Mes
chants du Coq !
L'histoire que je vais vous
conter date d'une époque bien lointaine où les municipalités
traitaient avec respect l'instituteur du village. Il avait droit à
un logement de fonction pour donner, au cœur de la cité, une place
d'importance à ceux qui avaient en charge l'espoir d'une nation.
Les temps ont bien changé,
l'instituteur, en se parant du titre ronflant de professeur des
écoles, a perdu son lustre et son logement. Mais nous nous écartons
d'un récit qui ne doit son existence qu'au prochain déménagement
d'un instituteur de campagne qui devait construire sa future demeure
après des années passées dans la cour de l'école.
L'homme avait les pieds sur
terre et le cœur indéfectiblement attaché à son Berry natal. Il
avait aussi la sagesse des gens qui savent prendre leur temps et ne
font jamais rien dans la précipitation. On le boutait de son hâvre
de paix, il allait construire une petite maison sur le haut de la
colline, à hauteur de château !
Mais il ne comptait pas
aller si vite en besogne. Un bout de terrain n'est rien si on n'y
laisse pas aller quelques poules. Elles donnent des œufs frais et
chassent les vipères. Il construisit un poulailler bien avant que de
faire les fondations de sa demeure !
Ce choix, qui avouez-le,
n'est pas si habituel, allait nous faire basculer dans le drame, le
fait-divers, l'histoire sordide. Les enfants ou les âmes sensibles
ne sont pas invités à poursuivre leur lecture. La suite pourrait
les choquer, leur faire regretter début si prometteur …
Mais pour l'heure, tout va
bien. Les poules vivent leur vie de gallinacées insouciantes et
gardent le futur chantier. Elles surveilleront l 'avancée des
travaux, l'instituteur se faisant bâtisseur prendra encore tout son
temps pour se faire nid douillet à portée de volaille.
C'est du côté de sa
basse-cour que se déroula l'évènement qui fit basculer notre conte
dans le sordide d'une histoire à ne pas mettre dans toutes les
oreilles. Quelques poules pondaient et confiaient la garde des
poussins à deux d'entre-elles. La chose peut paraître étrange mais
les garde-d'enfants décidèrent de laisser sans soin, un poussin qui
n'avait pas l'heur de leur plaire …
Le poussin délaissé,
vilain petit canard dans un monde de « Gallus domesticus »
n'avait que deux jours et sa vie ne tenait plus qu'à un fil. Il ne
fallait pas tarder où le pauvre Piou-Piou allait périr dans
l'indifférence de ses congénères. La vie est sans pitié dans
toutes les cours …
Heureusement l'instituteur
avait une compagne attentive aux petits détails de la chose animale.
Elle comprit le mortel manège des mégères emplumées. Elle vola
sans hésiter une seule seconde au secours de l'orphelin, de ce
pauvre poussin mis au ban de cette société pondeuse.
Elle prit sous son aile son
Piou-piou, ignorant sans doute qu'on ne s'improvise pas aisément
mère-poule, sans quelques rudiments d'aviculture.
Piou-piou quitta la
basse-cour pour la cour de l'école. Un choc qu'il supporta aisément,
n'ayant trouvé en sa terre natale qu'ingratitude et mépris. Qu'il
se trouve ainsi seul volatile en ce lieu, ne le dérangeait guère.
Il avait bien d'autres chats à fouetter et d'abord se préserver de
la gente féline, bien vite prompte à le réduire au néant.
Pour sa mère nourricière,
justement, se posa bien vite les interrogations essentielles voire
existentielles ! Comment nourrir un poussin, lui permettre de
favoriser sa digestion et lui assurer des chances de survie en
autonomie quand il sera plus grand ? Je devine à votre surprise que
nous n'eussiez pas abordé la question dans toute sa complexité et
j'avoue, à ma grande honte, que j'en aurai fait de même. Mais nous
avions à faire à une noble âme qui avait en la matière, des
conceptions pédagogiques tout à fait innovantes !
