profite de ses
vacances pour boire, chaque soir, deux verres d’un petit rosé de
Reuilly. Ce nectar délicieux lui colore les joues, elle aime son
harmonie et sa belle robe légèrement grise. Le Pineau d’Aunis
atteint ici toute sa quintessence. D’humeur espiègle, la dame se
permet de réveiller les feux-follets après ses libations. Perlin
rit sous cape ; il n’avait jamais vu sa mère aussi badine.
Pour lui, c’est magique !
C’est dans ce cadre idyllique que le drame va se nouer et j’avoue,
à ma grande honte, que j’en suis responsable. C’est au musée de
la Sorcellerie de Blancafort que j’ai croisé ce duo si
extravagant. Je compris qui ils étaient quand, devant la tour où la
copie de cire de Merlin s’affaire à la confection d’un élixir,
je vis Perlin faire grands commentaires ironiques au sujet de son
géniteur. Morgane en rajoutait également, se moquant de la barbe
dont on avait affublé le mannequin. La dame avait la dent dure vis à
vis d’un homme qu’elle ne supportait plus.
Je
m’approchai d’eux pour les saluer en leur faisant comprendre
discrètement que je les avais reconnus. Perlin voulut savoir qui
j’étais et comment je pouvais ainsi les démasquer. Je me
présentai à mon tour et, pour amuser le petit, lui racontai ma
version de l’histoire du balai de sorcière. La fable de «la Fée
ménagère » enchanta le gamin et amusa beaucoup sa mère ;
la glace était brisée …
La
visite fut des plus agréables. J’avais des guides d’exception :
deux sorciers de haute lignée qui pouvaient juger de la scénographie
et de la documentation de ce charmant musée. Perlin agrémenta ses
explications de deux ou trois tours à sa façon dont je tairai les
conséquences. Il se dit qu’il a tiré les arpions des responsables
locaux qui ne veulent pas sauver ce délicieux musée … Je ne
pouvais lui donner tort !
Tout
se gâta réellement quand, au sortir du musée, je voulus montrer ma
reconnaissance et mon admiration à dame Morgane en lui offrant une
bouteille. J’avais compris son goût immodéré pour le rosé.
Malheureusement, dans ce musée, il n’y avait que du
rosé-pamplemousse pour satisfaire une éventuelle pépie
touristique. Je fis donc, à contrecœur, cet achat pour la dame et
me fendis d' un délicieux Merlin en peluche pour son propre fils.
Nous
nous séparâmes ainsi. J’étais heureux de cette rencontre,
incapable de deviner les suites de mon achat inconsidéré. Je
rentrai tranquillement chez moi et c’est le soir que j’allais
découvrir les conséquences dramatiques de mon achat. Morgane et
Perlin retournèrent à leur campement. La dame n’eut pas besoin
d’un réfrigérateur pour obtenir un breuvage frais à plaisir.
Deux ou trois incantations et le tour était joué.
Elle
confia l’ouverture de la bouteille à son fils. Un bel exercice de
déplacement à distance d’objet. Le gamin d’un clin d’œil fit
sauter d’autant plus facilement l’obstacle qu’il était en
matière synthétique ; on ne peut attendre mieux avec de telles
boissons sans âme. La suite s’avéra plus désolante …
Morgane,
habituée qu’elle était à notre excellent Reuilly rosé, trouva
détestable cette boisson incertaine, sucrée et aigre. Elle cracha
la première gorgée en jurant de si horrible manière que Perlin en
perdit toute mesure. Il était persuadé que le conteur avait tenté
d’empoisonner sa mère. Il se mit dans une colère folle, une rage
terrible. C’est le ciel qu’il prit à témoin de son courroux.
Perlin déclencha la foudre et le tonnerre résonna sur tout le
Berry.
L’orage
fut terrible et jamais de mémoire de Berrichons on ne vit nuées si
noires et éclairs si éclatants. Perlin avait orienté sa colère
sur les vignobles locaux susceptibles de produire une boisson aussi
médiocre. Par bonheur, dans notre bon Berry, Reuilly et Quincy sont
essentiellement les terroirs d' un merveilleux vin gris et personne
ne songe à produire du vin pour le dégrader dans le pamplemousse.
Une seule parcelle fut détruite, le viticulteur avait cédé à la
mode ...
Morgane,
pour calmer son fils, lui fit enfourcher son balai à sa suite. Ils
vinrent jusqu’à moi ; j’avouai ma grande honte et me
confondis en profonds regrets. Pour me faire pardonner, je débouchai
deux ou trois bonnes bouteilles et Morgane retrouva ses couleurs.
Depuis ce jour en Berry, on prétend qu’il convient de ne pas
déclencher les foudres de Perlin Pinpin !
Hélas,
mes amis berrichons ont une fâcheuse tendance à manger leurs mots.
Leur accent est souvent mal compris des gens d’ailleurs et beaucoup
de touristes entendirent poudre à la place de foudre. C’est ainsi
que naissent les expressions douteuses. Cette poudre que certains
viticulteurs désolants jettent dans le rosé pour vendre ce breuvage
digne des pires brouets de nos sorcières.
Voilà
la véritable histoire. Puissiez-vous ne jamais déclencher la colère
des Dieux. Ne buvez que des vins naturels. Morgane et Perlin comptent
sur vous, sacré tonnerre de dieu ! Quant à Merlin, laissons-le à
son ascétisme déprimant. Il convient d’aimer les bonnes choses
pour jouir pleinement de la vie. Les abstèmes ne savent pas ce
qu’ils perdent. Buvons mais ne buvons que du bon !
Bacchanalement
leur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire