Il n'est pas que l'âne qui se nomme Martin.
Il advint qu'une fois, une gardienne d'Oies trouva que ses bêtes aimaient tout particulièrement un pré à l'écart des quelques maisons d'un bourg de Sologne. La gentille demoiselle se douta que les cacardeuses avaient une bonne raison de préférer l'herbe en cet endroit. Elle se mit en quête de découvrir le motif de ce penchant particulièrement marqué.
L'herbe n'était pas différente de celle des autres prés quoique fut peut-être plus touffue et plus grasse. C'est du moins ce qui semblait à la belle Aphrodite car tel était le prénom que des parents bienveillants lui avait octroyé. Elle était d'une beauté sublime, méritant ainsi ce patronyme dont elle ignorait qu'il avait lien étroit avec le troupeau qui était sous sa garde.
Aphrodite, déesse de l'amour est en effet associée à l'oie. Son nom signifie qui sort de l'écume, un peu comme notre fée Houlippe quand elle surgit du fond de la Loire pour s'élever dans les airs, tirée par deux cygnes noirs, animaux en grande parenté avec l'oie au point que les celtes les réunissaient dans une même vénération.
Elle remarqua que cette prairie était le refuge d'une colonie d'escargots des haies, espèce à la coquille jaune qui avait trouvé tout naturellement sa place en Sologne. La belle supposa un temps que ses oies étaient gourmandes des céphalopodes pour leur coquille afin d'enrichir leur alimentation du calcium de la coquille pour renforcer leurs œufs. Mais après bien des heures de surveillance, elle dut renoncer à cette piste. Ses oies boudaient les carcalodes qu'on nomme aussi cagouilles.
Elle pencha alors pour une appétence toute particulière pour l'herbe de ce pré. Elle en examina attentivement la composition. Elle finit par supposer que les bêtes avaient un penchant pour la fleur de pissenlits qui comme chacun sait est un excellent diurétique. Elle ne fut pas surprise de l'aspect caca d'oie de la fiente de ses belles. Mais là encore, elle faisait fausse route car c'était les racines de cette fleur qui avaient leur préférence ce qui explique sans doute qu'elles accompagnent les défunts dans leur dernier voyage dans la symbolique celte.
Puis elle chercha à comprendre leur langage pour en savoir un peu plus. Elle avait appris que les traces des pattes d'oie sur le sol argileux étaient les prémisses d'une langue que les initiés qualifiaient de langue des oisons que des moins instruits attribuèrent à tous les oiseaux. Elle chercha à décrypter ces traces qui se confondaient parfois avec la coquille Saint-Jacques dans ce jeu de mère aille (je ne comprends pas) qui menait les pèlerins sur le chemin. Elle se perdait dans ce langage trop ésotérique pour une humble gardienne d'oies.
À force de creuser le problème, elle perçut dans sa quête qu'il y avait là un message qu'elle devait absolument résoudre. Elle se savait sur la voie, une voie sacrée pour la bergère. Se sentant dépassée par cette mission, elle trouva le courage de solliciter un sage, un homme à la réputation étrange. On le disait meneur de loup et parfois loup-garou. Lui pourrait décrypter cette énigme.
La gardienne d'oie comprenait qu'elle se trouvait face à un mystère comme on les aime dans ce pays. La Malnoue devait une fois de plus être responsable de ce phénomène. Cette mystérieuse créature des profondeurs, reine des eaux souterraines avait depuis toujours hanté l'imaginaire solognot. Pour en avoir le cœur net, elle était certaine que seul son ami Norbert sourcier tout autant que sorcier allait tirer cette affaire au clair. Cet homme d'une immense sagesse et possesseur de pouvoirs occultes trouverait la clef de l'énigme.
Norbert n'agissait pas comme ses collègues avec une baguette de coudrier. Il avait un pendule car il prétendait qu'il pouvait ainsi distinguer les courants telluriques des noues souterraines. Il aimait à creuser à l'intersection de ces deux puissants réseaux, plaçant ainsi ses puits sous la protection des forces terrestres.
C'est ainsi que répondant à la demande d'Aphrodite à laquelle il avait accordé toute l'importance qu'il convenait de donner à l'observation qu'elle avait faite, il constata que son pendule s'affolait littéralement en un endroit particulier de ce pré aux oies. Norbert saisit dans l'instant l'importance de la découverte : il y avait là une source qui devait disposer de vertus miraculeuses.
Il n'eut certes pas beaucoup à creuser. L'eau affleurait, elle ne demandait qu'à jaillir, ce dont les oies avaient eu l'intuition. Il est possible au demeurant qu'elles auraient fini par mettre à jour cette source pour peu qu'on leur en laisse le temps. Il est fort probable qu'alors, la chose passât inaperçue, ce qui eut changé la face de l'histoire.
Norbert et Aphrodite avaient quant à eux perçu l'importance de leur découverte qui eut lieu le 4 juillet en cette année 1 371 sous le règne de Charles V le sage, mille ans jour pour jour après qu'une oie par son incessant cacardement venait de trahir un certain Martin qui voulait échapper à la lourde charge d'évêque de Tours. C'est donc tout naturellement que la Fontaine prit le nom du grand Saint.
L'eau se montra bien vite capable de lutter efficacement contre les symptômes de l'influenza aviaire maladie qui chez l'humain provoque des troubles similaires à ceux de la grippe courante ; à savoir une fièvre, une toux, des douleurs musculaires, un mal de gorge, des infections oculaires et des infections respiratoires graves, y compris une pneumonie. Il y eut bien vite des processions pour venir profiter des bienfaits de la Fontaine Saint Martin tandis que l'oie fut rapidement farcie de pommes et grillée, accompagnée de choux rouges, pour devenir un plat de fête. La suite trouva son expression dans la naissance d'une fête des oies, bien après que Aphrodite et Norbert ne soient plus que des souvenirs effacés de la mémoire locale.
Quant au charmant bourg de Souvigny en Sologne, quand il se dota d'une église, elle fut naturellement dédiée au grand saint tourangeau que l'on montre souvent accompagné de son âne. L'oie fait elle aussi parti de son panthéon, vous saurez maintenant pourquoi.
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