mardi 2 avril 2024

Chante rossignol chante ...

 

L’enfant de la rivière







Il était une fois un meunier qui avait son moulin sur l’eau. Il se nommait Cornille, sa femme Jacquenote. Ils avaient eu bail pour un bateau à nef ancré sur la troisième arche du pont de pierre à Jargeau, un pont dit-on jeté là par le diable en une nuit. Ce couple aurait pu être heureux si la nature leur avait permis d'avoir un enfant. Mais voilà, le ventre de Jacquenote se refusait aux petites graines que lui octroyait généreusement son meunier de mari. Le pauvre Cornille restait le nez dans la farine.


Les gens sont méchants : le meunier était moqué d’autant plus que les paysans l'accusaient de forcer allègrement sur la part de la farine folle, cet « envolage » qui privait les uns d'une portion non négligeable de leur bien. Les bateaux-moulins utilisaient la force motrice du courant pour moudre le grain. Ils constituaient un obstacle redoutable pour les mariniers d'autant plus qu'il était installé à l'endroit le plus périlleux pour eux. Mais laissons là ces querelles incessantes qui alimentèrent la justice de ce temps pour en revenir à notre histoire.


Ce matin-là, jour de printemps de l'an de grâce 1430, Cornille et Jacquenote étaient sur le pont comme souvent pour libérer les quelques objets à la dérive pris dans les aubes de la roue, quand un panier d'osier vint se glisser entre les deux bacs de leur moulin. C'est la femme qui entendit les cris d’un enfant ; elle se signa et se précipita pour le prendre dans ses bras.


L'enfant de la providence s'appela Matthieu, du nom du saint du jour. Les deux époux sans plus tarder, le placèrent sous la protection de notre sainte Mère l'Eglise. Monsieur le curé ne se fit pas prier pour baptiser cet agneau perdu, ce pauvre enfant des flots. Nul ne songea s’interposer pour mettre des bâtons dans les roues des parents de la providence. Matthieu était adopté sans plus de formalité.


Le principal problème était de trouver nourrice sur le champ. Quand on est meunier, la chose est plus aisée ; en échange de farine, bien des plus précieux en cette lointaine époque, il se présenta bien des candidates pour offrir leurs seins à l'enfant de la rivière, comme on le surnomma bien vite dans tout le pays. C'est ainsi que Matthieu eut son compte de lait et, bien plus encore, d'amour maternel et paternel.


Matthieu grandit, aidant du mieux qu'il pouvait Cornille et Jacquenote. Il devint avec le temps très habile au réglage des meules, à la manœuvre pour le bateau et aux différents travaux d'entretien. Les moqueurs disaient derrière son dos que la Loire était son élément ce qui, a bien y réfléchir, n'était pas tout à fait erroné.


Matthieu ne pouvait échapper aux langues de vipère. Il savait qu'il n'était pas l'enfant légitime de ses parents adorés. De cela, il n' avait cure : il éprouvait pour eux une reconnaissance sans borne et une affection si sincère qu'il pouvait supporter les railleries de ses petits camarades et des plus grands. Mais il voulait savoir le secret de sa naissance et, bien des fois, on le retrouvait sur le devant du bateau, rêveur ou pensif, fixant l'amont de la rivière ...


Les années avaient passé, Matthieu était devenu un grand gaillard qui ne se départait pas de sa mélancolie. Il y avait un mystère qu'il désirait percer. Mais comment savoir quand le secret, manifestement, avait été la clef de sa naissance ? Il était là, le regard au loin ; le crépuscule s'installait sur la rivière quand un rossignol vint se poser près du garçon.


Par quel sortilège Matthieu comprit-il alors la langue de l'oiseau ? Qu’importe, il suffit d’avoir un cœur d'enfant et c'est dans cet état d’esprit qu’était le fils des meuniers ce soir-là. Le bel oiseau chanteur lui narra une étrange histoire … 

 

« Il était une fois un enfant qui naquit dans un château en bord de Loire. Sa mère, prisonnière trois mois durant, avaient été dissimulée aux yeux de tous. Après quelques frasques guerrières en bord de Loire, une tournée triomphale du côté de Reims, un couronnement inespéré, le roi dans l’euphorie du sacre fauta avec celle qu’on prétendait pucelle. Il fallut soustraire aux regards curieux un ventre qui, en s'arrondissant, rendait l'armure importable et les chevauchées guerrières délicates.


C'est dans le château de La Trémouille que la faute fut cachée aux yeux de tous. Le seigneur fit office de sage-femme pour celle qui devait rester demoiselle. L’enfant fut mis au monde. Condamné à la disparition et à l’oubli, des mains hostiles après l’avoir déposé dans un panier le jetèrent sans ménagement du haut du chemin de ronde de la forteresse de Sully. Abandonné aux humeurs du courant, il acheva sa course à Jargeau. Nous étions en mars 1430 et le climat, tout autant que les flots, furent favorables à ce pauvre être sans défense. »

 

Matthieu, après avoir écouté ce récit du bec du rossignol n'éprouva ni fierté particulière, ni colère pour ces deux personnages. Peu lui chaut que son père soit ce roi lointain, si peu apprécié de ses sujets ! C'est vers cette bergère, étoile filante de l'histoire de France, que ses pensées allèrent sans pour autant qu'elle supplante dans son cœur sa chère Jacquenote qui se faisait bien vieille depuis quelque temps.


Cependant, en bon fils, Matthieu se jura de rendre hommage à cette mère biologique. Son souvenir dans le pays avait été vite effacé par les trahisons de la couronne, de l'armée et du clergé. On la disait sorcière ; l'église l'avait brûlée puis avait colporté tant d’horreur à son propos qu'un fils se devait de lui restituer sa dignité d'une manière ou d'une autre. Matthieu se fixa cette noble mission.


C'est ainsi qu'il se fit trouvère pour chanter les louanges de la bergère. Ses parents de lait, après des années d’un rude labeur, avaient quitté cette vallée de larmes. Le moulin avait été cédé à un autre meunier. Matthieu put prendre les chemins, parcourir les berges de la Loire pour y chanter les prouesses de la bergère. Il fut vite remarqué en Orléans, seule ville fidèle à son héroïne depuis sa délivrance le 8 mai 1429.


Il fit tant et si bien, par ses poèmes et ses chansons, qu'il fut de ceux qui contribuèrent à changer son image de marque. Sa mère fut réhabilitée en 1457. Cette année-là, à l'initiative de Matthieu, pour la première fois le 8 mai, une jeune fille de la cité johannique défila en armure dans les rues. Depuis, cette tradition ne cessa presque jamais dans la cité ligérienne. Il fallut des guerres et aujourd’hui un virus pour que fût mise en suspens cette cérémonie d'hommage.


Matthieu souriait, il avait rendu hommage à sa mère, lui le fils secret de celle qu'on nomme encore « la Pucelle ». Il pouvait dormir tranquille, personne jamais ne viendrait dénicher son secret. Il en était fort aise ; il est des histoires qui n'ont pas besoin d'être dévoilées à la connaissance de tous.


 


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