lundi 15 avril 2024

Le chevalin d'Ingrannes

 

Faire l'âne et pas que.

 

 





Sa vocation est née dans le giron paternel. Son géniteur avant lui avait écumé les marchés de la région, faisant bien avant lui l'âne pour séduire les belles pouliches. Bon sang ne saurait mentir et à son tour, il circule sur les routes du Loiret pour proposer sa marchandise avec cette jubilation qu'il a hérité de son devancier.


Pour ne pas être en reste avec ses propos et son petit air coquin, il n'hésite nullement à faire de jolis tours de cochon par la grâce d'une charcuterie de bon aloi. Son boudin fait des envieux tandis que ses pâtés ravissent les amateurs. Il y a presse devant l'étal. C'est d'ailleurs l'occasion d'y retrouver des habitués, de tailler la bavette et forcément de déblatérer des âneries tant ici, c'est l'endroit ad-hoc.


Faire la queue n'est pas une corvée. C'est même le prétexte à quelques saillies, pas toujours très fines, je vous le concède, selon les critères en vigueur chez les nutritionnistes. Mais qu'importe, Rabelais, ce bon docteur en médecine, nous donne sa bénédiction tandis que les langues se délient devant le camion de Franz.


Martine, son adjointe à la caisse enregistreuse lève les yeux au ciel tout en offrant un bouquet de persil à ces drôles de lascars qui lui ont chauffé les oreilles. Il lui vient parfois l'envie de se les boucher même si elle demeure stoïque devant cette avalanche d'allusions graveleuses, grivoises ou simplement friponnes. Rassurez-vous, ce n'est ici qu'un jeu, une forme de préservation d'une tradition vieille de bientôt cinquante ans.


Il faut avouer que sur l'étal on peut trouver en sus du cheval, de l'âne et de la chèvre, largement de quoi faire tourner en bourrique un végétarien, égaré par mégarde dans la file d'attente. C'est le royaume de la galéjade, de la gourmandise et de la bonne humeur. Rien de ce qui peut y être dit ne sera retenu contre vous.


Tout en participant à la conversation, en allumant parfois la mèche ou même en sollicitant le dérapage, notre chevalin s'affaire en un ballet le couteau, la ficelle de cuisine et la balance sont les instruments d'un ballet virevoltant. Là encore, il n'a fait que reproduire la chorégraphie de son père, lui donnant sans doute une petite inflexion personnelle.


Chaque samedi matin à 7 h 45, la même compagnie se retrouve là depuis si longtemps qu'il n'est plus possible de savoir quand cela a débuté. On s'y salue, prend des nouvelles, se donne des rendez-vous pour la prochaine manifestation. On s'enquiert de la santé de celui qui n'est pas là tout en allumant la mèche pour une nouvelle facétie.


Le client de passage, celui qui arrive là pour la première fois doit se demander où il a mis les pieds. Qu'importe, le pisse-vinaigre passera son chemin tandis que l’épicurienne trouvera sa place dans ce cercle de la bonne chère. Seules les dames patronnesses sortiront une gousse d'ail avant de se signer, avant de fuir ce commerce du diable.


Ne pensez pas que j'en rajoute. Je donne ici dans la mesure, ce qui, je vous l'avoue bien franchement n'est pas le cas de notre ami, qui a parfois la main lourde lorsqu'il s'agit de tailler la bavette ou battre le pavé. Vous ne risquerez jamais de rester sur votre faim avec ce vendeur qui par contre, n'est pas chien pour arrondir les prix et faire un petit cadeau.


Frantz était l'archétype de cet univers du marché qui demeure un espace préservé de convivialité et de courtoisie. Il est bien dommage que d'autres fassent le choix des commerces sans âme, des produits sous cellophane dans des rayons aseptisés. Pour qui aime la vie, le marché ouvre ses bras. Les langues s'y délient pour faire de ce moment un charmant vaudeville. 

Il est parti bien trop tôt. Paix à lui.

 


 






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