La dame trouva dans le
commerce des graines spéciales poussin, l'industrie prévoit tout et
se pique de devancer les besoins de chacun. Mais l'information
manquait sur la posologie et les précautions à prendre. Nourrir un
poussin, s'est s'exposer à bien des contrariétés imprévues comme
le risque de le voir se noyer dans un verre d'eau. Il fallut trouver
couvercle de confiture pour lui servir de récipient.
Elle se posa la question
fondatrice pour la future vie de son protégé. Comment lui apprendre
à picorer pour retourner à l'état de nature et remplir son gésier
de tout ce dont il a vraiment besoin ? Elle l'initia à cet art
délicat sur un carré de terre. Elle tapotait d'un index maternel le
sol au rythme, lui sembla-t-il de la poule en quête d'insectes et de
vermisseaux.
L'éducation par l'exemple
fonctionna à merveille, Piou-piou comprit le message et se mit à
compléter sa ration industrielle grâce au fruit de ses propres
recherches. Il était sauvé, il n'avait plus qu'à grandir dans la
chaleur d'un foyer aimant. Ce qu'il fit avec application et
affection. Il s'endormait sur l'épaule de sa mère adoptive avant
qu'elle le couche délicatement dans un carton de couche-culotte (une
vocation vous dis- je !)
Mais Piou-Piou grandit bien
vite. Il fallut changer le carton devenu trop petit. Au second, la
mère comprit que son enfant ne pouvait plus rester avec elle. Le
Piou-Piou était devenu un beau coq à la Chanteclair, un animal
magnifique, capable de se débrouiller seul mais qui venait toujours
chercher sa becquée préférée dans les mains de sa sauveuse.
L'instituteur, qui,
remarquons-le, brilla par sa discrétion dans les étapes
essentielles de l'apprentissage, revint au premier plan. Le coq lui
faisait de l'ombre ! Il le prit pour le conduire là où il n'aurait
jamais du partir, dans le poulailler de la bientôt prochaine maison.
Il n'y avait pas de coq, le vilain petit canard d'hier fut accueilli
à ailes ouvertes par des poules sans mémoire !
Mais rien n'est acquis en
ce monde de misère et de souffrance. Le bonheur d'aujourd'hui peut
devenir le malheur de demain. Piou-Piou ne connut qu'un bref monopole
sur sa cour. D'autres rivaux vinrent à maturité et lui disputaient
maintenant une hégémonie libertine. Les batailles de coq
attestaient d'une rivalité qui venaient troubler la quiétude de ces
lieux. Il fallait agir au plus vite.
L'instituteur, homme de
décision et de prudence, trancha dans le vif. Il éliminerait les
deux coqs superflus et s'offrirait le plaisir gustatif d'un coq au
vin. Nous sommes en Berry et il est des plats qui vous font une
culture à nulle autre égale …
C'est armé d'une épuisette
qu'il alla accomplir son forfait. Il craignait les coups d'ailes et
les coups de becs. Pêcheur dans l'âme, il maniait le filet avec
dextérité, la suite prouvera que c'était hélas sans réflexion.
Deux coqs finirent ce jour-là leur existence insouciante. Le plat
fut servi et apprécié et tous les convives. L'histoire se terminait
enfin.
Hélas, le drame couvait.
Quand deux jours après le gueuleton, la mère rendit visite à son
protégé, le coq survivant ne vint pas picorer dans sa main. Elle
comprit, horrifiée mais bien trop tard, qu'elle avait mangé comme
tous les autres son cher, son brave, son adorable Piou-Piou. Je vous
avais prévenu, l'histoire est terrible et sa fin pathétique. La
dame en fit une indigestion rétrospective en se jurant bien trop
tard, de ne plus jamais manger de coq.
Cette histoire lui reste
encore sur le jabot. C'est par un soir de tristesse qu'elle me confia
son secret, qu'elle se libéra d'un poids qu'elle ne pouvait plus
garder pour elle. Je vous la rends au fil d'une plume, qui je vous le
promets, n'est pas celle de Piou-Piou. C'est un hommage que nous lui
rendons ainsi !
Gallus gallus
domesticussement sien
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire