mardi 30 janvier 2018

La foire primée.


Un sacré tour de cochon. 
 


Il était une fois une ferme dans les bois sur les hauts de Sully-sur-Loire. La terre n’était guère favorable à la culture : elle était acide, couverte de fougères et de châtaigniers. Les sols produisaient tout juste de quoi nourrir les gens et les bêtes. On avait pourtant compris le parti qu’on pouvait tirer d’un pareil environnement en engraissant les meilleurs cochons de toute la région.

C’était surtout madame Courtois qui se chargeait de la besogne : préparer chaque jour une bouillie riche et variée, faite de tout ce qui pouvait se manger. Le cochon est le roi des omnivores, il fait gueule de tout ce qui lui passe sous le groin. Quand en plus, on y ajoute châtaignes et noisettes, mûres et baies sauvages, sa chair se parfume et prend mille et une nuances qui enchantaient les gourmands de l’époque.

La pauvre dame avait bien du mérite. Son mari n’était pas souvent à l’ouvrage ; du moins à celui qui devrait occuper un homme honnête. Il avait la fâcheuse habitude de courir le jupon, de coiffer de cornes la tête des hommes du canton, pour peu qu’ils aient une femme à son goût. Partout il se murmurait qu’il n’y avait pas plus beaux cochons que ceux de madame Courtois et pas plus cochon que son maudit époux.

Les malheurs des uns ne font jamais qu’entretenir la médisance des autres. En la circonstance, les maris grugés évitaient de crier sur tous les toits les travers que leur faisait subir l’ignoble vaurien. Les femmes trop volages ne s’en vantaient pas plus. Elles apprenaient bien vite que leur larron pour beau parleur et formidable étalon qu’il fût, n’était qu’un cœur d'artichaut et changeait de pouliche à la première occasion.

Une fois l’an, à Sully, il y avait une foire primée et chaque mois, un marché aux cochons. La place était alors la « Mecque » de la truie et du verrat. On accourait de partout pour acheter les meilleurs reproducteurs, les plus jolis cochons de lait, les meilleures mères. Mais jamais, ô grand jamais, on n’avait encore songé à organiser un concours du plus beau cochon. Ce fut, cette année-là, chose faite à l’initiative de Monsieur le Sénateur, un notable de la ville, amateur de bonne chère et par conséquent de bonne chair,

Le concours fut annoncé une année à l’avance, il fallait que chacun puisse se lancer dans la préparation du plus beau spécimen : un champion du lard élevé dans les meilleures conditions, nourri des mets les plus riches qui soient. Quand ce concours fut connu, beaucoup se gaussèrent de l’idée tout en se lançant dans le plus grand secret à l’engraissage, le plus fastueux possible, d’un goret choyé comme un coq en pâte.

Chez les Courtois, monsieur se soucia comme de sa dernière liquette de la fièvre qui gagnait ses collègues éleveurs. Lui, à franchement parler, n’avait jamais considéré le cochon comme un animal digne d’intérêt. Il avait pourtant une tendresse particulière pour les truies : on ne se refait pas ! C’est donc sa femme, en cachette de son coureur de bonhomme, qui se mit en tête d’être celle qui emporterait le trophée mis en jeu. C’était enfin pour elle une occasion de briller pour autre chose que la terrible réputation qui collait à ses basques.

Elle fit tant et si bien que son champion : un certain Duduche, grossit comme jamais un cochon n’avait grossi dans le pays. Il était gros à ne plus pouvoir se tourner dans sa souille ; ses cuisses promettaient des jambons énormes. Pour lui éviter de ne faire que du lard, madame Courtois prit l’habitude de le promener en laisse, deux fois par jour, pour raffermir les chairs et lui ouvrir un peu plus l’appétit.

Sa ferme était assez isolée pour que nul ne se moquât de ses pratiques. Elles auraient éveillé la curiosité et sans doute l’imitation chez quelques adversaires, tout aussi désireux d’emporter la victoire. La compétition provoque des jalousies, des suspicions et des risques de triche. Rien n’est nouveau sous le soleil. Son Duduche avait fière allure : jamais elle n’avait connu un verrat aussi trapu, aussi bien charpenté, au port de tête si altier et aux oreilles à faire pâlir un éléphanteau.

La date fatidique approchait. Chacun s'apprêtait à nettoyer son champion, à lui rendre allure présentable et soie aussi rose que possible. Madame Courtois décida de le faire dormir dans l’arrière- cuisine pour qu’il cesse de se souiller. Le cochon est un sacré lascar, capable de se rouler dans la fange ; il parait même qu’il y prend du plaisir. En cela aussi, il ressemble à son homologue qui se tient debout sur ses pattes postérieures !

