samedi 25 février 2023

Comment reprendre le collier ...

 


Le pauvre bourrelier.






Il était une fois un modeste bourrelier, un pauvre homme qui avait bien du mal à joindre les deux bouts. Il est vrai que ce métier qu’il chérissait, tant il aimait travailler le cuir, avait un incroyable inconvénient. L’artisan qui travaillait exclusivement pour les paysans, n’était payé qu’une fois l’an, lors de la foire à la louée. C’était là une tradition liée aux pratiques anciennes qui lui compliquait grandement l’existence.


Le cuir et les matières premières pour réaliser un collier de trait étaient de plus en plus onéreuses tandis que les chevaux se faisaient plus rares dans nos campagnes où le tracteur prenait de plus en plus de place. Le pauvre homme se demandait à chaque nouvelle commande s’il disposerait d’assez d’argent pour remplir sa tâche et plus encore, il s’inquiétait sur la manière de nourrir sa famille qui elle, mangeait tous les jours.


Il venait de recevoir une curieuse demande. Une bourgeoise du pays était venue à lui pour qu’il confectionne un collier de trait destiné non pas à atteler un Percheron mais à se trouver suspendu au mur d’une salle à manger rustique. Le temps était donc venu pour la bourrellerie de rentrer dans les activités d’antan. L’homme se mit au travail, partagé qu’il était entre l’inquiétude du lendemain et la satisfaction de travailler pour une cliente qui paierait à la livraison.


Il fit un fort bel ouvrage, choisissant le meilleur cuir et les plus beaux bois pour en faire un objet d’apparat. Il mit tout son cœur et réalisa un fort beau collier d’épaule, trop fragile sans doute pour servir à l’attelage mais si fin et élégant qu’il allait enchanter sa curieuse cliente. Il était terminé, le collier reposait sur son établi. L’homme pouvait aller dormir du sommeil de celui qui a bien travaillé.


Au matin, il se réveilla de fort bonne humeur, désireux de mettre en vitrine son bel ouvrage, persuadé qu’il était que la cliente allait être imitée par d’autres clients. Il voyait là une reconversion qui lui permettrait de supporter l’intrusion de ce maudit tracteur dans son existence. Arrivé dans sa boutique, le bourrelier n’en crut pas ses yeux, le collier avait été orné de boucles dorées, agrémenté de passementeries et de divers éléments décoratifs qui en faisaient cette fois un objet luxueux. Qui donc avait bien pu agir ainsi dans la nuit ?


Qu’importe. L’artisan exposa le collier de parade. Il n’attendit pas longtemps pour recevoir une autre commande. L’imitation est le moteur de bien des actions humaines, il n’allait pas manquer de travail. Quant à la cliente, elle fut si satisfaite qu’elle paya d’un fort bon prix ce merveilleux collier rutilant. Ses invités seraient enchantés.


L’artisan se remit du mieux qu’il put au travail pour réaliser un beau collier. Il n’avait certes pas les moyens de reproduire à l’identique celui qui avait subi une étrange métamorphose mais il mit tout son cœur à faire au mieux, selon ses moyens. Une fois achevé, le collier était élégant certes mais n’avait pas la délicatesse du premier. Il alla se coucher, inquiet de ce que serait la réaction du client.


Au matin, une fois encore, le miracle avait eu lieu. Les modifications étaient différentes. Le mystérieux visiteur nocturne avait installé un miroir au centre de l’objet décoratif. Curieuse idée, il est vrai, qui ne serait jamais venu à l’esprit de ce brave sellier. Une fois encore, c’était le client qui déciderait tandis qu’il ne manquât pas d’exposer dans sa vitrine cette pièce unique.


Cette fois, deux commandes supplémentaires arrivèrent de suite tandis que le client, enchanté, déclara que ce miroir était justement ce qu’il comptait placer au centre du collier. L’artisan sourit et n’oublia pas d’avertir ses nouveaux clients qu’il s’accordait le droit d’apporter à chaque commande une innovation de son cru.


Ainsi fut fait. Le collier souvent se trouva flanqué dans la nuit d’un système électrique, le transformant en applique murale. L’autre fut transformé afin de recevoir en son cœur des photographies sur un tapis de velours. Le visiteur nocturne avait l’âme d’un décorateur même si pour notre bourrelier, tout n’était pas du meilleur goût. Qu’importe puisqu’à chaque fois, les clients étaient ravis tandis que le prix ne cessait de croître. L’inquiétude du lendemain s’estompait de commande en commande.


Pourtant, l’homme voulut comprendre ce mystère. Le collier suivant, une fois terminé, il ferma boutique et alla se coucher. Au milieu de la nuit, il revint sans faire de bruit pour savoir de quoi il en retournait. Il vit sur son établi des lutins qui maniaient l’alène, l’aiguille courbe, la scie et le marteau. Ils oeuvraient avec une rapidité incroyable et une dextérité sans pareille.


L’artisan s’en retourna sans trahir sa présence. Il était un homme simple, il ne se soucia pas de comprendre ce qu’il venait de découvrir et décida de jouir de cette miraculeuse collaboration tant que les petits êtres voulaient bien travailler pour lui. Les commandes affluèrent, les colliers de décoration se vendirent comme des petits pains, l’argent rentrait dans la caisse sans que l’artisan raisonnable ne s’enrichisse véritablement.


La foire à la louée arriva. Le bourrelier reçut son dû pour les travaux de l’année écoulée. L’homme avait un pressentiment. Le lendemain matin, les lutins travailleurs n’étaient pas venus. Le dernier collier resta à l’état et curieusement c’était là le souhait de son commanditaire. Le client demanda à celui qui jusqu’alors était bourrelier et sellier s’il acceptait de couvrir un fauteuil et de lui tapisser son intérieur.


L’artisan vit là l’occasion de se reconvertir. Il accepta de changer d’activité, laissant son matériel de bourrellerie pour devenir tapissier. Alors qu’il acceptait la nouvelle commande, il aperçut dans le reflet de sa vitrine les lutins qui lui firent un grand signe d’approbation. Ils s’étaient fait agents de reconversion, leur mission accomplie, ils pouvaient s’en aller aider une autre victime de la modernité.


Le nouveau tapissier découvrit combien il était agréable d’être payé à la réception de son travail. Décidément, les traditions anciennes ne sont pas toutes à conserver. Il y avait là, une pratique qu’il convenait d’oublier au plus vite. Il fit son travail du mieux qu’il put et ne revit jamais les merveilleux petits lutins. Il n’en avait pas besoin.



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