Le drame se noua donc dans la maison même. Duduche se trouva-t-il incommodé de quitter son palais, son auge et sa paille ou bien fut-il simplement victime d’une crise cardiaque comme cela survient à tout animal en situation de surpoids ? On ne le saura jamais, on ne pratique pas l’autopsie en pareille circonstance et à la veille du concours, il fut trouvé raide mort par la pauvre femme. Le coup pour elle manqua d’être fatal.

Elle était à se lamenter et à pleurer sur le corps de celui en qui elle fondait ses espoirs de revanche sur une existence qu’elle ne souhaitait pas même à sa pire ennemie quand Monsieur le Sénateur en personne, passa la voir, poussé par la curiosité, née des bruits qui avait circulé dans le village. L’homme, en bon politique qu’il était, trouva les mots pour réconforter la malheureuse et lui glissa une idée dans le creux de l’oreille. Cela eut l’air de convaincre la fermière qui se mit immédiatement en besogne.

En moins de vingt-quatre heures, elle fit tant et si bien que Duduche était en mesure de se présenter à la foire primée, non pas sur ses quatre pattes mais sous forme de pâtés, rillettes, boudin, andouilles, saucisses, travers, côtelettes, rillons, fritons, tête et oreilles, queue et abats sans oublier des rouelles majestueuses et des jambonneaux de compétition. Elle rangea le fruit de son dur labeur dans une grande remorque ; Duduche n’avait pas été avare de charcuterie et de viande.

Elle demanda à son mari, le sieur Courtois en personne, de tirer la remorque. D’après l’organisateur, il n’avait pas été précisé que le compétiteur devait arriver vivant. En fait de quoi l’élu, en vieux roublard, avait conçu un plan machiavélique dont il avait eu la sagesse de ne pas informer la trop gentille femme. Comme il était président du jury, il se promettait bien du plaisir …

Le jour de la foire primée, chacun arriva avec son héros au bout, qui d’une longe, qui de la chaîne du chien, qui d’un long ruban chamarré. Les bêtes étaient propres comme jamais on n’avait pu observer des cochons de la sorte. Seul monsieur Courtois tirant sa remorque détonnait dans le décor. La foule était amassée devant le jury et s’exclamait au passage des cochons. Monsieur Courtois connut quant à lui un véritable triomphe ; il faut avouer que sa remorque embaumait et que chacun appréciait en connaisseur les morceaux ainsi exposés.

Quand le défilé se fut achevé, Monsieur le Sénateur se leva, l’air grave et pénétré de l’importance du moment. Il tint un discours, vanta la qualité du travail des uns et des autres, la richesse de l'élevage local, la conscience professionnelle des fermiers du Sullyas. Il trouva les mots justes qui émurent toute l’assistance et fit honneur à la race porcine. Le moment était venu de proclamer le vainqueur.

Dans un silence de cathédrale, le notable ménagea le suspense. « À l’unanimité du jury, dit-il de manière sentencieuse, le verrat, lauréat de la première foire primée du cochon est » …, il se tut de longues secondes pour faire monter la tension qui était déjà palpable depuis le début du défilé, « pour l’ensemble de ses œuvres, Monsieur Courtois, cochon hors catégorie ».

Et là ce fut un énorme éclat de rire, le Sénateur descendit de son estrade et agrafa une cocarde tricolore sur la braguette d’un fermier, rouge pivoine, incapable d’esquisser le moindre geste ni la plus petite protestation. Dans l’assistance, les maris cocufiés par le bougre, les femmes trop vite délaissées et même, madame Courtois en personne se tordaient de rire en se tenant les côtes. Jamais on ne vécut plus belle fête à Sully-sur-Loire que ce jour mémorable de la première foire primée. Par la suite, on prit l’habitude de récompenser les vaches : le risque de confusion étant moins grand pourvu qu’elles ne viennent pas sous la seule forme d’une peau.

Monsieur le Sénateur sortit grandi de la farce. Il fut triomphalement réélu et des sonneurs créèrent en son honneur une sonnerie pour l’hallali d’un Grand dix-cors. Monsieur Courtois quant à lui retint la leçon. La publicité que ses frasques venaient de recevoir ainsi en public l'incita, à tout jamais, à la plus stricte fidélité. Sa femme, bonne pâte, continua de l’appeler « Mon cochon ! » dans le secret de leurs ébats. Elle avait le pardon facile et savait la chair faible aussi bien crue que cuite !

Adultèrement sien.

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